Le secret des moines bouddhistes pour réduire la souffrance (même physique)
Une part considérable de la population mondiale souffre de douleurs chroniques. Voici ce que le bouddhisme peut nous apprendre sur la façon de les gérer.

Les jeunes moines bouddhistes se servent aussi bien de leurs muscles que de la méditation lors de leur séjour au monastère de Dongzhulin, dans les montagnes du nord-ouest du Yunnan, en Chine.
Est-il possible d’éprouver une douleur physique sans souffrir ? Depuis des millénaires, cette question nourrit les pratiques de pleine conscience bouddhistes consistant à affronter la douleur en acceptant l’inévitabilité de la souffrance.
Aujourd’hui, on estime que 10 % de la population mondiale souffre de douleurs chroniques. Et les États-Unis dépensent davantage pour les combattre que dans les luttes contre le diabète et le cancer combinées.
DEVENIR L’AMI DE LA DOULEUR
« La distinction entre douleur et souffrance est au cœur du bouddhisme », explique BJ Miller, docteur en soins palliatifs et spécialiste de la douleur qui apparaît dans le programme. « [C’est] une méthode éprouvée permettant de se délester et de vivre avec ce que l’on ne peut pas contrôler. »
Le bouddhisme, un système de croyances auquel adhèrent 4,1 % environ de la population mondiale et 17 % environ des adultes sud-coréens, enseigne l’idée que la souffrance et le désir font partie intégrante de la condition humaine. Cela peut sembler une bien mauvaise nouvelle pour les personnes en proie aux tourments physiques et émotionnels de la douleur, mais le bouddhisme indique une voie libératrice.
Pour atteindre la délivrance de la douleur, ses pratiquants doivent non seulement apprendre à accepter celle-ci, mais également à prendre conscience de son impermanence.
Pour Jeong Yeo, moine bouddhiste de cinquante ans devenu Grand patriarche du temple sud-coréen de Beomeosa en 2023, cela est une chose on ne peut plus familière. Dans ses enseignements, il utilise un mélange de storytelling, de science et de psychologie.
« Dans le bouddhisme, nous n’essayons pas d’éviter ou de supprimer la souffrance, explique-t-il. À la place, nous essayons de voir la souffrance telle qu’elle est réellement. »
Toutes les branches du bouddhisme impliquent un examen de la souffrance ; le Bouddha lui-même aurait affirmé que la souffrance et sa cessation étaient tout son enseignement. Mais l’approche bouddhiste de la souffrance varie selon les traditions. Le bouddhisme Seon, une branche coréenne de la religion, ressemble au Zen et implique méditation, prosternations, contemplation et étude, entre autres choses.
« Dans le bouddhisme coréen, la solution à la souffrance n’est pas simplement la guérison ou la paix, mais de plonger au cœur de l’existence », explique Jeong Yeo. En s’immergeant dans la souffrance plutôt qu’en essayant de la combattre, dit-il, on peut commencer à se rendre compte que la douleur est une pensée comme les autres. « L’esprit fondamental ne connaît ni douleur ni souffrance », explique-t-il. À la place, l’attachement d’un humain à ses propres pensées génère le concept de douleur et de souffrance.
Jeong Yeo a appris cela à ses dépens le jour où il s’est blessé à la tête alors qu’il travaillait dans un temple. Encore sous le choc d’une longue chute, la tête en sang, il a réussi à déplacer son attention de la douleur vers son esprit. Sous la douleur, raconte-t-il, il a découvert une partie de lui-même qui ne se souciait pas de sa souffrance.
« Quand j’ai porté mon attention sur mon esprit, j’ai constaté que [celui-ci] ne vacillait pas face à la blessure et qu’il était serein et paisible, se souvient-il. Je me suis rendu compte que quelles que soient les circonstances, l’esprit est toujours paisible et immobile, clair et calme. C’est la différence entre la douleur et la souffrance. »
Les pratiques bouddhistes sont non seulement associées à un soulagement de la douleur chez certains adeptes, mais elles sont également suffisamment puissantes pour aider certains à accepter le handicap et la mort.
Cela ne surprend pas BJ Miller, qui a emmené Chris Hemsworth au temple Beomeosa pour qu’il prenne part à des activités parfois douloureuses, comme la prosternation méditative, pratique qui consiste à plier le corps en l’inclinant révérencieusement plus de cent fois par séance.
BJ Miller compare la douleur à un invité indésirable. « S’il ne veut pas partir, autant l’inviter à s’asseoir et trouver un moyen de s’entendre avec lui. »
LA SCIENCE DU BOUDDHISME
L’apparente aptitude des pratiquants du bouddhisme à s’élever au-dessus de la douleur intrigue les scientifiques depuis longtemps, d’autant plus que les préceptes de cette religion se sont répandus dans le monde occidental.
« Il y a beaucoup à dire sur le fait de se confronter à la sensation de la douleur, affirme BJ Miller. Et il ne fait pas de doute qu’elle a des choses à nous apprendre. » C’est également le cas d’autres formes de pleine conscience, moins douloureuses. De plus, des recherches suggèrent qu’il n’est pas forcément nécessaire d’attendre longtemps pour constater des résultats.
Dans une étude publiée en 2014, des chercheurs ont utilisé la méditation comme approche pour soigner les personnes souffrant de douleurs liées à des migraines. Les participants ont suivi un cours de méditation guidée de vingt minutes reposant sur la notion bouddhiste de « bienveillance aimante », qui consiste à cultiver la compassion envers soi et les autres. Après quoi les participants étaient 33 % de moins à éprouver de la douleur et 3 % de moins à être tendus, ce qui a conduit les chercheurs à conclure que la méditation pourrait être « un moyen efficace, rapide et portable de réduire la douleur et la tension émotionnelle ».
Les théories concernant les bienfaits physiques de la pleine conscience ne manquent pas. Parmi les potentiels avantages : un système immunitaire plus fort, un sommeil de meilleure qualité, voire une diminution des pensées suicidaires et autres pensées intrusives.
En dépit des tentatives des chercheurs de comprendre la science derrière la méditation et d’autres pratiques bouddhistes depuis des décennies, leurs résultats varient grandement. Certaines études suggèrent que les techniques de méditation avancées qui désaccentuent le récit intérieur d’une personne sont plus efficaces pour soulager la douleur que celles se focalisant sur une pensée ou un objet unique.
D’autres ont constaté des différences physiques chez des pratiquants de longue date. Une revue de la littérature publiée en 2024 et portant sur vingt-et-une études sur le cerveau a montré que la méditation « entraîne des changements structurels et fonctionnels dans les réseaux cérébraux à grande échelle ».
Dans le cadre d’une autre étude, on a demandé à treize pratiquants de la méditation zen et à treize non-pratiquants de passer une IRMf tout en étant soumis à une douleur modérée. Par rapport à leurs homologues non pratiquants, les pratiquants voyaient l’activité de leur cerveau baisser dans certaines régions liées à l’émotion. Ceux qui ne méditaient pas présentaient une activation supérieure dans les régions du cerveau associées à la douleur, ce qui a conduit les chercheurs à conclure que la méditation pourrait contribuer à réduire la sensibilité à la douleur.
COMMENT ACCEPTER LA DOULEUR PEUT AIDER À LA SURMONTER
Devenir l’ami de son esprit, voire de la douleur, pourrait permettre de mettre fin à la souffrance. Mais cela ne signifie pas que la douleur n’est pas réelle.
En revanche, des pratiques bouddhistes telles que la méditation peuvent aider à atténuer les signaux de douleur, voire à distraire un individu d’expériences douloureuses pendant un moment.
Selon Jeong Yeo, se lancer est aussi simple que le fait de respirer. « Essayez de ressentir votre respiration lors de brefs instants durant [votre] trajet pour aller au travail ou bien observez-vous tout simplement quand vous êtes stressé ou en colère et acceptez les émotions telles qu’elles sont. » Il insiste sur le fait que ces pratiques sont accessibles à tout un chacun.
« Les enseignements du bouddhisme ne se limitent pas à des cultures spécifiques », dit-il, en conseillant de s’entraîner à se parler gentiment. « N’évitez pas la souffrance. Observez-la avec indifférence et enveloppez-la de compassion. Essayez de terminer la journée en [vous] disant : “C’était dur aujourd’hui. Tu vas bien ? T’as fait du bon travail.” Le simple fait de se dire cela à soi-même relève déjà d’une pratique bouddhiste de la compassion. »
Après tout, conclut BJ Miller, la douleur n’est qu’un aspect de l’existence. « Il y a tant d’autres choses au-delà de la douleur qui sont dignes de votre attention. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
