Cannabis : entre promesses hallucinates et réels dangers

Une popularité en hausse, des effets plus puissants, de nouveaux usages... De nouvelles études permettent aujourd'hui de démêler le vrai du faux.

De Rosecrans Baldwin
Photographies de SERGIY BARCHUK
Publication 7 sept. 2025, 17:46 CEST
Les ventes de marijuana – la partie de la plante pouvant être fumée – ont diminué ...

Les ventes de marijuana – la partie de la plante pouvant être fumée – ont diminué en pourcentage du marché légal, alors que les ventes de produits à base d’extraits de cannabis, comme ces bonbons, ont fortement augmenté.

PHOTOGRAPHIE DE SERGIY BARCHUK

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Dans un laboratoire situé au coeur de l’immense unité de production de cannabis de l’entreprise californienne Raw Garden, aux États-Unis, l’odeur de la marijuana est immédiatement reconnaissable. Des techniciens en blouse blanche surveillent des machines de raffinage qui ronronnent doucement en produisant à la chaîne des bidons de plusieurs litres d’une huile ambrée. Dans une pièce voisine, près d’une rangée d’étuves de séchage sous vide, l’huile ainsi extraite a été utilisée pour concocter toute une série de préparations disposées dans des récipients en Pyrex sur des tables en acier.

Leur consistance va de semi-sirupeuse, à plus pâteuse. Des plateaux contiennent des éclats dorés semblables à du verre, et une substance faisant penser à du miel cristallisé. Tous ces produits représentent un changement majeur dans la façon dont les Américains consomment le cannabis : année après année, ils en fument proportionnellement moins, se tournant davantage vers des dérivés fabriqués à partir de l’huile qui en est extraite. Il peut s’agir de produits comestibles, comme des bonbons et des boissons, mais aussi de nouveaux types de concentrés très puissants que l’on inhale non pas en les fumant, mais en les vapotant ou en pratiquant le dabbing – l’inhalation de petites quantités d’extraits pâteux à l’effet immédiat. Et ces concentrés modifient radicalement la sensation d’euphorie procurée par la drogue.

À l’instar des autres entreprises de production de cannabis actuelles, Raw Garden cultive toujours de l’« herbe », mais il s’agit avant tout d’une matière première qui sera transformée en une matière visqueuse. Si vous pensez que le coeur de l’industrie américaine du cannabis, qui pèse environ 32 milliards de dollars, ressemble à une ferme ou à une serre, détrompez-vous : il s’agit de plus en plus de laboratoires industriels, remplis de scientifiques imaginant de nouveaux produits de plus en plus improbables. Ces concentrés de cannabis sont souvent classés en fonction de leur texture : parmi eux, la sauce (à la consistance liquide et collante), la wax (qui ressemble à de la cire), le shatter (fine plaque à l’aspect vitreux) ou encore les diamants (cristaux solides). Ils sont incroyablement plus puissants que les joints que vous pouviez fumer il y a vingt ou quarante ans. Et, bien sûr, ils sont désormais autorisés dans de nombreux États américains [ndlr : en France, la culture de cannabis et sa consommation sont interdites ; une expérimentation pour un usage thérapeutique limité est toujours en cours].

L’essor du marché des concentrés ultrapuissants intervient alors que la marijuana – qui se fume traditionnellement – cultivée aux États-Unis est déjà devenue assez forte, au fil des sélections. La puissance des produits à base de cannabis est en général exprimée en concentration de delta-9-tétrahydrocannabinol, ou THC, le principal composé responsable de ses effets psychoactifs. Selon les spécialistes, les taux de THC moyens dans la marijuana vendue aux États-Unis avant 1990 étaient inférieurs à 10 % ; aujourd’hui, ils se situent entre 15 et 20 %.

Les laboratoires d’extraction végétale produisent aujourd’hui des concentrés très puissants de cannabis aux textures fort variées, ...

Les laboratoires d’extraction végétale produisent aujourd’hui des concentrés très puissants de cannabis aux textures fort variées, comme la « sauce » et les « diamants » présentés ici broyés par le producteur de cannabis californien Raw Garden.

PHOTOGRAPHIE DE MAT CULLEN, LALALAND ARTISTS

Les concentrés de cannabis résultent d’un processus d’extraction qui isole uniquement les composés souhaités, notamment le THC, des matières végétales inutiles. Raw Garden fait ainsi la promotion d’un produit appelé live sauce – à la teneur en THC d’environ 70 % – ou des diamants (live resin diamonds), qui peuvent atteindre une concentration de 85 %.

Pour certains consommateurs, la teneur en THC – et donc la rapidité et l’intensité de l’effet – est l’essentiel. Mais la réussite tient également à la subtilité des saveurs, explique Dmitri Siegel, directeur de la stratégie marketing de Raw Garden.

Les vaporisateurs portables ou les vapoteuses sont aussi plus discrets, note le consultant et analyste du secteur du cannabis Tom Adams, président d’Adams Research. Certains utilisateurs de concentrés sont séduits par la possibilité d’inhaler rapidement une petite quantité d’huile ou de sauce. Le spécialiste, qui analyse le marché légal du cannabis depuis 2015, rappelle que la demande en concentrés légaux a émergé des premiers dispensaires médicaux de cannabis [ndlr : autorisés dans certains États américains à partir des années 1990]. Fumer peut s’avérer peu pratique pour ceux qui cherchent à consommer des centaines de milligrammes de THC au quotidien – une dose substantielle qui peut soulager des patients traités par chimiothérapie ou souffrant de douleurs chroniques. Les produits comestibles peuvent être difficilement utilisables par ceux qui ont des problèmes gastro-intestinaux ou d’appétit. Les concentrés, eux, qu’ils soient à usage récréatif ou thérapeutique, aident à mieux maîtriser le dosage.

La volonté de concentrer les composants psychoactifs du cannabis remonte au moins au XIe siècle, quand le haschisch a commencé à être consommé à des fins récréatives dans le monde arabe. Le haschisch est fabriqué à partir des excroissances, ou « trichomes », que les premiers producteurs récoltaient par tamisage à la surface des feuilles et des inflorescences de cannabis, puis pressaient en une sorte de galette. Les trichomes sont riches en cannabinoïdes, des composés bioactifs dont les plus connus sont le THC et le cannabidiol (ou CBD). Ils contiennent aussi d’autres éléments, tels que les terpènes, des hydrocarbures responsables de l’arôme et de la saveur des plantes.

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    Les nombreuses formes que prend le cannabis aujourd’hui comprennent des cartouches de concentré aromatisé utilisées dans des vaporisateurs stylos, comme ici (à gauche).

    PHOTOGRAPHIE DE SERGIY BARCHUK

    Les techniques modernes de production s’inspirent des méthodes médiévales pour mettre au point de nouveaux moyens d’isoler ces précieux composés. Parmi les méthodes les plus courantes, on trouve l’extraction par hydrocarbures, dans laquelle on utilise un solvant pour séparer les substances chimiques souhaitées de la matière végétale brute. Le butane et le propane sont les solvants standards de cette industrie. Aux États-Unis, quand l’extraction était encore une activité clandestine, l’utilisation de ces matériaux combustibles entraînait parfois l’explosion de chambres d’hôtel ou d’appartements.

    Mais, avec la vague des légalisations qui a traversé nombre d’États américains, l’extraction du cannabis est devenue une pratique courante et, aujourd’hui, des entreprises comme Raw Garden sont soumises à des autorisations pour exercer leur activité, doivent suivre des réglementations et font aussi l’objet d’inspections.

    La base de presque tous les produits de Raw Garden est une substance huileuse appelée live resin, un extrait de cannabis censé capturer un large éventail de cannabinoïdes et de terpènes (certains procédés d’extraction, en revanche, n’isolent qu’un seul composé – en général le THC ou le CBD). Avant cela, tous les produits fabriqués par l’entreprise commencent sous forme de plantes poussant sur 22 ha de terres situées dans la région viticole de Santa Barbara, en Californie. Lors de la récolte, les plantes sont coupées et les sommités fleuries immédiatement congelées à l’azote liquide dans un tunnel cryogénique, ce qui permet de préserver tous les composés organiques volatils. Puis elles sont transportées jusqu’aux unités de stockage et de production de l’entreprise à Lompoc, et conservées dans un congélateur.

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