Que dit votre ADN de votre risque d’addiction aux opioïdes ?

Selon un nouveau test, un simple prélèvement d'ADN permettrait d'identifier la propension génétique d'une personne à développer un trouble de consommation d’opioïdes.

De Carrie Arnold
Publication 1 févr. 2024, 17:12 CET
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Un scientifique procède au séquençage de l'ADN par électrophorèse sur gel, une technique dans laquelle les fragments d'ADN marqués par radioactivité se séparent en fonction de leur taille. Le motif des bandes (en rose fluorescent) est révélé avec une lumière ultraviolette.

PHOTOGRAPHIE DE PHILIPPE PLAILLY, SCIENCE PHOTO LIBRARY

Favorisé par une consommation de plus en plus importante de fentanyl et d’autres substances, le nombre décès par surdose de drogue continue d’augmenter aux États-Unis, en particulier depuis la pandémie de Covid-19. En 2022, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies ont recensé 109 540 décès par surdose de drogue, dont la plupart étaient liés à une consommation d’opioïdes. 

En décembre 2023, la Food and Drug Administration (Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux) des États-Unis a approuvé le test AvertD (prononcé « averted », qui signifie « évité ») pour les patients de dix-huit ans et plus qui n’ont jamais consommé d'opioïdes et qui doivent recevoir un traitement pour une douleur aiguë, et non chronique. Il s'agit du premier test génétique approuvé visant à identifier les personnes présentant un risque d’addiction aux opioïdes, et du seul test de risque polygénique autorisé par la FDA pour une affection psychiatrique à ce jour.

« La crise des opioïdes est l’une des questions de santé publiques majeures à laquelle sont confrontés les États-Unis. Elle nécessite des mesures innovantes pour empêcher, diagnostiquer et soigner les troubles qui y sont associés, notamment en évaluant le risque de les développer », a déclaré la FDA dans un communiqué qui annonçait sa décision. « Cette approbation est un pas de plus de la FDA pour empêcher de nouveaux cas de troubles de consommation d’opioïdes. » 

Néanmoins, certains experts du milieu psychiatrique restent sceptiques sur la véritable efficacité d’un quelconque test polygénique, test qui mesure de petits apports venant de nombreux gènes.

Selon Arpana Agrawal, généticienne psychiatrique de l’université Washington de Saint-Louis, bien que la génétique soit importante pour comprendre l’addiction, les chercheurs ont besoin de davantage d’informations pour identifier une personne à risque. Patrick Sullivan, psychiatre de l’université de Caroline du Nord à Chapel Hill et chercheur principal du Psychiatric Genomics Consortium, la rejoint sur ce point. L’ADN ne représente qu’une partie infime des raisons pour lesquels une personne développe une addiction aux opioïdes ou une maladie comme la schizophrénie. « Ce n'est pas aussi simple que nous aimerions le croire », déclare Agrawal.

Toutefois, ces experts et d'autres interlocuteurs du National Geographic s'accordent à dire que les tests de risque polygénique sont prometteurs pour toute une série d'autres maladies allant des maladies cardiovasculaires au diabète de type 2.

 

LA PROMESSE D’UN TEST GÉNÉTIQUE

Avant le séquençage du génome humain, l'essentiel du travail des généticiens était centré sur les maladies causées par des mutations dans un seul gène, telles que la mucoviscidose et l'hémophilie. Ces travaux étaient révolutionnaires, mais ne portaient pas sur les affections plus courantes telles que l'hypertension, l'hypercholestérolémie et le diabète.

De nombreuses maladies chroniques résultent d'une interaction complexe de facteurs environnementaux comme la pollution, les traumatismes subis pendant l'enfance et l'accessibilité alimentaire, ainsi que de petites contributions provenant de centaines, voire de milliers, de variants génétiques, et non des conséquences dévastatrices d’un seul gène. Individuellement, l'effet de chaque variant génétique est insignifiant. Cependant, des scientifiques comme Sekar Kathiresan, cardiologue, généticien et fondateur de l’entreprise de biotechnologie Verve Therapeutics, pensaient que toutes ces petites influences pouvaient avoir un effet majeur.

En mars 2008, son équipe a publié sa première découverte dans la revue américaine New England Journal of Medicineune étude qui rassemblait les effets de neuf variants génétiques en un risque génétique unifié de maladie cardiovasculaire. Kathiresan et ses collègues ont pu combiner les effets infimes de nombreux gènes sur l'ensemble de l'ADN d'une personne en une seule évaluation du risque génétique.

« Il s'agissait d'une preuve de l'hypothèse selon laquelle la génétique était peut-être un élément clé de l'apparition du risque de maladie », explique Kathiresan.

Les scientifiques ont rapidement découvert un nombre croissant de variantes génétiques qui influençaient le risque de maladie cardiovasculaire, rendant les résultats de risque polygénique encore plus efficaces pour identifier les personnes dont les gènes les prédisposent aux maladies cardiaques.

Ces personnes ont été traitées de manière plus agressive avec des statines, explique Robert Green, généticien médical à la Harvard Medical School, directeur du programme de recherche Genomes2People au Mass General Brigham et consultant rémunéré par Allelica, une société qui vend des tests de score de risque polygénique. Des études ultérieures ont montré que cela contribuait probablement à réduire leur risque de crise cardiaque et d'accident vasculaire cérébral.

 

LES LIMITES DE CE TEST

Les scientifiques se sont mis à chercher d'autres utilisations des scores de risque polygénique. Ils ont pu calculer des scores de risque polygénique particulièrement utiles au dépistage et à la prévention de maladies telles que le diabète, la maladie d'Alzheimer et les cancers du sein et de la prostate, explique Kathiresan.

Dans d'autres domaines, cependant, ils ont commencé à rencontrer des problèmes, en particulier lorsqu'ils ont tenté d'identifier les variations de l'ADN susceptibles de contribuer à des pathologies comme le trouble bipolaire, la schizophrénie et le trouble de l’usage d’opioïdes.

De nombreuses études ont démontré que le risque de troubles mentaux était en grande partie héréditaire et que les personnes diagnostiquées possédaient un ensemble de variantes génétiques différentes de ceux qui n’en avaient pas. 

Toutefois, déterminer l’utilité du score de risque spécifique est souvent plus difficile que de procéder à son calcul. Sullivan prend l’exemple de la taille : l'homme moyen est nettement plus grand que la femme moyenne, mais il y a beaucoup d'hommes petits et de femmes grandes. Par conséquent, il n'est pas possible de deviner avec précision le sexe d'une personne en se basant sur sa taille, explique-t-il. De même, les scientifiques pourraient être en mesure de détecter des différences génétiques entre les personnes souffrant de troubles psychiatriques et celles qui n'en souffrent pas, mais ces deux groupes se chevauchent trop pour qu'on puisse les différencier.

Les scientifiques ne savent toujours pas pourquoi. L'une des possibilités est qu'ils n'en savent pas encore assez sur la génétique sous-jacente des troubles psychiatriques pour pouvoir se servir d’un test permettant d'identifier un risque génétique élevé ou faible. L'autre possibilité est que les différences génétiques entre les personnes à haut risque et à faible risque ne sont tout simplement pas assez importantes pour être utiles d'un point de vue médical.

En outre les personnes d’ascendance européenne sont particulièrement sur-représentées dans la plupart des études génétiques, ce qui signifie que les chercheurs en savent généralement moins sur les gènes des personnes d’autres ethnicités, selon une étude parue en 2019. Il est donc plus compliqué de calculer leur score de risque polygénique. 

Les scores de risque polygénique ne mesurent pas non plus toute l'étendue du risque d'une personne de développer une maladie. Un score de risque polygénique ne peut pas prendre en compte la myriade de facteurs environnementaux qui ont souvent des répercussions plus importantes que la génétique sur les personnes qui tombent malades. De plus, l'environnement d'une personne est particulièrement malléable, ce qui multiplie les occasions de faire pencher la balance du côté d’une meilleure santé.

« L'ADN n'est pas une fatalité », affirme Kathiresan. « Il s'agit d'une seule composante et elle n'est pas déterministe. »

 

GÉNÉTIQUE ET TROUBLES DE L’USAGE D’OPIOÏDES

Pourtant, la promesse d'un test qui pourrait empêcher la dépendance aux opioïdes chez certaines personnes a séduit de nombreux scientifiques.

Keri Donaldson, fondateur et PDG de Solvd Health, le fabricant de l'AvertD, pensait que les algorithmes d'intelligence artificielle étaient à même d'identifier les personnes présentant un risque génétique élevé de développer un trouble de l’usage d’opioïdes.

Au lieu d'isoler des variantes génétiques spécifiques pour calculer le risque d'une personne, Donaldson s’est servi d’un ordinateur pour déterminer les différences génétiques entre les personnes qui ont abusé des opiacés et celles qui n'en ont pas abusé. L'étude a analysé des millions de points le long du génome et a identifié quinze variantes génétiques qui pourraient aider à distinguer ces deux groupes.

L’effet collectif de ces variantes est calculé à l'aide d'un modèle mathématique qui attribue à chaque personne testée un score compris entre 0 et 1. Un score supérieur à 0,33 indique un risque génétique élevé d'abus d'opioïdes. Plus le score est élevé, plus le risque est important. Ces informations constituent la base d'AvertD.

Cependant, lorsque l'équipe d'Agrawal a essayé d'utiliser l'intelligence artificielle pour prédire le risque de troubles liés à l'utilisation d'opioïdes, celle-ci n'a pas été en mesure de reproduire les résultats. Selon elle, les chercheurs ont besoin d'études plus diversifiées et plus vastes pour être en mesure d'identifier ce risque par un test.

« Chaque fois que nous observons ces facteurs polygéniques, nous devons prendre en compte qu’ils ne seront qu’une partie de la solution. Les facteurs environnementaux sont leur complément », explique-t-elle.

Donaldson admet qu’AvertD n’est pas une boule de cristal et que « le nier n’est pas la solution. » Il défend la science qui sous-tend le test et cite une étude qui montre que, dans plus de 80 % des cas, les algorithmes d'AvertD sont capables de faire la distinction entre les personnes atteintes ou non d'un trouble de l’usage d’opioïdes. « Le trouble de la consommation d'opioïdes est un trait complexe, à la fois inné et acquis. Nous fournissons des informations sur les raisons génétiques de ce trouble », précise-t-il.

 

COMPRENDRE SON PROPRE RISQUE

Alors que ces tests gagnent en popularité, les cliniciens doivent apprendre à interpréter leurs résultats avec les patients. Selon Donaldson, la clé est d’informer les prescripteurs. 

« Nous avons commencé par nous demander comment aider les patients individuels, ainsi que les prescripteurs, à comprendre les risques d’une nouvelle manière », explique-t-il. 

On ne lit pas ces scores comme on lit la météo, met-il en garde. Par exemple, un score AvertD de 0.5 ne signifie pas que vous avez 50 % de chances de développer une addiction aux opioïdes. Cela veut plutôt dire que votre risque est plus élevé que la moyenne et que vous devriez peut-être éviter les traitements qui contiennent des opiacés. 

« Une fois les scores de risque AvertD en main, les médecins et les patients peuvent avoir une conversation informée sur les façons d’éviter les opioïdes ou d'utiliser des options alternatives de gestion de la douleur », ajoute-t-il.

Toutefois, Agrawal s'inquiète de ce que cela pourrait signifier pour les personnes dont les tests indiquent qu'elles présentent un risque génétique élevé de dépendance aux opioïdes. Elle affirme que de nombreux médecins ne comprennent toujours pas comment traiter la douleur sans opioïdes, ce qui pourrait entraîner des souffrances inutiles.

Au lieu d'identifier la dépendance aux opioïdes, elle préfère se concentrer sur « la façon dont nous pouvons faciliter le chemin vers la guérison et la sécurité », dit-elle.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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