Des menaces de santé inédites pèsent sur les générations Z et Alpha
On n'est plus adolescent comme on a pu l'être. Un nouveau rapport international exhaustif liste les menaces de santé publique qui pèsent sur les jeunes aujourd'hui âgés de 10 à 24 ans.

Un enfant parisien devant un écran le 14 février 2024.
L’adolescence vient avec son lot de défis et d’anxiété, mais la jeunesse d’aujourd’hui fait face à des menaces inédites, à une échelle jamais vue par les générations qui l’ont précédée, selon un nouveau rapport exhaustif sur la santé et le bien-être des jeunes.
Plus d’un milliard de personnes âgées de dix à vingt-quatre ans sont susceptibles de rencontrer des problèmes de santé d’ici 2030. D'après un rapport publié dans Lancet, une grande revue scientifique médicale, cela représenterait à peu près la moitié des adolescents dans le monde. Les adolescents font face à des taux croissants d’obésité et de difficultés liées à la santé mentale, sont sous l’influence des nouvelles technologies et le dérèglement climatique.
« J’étais moi-même choquée par certains de ces chiffres et par l’aspect prédictif de l’étude », confie Sarah Baird, professeure de santé internationale et d’économie à l’université George Washington et co-présidente de la Commission Lancet, à l’origine de ce rapport. « Il est clair que nous faisons face à une crise de la santé chez les jeunes, qui ira crescendo. »
La Commission Lancet est une équipe de chercheurs indépendants rassemblés par Lancet afin d’examiner des sujets spécifiques liés à la santé et d’en extraire des recommandations d’actions politiques. Ce rapport a été compilé par quarante-quatre experts, dont dix commissionnaires jeunesse, qui ont revu 550 études déjà revues par des pairs, depuis qu’ils ont commencé à travailler avec Lancet en 2021. Ce rapport donne suite au premier, lui aussi sur la santé et le bien-être des jeunes, qui avait été publié en 2016.
« Être un adolescent aujourd’hui n'a rien à voir avec le fait d'être un adolescent il y a dix ans », explique Sarah Baird. « Au vu de toutes ces demandes compétitives pour les ressources, l’attention et la concentration, les adolescents sont à nouveau relégués à l’arrière-plan. Il est temps de rappeler au monde leur importance. Les ignorer en cette période de changement extrême pourrait mener à un désastre. »
Le rapport comporte également des découvertes positives : déclin de l’usage de la cigarette et de la consommation d’alcool, meilleur accès à l’éducation, surtout chez les jeunes filles. Il attire cependant l’attention sur la santé de la jeunesse et parle d’un « point de bascule » dans un monde incertain et à l’évolution rapide.
UN CLIMAT PLUS CHAUD ET PLUS INSTABLE
Cette génération sera la première dont les membres vivront toute leur vie dans l’ombre d’un climat mondial déstabilisé.
D’ici 2100, un nombre estimé de 1,8 million d’adolescents vivront sous des températures mondiales 2,8 °C plus chaudes qu’elles ne l’étaient avant la révolution industrielle. Ce changement intensifiera les événements climatiques extrêmes, les problèmes d’insécurité alimentaire, la perte de la biodiversité, l’instabilité sociale et les maladies liées à la chaleur, et ce, dans le monde entier.
« Je pense qu’il est difficile pour les personnes de vraiment se rendre compte ce qu’un monde plus chaud signifie pour la santé et le bien-être », déplore Sarah Baird. « Les jeunes profiteront plus de la planète que nous, ce sont eux qui ont le plus à perdre du manque d’investissement dans l’avenir. Malheureusement, ils n’ont le plus souvent pas le pouvoir de prendre ces décisions. »
LA GÉNÉRATION NUMÉRIQUE
Les adolescents « sont la première génération internationale à être née dans le monde du numérique », selon le rapport.
À travers le monde, 79 % des quinze à vingt-quatre ans bénéficient d'un accès à Internet, tandis que 95 % des adolescents habitant dans les pays à revenus élevés ou moyennement élevés ont une présence en ligne.
Les technologies du numérique permettent l’accès à des opportunités hors-du-commun. Mais elles exposent également les jeunes à la désinformation, au cyberharcèlement et à du contenu dérangeant, tout en empirant l’isolation sociale et l’inactivité physique.
Les risques et les bienfaits des technologies numériques seront « superchargées » par le développement de l’intelligence artificielle, avertit le rapport. Il n’y a pas de solution miracle à ce problème complexe. C’est pourquoi le rapport propose un éventail d’approches pour le confronter sur différents niveaux.
« Certaines personnes ont des opinions très arrêtées sur les réseaux sociaux et l’accès au numérique mais je pense que c’est une question de nuances », confie Sarah Baird.
« Le rôle des parents est également important, tout comme celui des enseignants et des jeunes eux-mêmes », ajoute-t-elle. « Avec l’arrivée de l’IA, nous allons avoir besoin de gros cerveaux et d’un très rapide changement de politiques pour faire en sorte que les jeunes n'en ressortent pas meurtris. »
LES TAUX D’OBÉSITÉ GRIMPENT EN FLÈCHE
Dans tous les pays du monde, et depuis 1990, l’obésité devient un problème de plus en plus important, allant jusqu’à être multipliée par huit dans certains pays d’Afrique et d’Asie. Le rapport prévoit qu’environ 464 millions d’adolescents à travers le monde seront en surpoids ou obèses d’ici 2030. C’est 145 millions de plus qu’en 2015. Cette tendance va empirer les risques de développer des maladies liées à l’obésité, comme le diabète de type 2 ou les maladies cardiovasculaires.
Cette augmentation chez les adolescents est due à la présence toujours plus accessible de la malbouffe, à la fois moins chère et plus accessible que les options nutritives plus saines. Les boissons sucrées, comme les sodas ou les boissons énergisantes sont aussi une grande partie du problème. La consommation de ces boissons est passée de 24 à 33 % chez les adolescents dans toutes les régions du monde à l’exception des pays riches, de l’Amérique Latine et des Caraïbes. Plus de la moitié des adolescents sur Terre consomme aujourd’hui des boissons sucrées au moins une fois par jour.
De plus, le rapport révèle que les adolescents ont adopté des modes de vie plus sédentaires, avec un temps important passé devant les écrans. La pollution de l’air, les météos extrêmes et d’autres facteurs pourraient se cacher derrière cette statistique, en limitant l’implication dans des sports ou la pratique d’exercice en extérieur.
Afin de combattre l’obésité chez les adolescents, le rapport recommande de mettre en place des taxes sur les produits sucrés et d’améliorer l’offre des sports et des programmes de fitness chez les jeunes provenant de milieux défavorisés.
UNE CRISE DE LA SANTÉ MENTALE
Le rapport fait également une projection des plus malheureuses. L'état de santé mentale des adolescents serait lié à leur santé future. Les adolescents rencontrant des problèmes de santé mentale sont plus susceptibles de voir leur santé générale détériorer (migraines, troubles du sommeil, obésité, etc.), ils perdraient alors de précieuses années de vie qui aurient autrement pu être passées en bonne santé, si leur santé mentale avait été mieux prise en charge. La santé mentale est « le plus grand fardeau en matière de maladie chez les adolescents dans le monde », informe le rapport.
Ce nombre corrobore une crise de la santé mentale très répandue et bien documentée qui est attisée par des tendances sur le long terme, comme les technologies numériques et le changement climatique, ou les catastrophes récentes et surtout la pandémie de Covid-19.
« Imaginez ces perturbations massives au cours de ces années critiques », dit Sarah Baird. « Elles nous ont fait perdre en éducation et ont affecté nos capacités à interagir avec les autres, en plus des multiples crises économiques. [Les adolescents] vivent potentiellement dans un monde appauvri et plus stressant. »
Le rapport recommande d’étendre les services de santé mentale aux adolescents et d’offrir aux communautés la possibilité de libérer la parole sur les causes de leur stress, leur anxiété et leur dépression.
PEUT-ON INVERSER CES TENDANCES ?
Aoife Doyle, professeure associée en épidémiologie, qui se spécialise dans la santé des adolescents à l’école londonienne d’hygiène et de médecine tropicale, est d’accord sur le fait que la santé des jeunes et leur bien-être a atteint un point de bascule.
« Le rapport Lancet fournit des données qui montrent tout d’abord que l’investissement dans la santé des adolescents et leur bien-être est beaucoup trop faible et, ensuite, que ces investissements ne sont pas proportionnels au fardeau que portent les adolescents vis-à-vis des maladies » écrit Aoife Doyle, qui n’a pas pris part à la rédaction du rapport, dans un email.
« Ces données accablantes devraient motiver les gouvernements à prendre les mesures nécessaires pour honorer leurs promesses à la santé universelle et pour fournir des services plus appropriés et complets à destination des adolescents », ajoute-t-elle.
Il est aussi important de remarquer qu’aucune de ces tendances ne se produit seule. L’obésité et les problèmes liés à la santé mentale sont par exemple profondément influencés par les technologies numériques et le stress climatique. Toutefois, Sarah Baird garde confiance en observant la ténacité et la détermination des jeunes face à ces défis complexes.
« La jeunesse est optimiste et pleine d’espoir », se réjouit-elle. « Beaucoup gardent le sourire quant à ce que l’avenir leur réserve et souhaitent faire ce qu’ils peuvent pour assurer un futur radieux. »

Des enfants jouent dans un parc à Bega, une ville australienne située dans le Sud de l’État de Nouvelle-Galles du Sud. Ils y campaient après avoir été évacués d’un site proche affecté par des incendies sauvages, le 31 décembre 2019.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
