Un robot capable de donner naissance à un être humain pourrait-il bientôt voir le jour ?
Début août, une rumeur venue de Chine affirmait qu’un robot pouvait mener une grossesse à terme. Démentie depuis, elle relance une vraie question : l’utérus artificiel est-il pour demain ?

Une main de bébé repose au creux de la main d'un robot humanoïde.
Dans une interview publiée début août par un média chinois spécialisé en sciences et technologies, Zhang Qifeng, présenté comme fondateur de Kaiwa Technology, a été interrogé. Mais selon les vérifications menées par TF1 Info et le site américain Snopes, ses propos ont été tronqués et sortis de leur contexte.
Relayés par plusieurs médias, ils ont laissé croire qu’il décrivait une technologie censée imiter la gestation naturelle et donner naissance à un bébé humain. Dans cette version déformée, l’innovation aurait déjà atteint « un stade avancé de maturité » et prendrait la forme d’un robot humanoïde grandeur nature, doté d’un utérus artificiel capable de porter un fœtus et de reproduire l’ensemble du processus de la grossesse, de la conception à l’accouchement. Certains articles évoquaient même la commercialisation d’un prototype dès 2026, pour un prix inférieur à 100 000 yuans (environ 13 000 euros).
En réalité, il s’agissait d’une fausse information. L’Université technologique de Nanyang, où Zhang Qifeng aurait prétendument étudié, ainsi que l’entreprise concernée ont toutes deux démenti l’existence de telles recherches, et plusieurs médias ont depuis retiré leurs articles.
Si le « robot de grossesse » attribué à Zhang Qifeng relève du mensonge, l’ectogenèse, c’est-à-dire la procréation par le développement d’un embryon et d’un fœtus dans un utérus artificiel, demeure un sujet bien réel qui soulève d’importantes questions éthiques et juridiques.
UTOPIE OU PROPHÉTIE ?
Israël Nisand, ancien chef du pôle de Gynécologie-Obstétrique des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, rappelle que l’ectogenèse est un sujet ancien, « dont on parle depuis une vingtaine d’années ». Dès 2005, le biologiste et philosophe français Henri Atlan publiait déjà un ouvrage intitulé L’Utérus artificiel. Pour Céline Lafontaine, sociologue et professeure au département de sociologie de l’Université de Montréal, l'utérus artificiel s’inscrit « dans le prolongement de la volonté technoscientifique de maîtriser la reproduction humaine portée, à l’origine, par la fécondation in vitro et ensuite, par la GPA ».
Selon le professeur Nisand, l’ectogenèse ne relève plus de l’utopie depuis une étude menée en 2017 sur des fœtus d’agneaux. Cette année-là, une équipe de l’hôpital pour enfants de Philadelphie avait mis au point le Biobag, un sac rempli de liquide amniotique artificiel et relié à un cordon ombilical, qui a permis de maintenir en vie et de faire croître des agneaux prématurés pendant plusieurs semaines.
Le médecin estime toutefois que, pour l’instant et sans doute encore pour plusieurs années, « aucune réalisation concrète » d’une grossesse extra-utérine complète n’est envisageable. « On sait que cela va arriver un jour mais pour l’instant, sur l’être humain, on est loin du compte », insiste-t-il.
En effet, « même si la recherche sur les utérus artificiels progresse, de nombreux points restent incertains et plein d’obstacles technologiques sont encore devant nous ». Israël Nisand explique qu’à ce jour, la science peut maintenir un embryon en culture jusqu’à deux ou trois semaines après la fécondation, et prendre en charge un fœtus de 22 à 40 semaines en dehors de l’utérus. Ainsi, « il reste 20 semaines à couvrir entre l'in vitro et les traitements de prématurité », pendant lesquelles, « les échanges qu'il y a au sein de l'endomètre, c'est-à-dire la muqueuse qui tapit l'utérus, entre la mère et le fœtus, sont extrêmement mystérieux et complexes. Pour l'instant, on ne les maîtrise pas de manière artificielle ».
Le professeur souligne aussi les « manquements affectifs » dont pourrait souffrir un bébé issu d’un utérus artificiel. Selon lui, « on sent bien qu'il y a une nécessité de contact, mais on n’a aucune évaluation de ce que représenterait pour un enfant une grossesse extra-corporelle ».
Selon la sociologue Céline Lafontaine, l’utérus artificiel « s’inscrit dans l’économie de la promesse », c’est-à-dire dans une dynamique qui met davantage l’accent sur les potentialités et les espoirs suscités par les innovations que sur leurs réalisations concrètes et effectives. « Les développements technoscientifiques, en particulier dans le domaine biomédical, reposent souvent sur ce mécanisme sociologique bien connu qui consiste à mettre en avant des perspectives prometteuses afin de susciter espoir, financement et adhésion », explique-t-elle. Dans le cas du robot de grossesse, « la promesse de dépasser les limites biologiques du corps humain s’incrit dans un imaginaire très vaste allant du désir de vaincre l’infertitilé à la volonté de séléctionner les enfants à naitre ».
Le professeur Israël Nisand, estime quant à lui qu'à l'avenir l’utérus artificiel pourrait contribuer à libérer les femmes des risques liés à la grossesse et à l’accouchement. Le spécialiste rappelle qu’en France, environ 80 femmes meurent chaque année en couche. « Une partie de ces décès sont dus à l'âge des mères, à des anomalies ou à des maladies. Si on pouvait éviter des morts maternelles grâce à l'utérus artificiel, et on en évitera, c'est juste un plus », estime-t-il.
En évoquant l’affaire des bébés nés sans bras révélée en 2018 et restée non résolue, Israël Nisand exprime son inquiétude quant aux conséquences que pourrait avoir, à l’avenir, la pollution croissante sur la santé des fœtus. « Je pense notamment aux pesticides et aux xénoestrogènes, que l’on soupçonne d’être à l’origine de certains cancers du sang ou de l’endométriose », précise-t-il. Selon lui, l’utérus artificiel pourrait à terme être envisagé comme une réponse aux risques que la pollution fait peser sur la grossesse et le développement des fœtus.
LA QUESTION DE LA REPRODUCTION TOUCHE À NOTRE RAPPORT AU VIVANT
L’ectogenèse suscite déjà de nombreux débats juridiques et éthiques, mais pour le professeur Nisand, il est prématuré d’aborder ces enjeux tant que la faisabilité technique n’est pas démontrée. « L'être humain fait toujours le meilleur et le pire de ses découvertes. Il en sera de même pour l'utérus artificiel », souligne-t-il. En comparaison avec la GPA, le professeur considère que « l’utérus artificiel posera un problème de moins », puisqu’il évitera d’avoir recours à une femme pour porter l’enfant d’autrui. Selon lui, « la GPA pose [à la fois] le problème de la liberté de la femme qui accepte de porter un enfant pour autrui, et celui [du statut] de l’enfant ».
Le médecin explique « qu’une femme qui n'a pas d'utérus aujourd'hui ne peut se tourner que vers la GPA. Et si elle ne peut pas le faire en France, elle le fait ailleurs. Lorsque la technique de l'utérus artificiel fonctionnera correctement et sans séquelles pour l'enfant, les personnes qui en ont besoin y auront recours sans aucune hésitation. Donc il y aura moins de GPA, ce qui est une bonne chose ».

Les scientifiques savaient déjà que la grossesse mettait le corps à rude épreuve, mais désormais une étude montre que lorsqu’elle est enceinte, une femme est susceptible de voir s’accélérer le vieillissement de ses cellules.
Céline Lafontaine souligne que dans la GPA, « il y a aussi une logique d'auto-exploitation. [La grossesse] devient un travail ». Cette pratique révèle déjà d'une « logique machinique », où l’on va produire et sélectionner les enfants à naître. Selon elle, l’ectogenèse n’en est que « le miroir inversé », qui rend explicites des mécanismes déjà à l’œuvre. Avec l’utérus artificiel, « on est dans un imaginaire délirant sur le plan technique, mais le discours reste rationnel : cela coûterait moins cher [que la GPA] et offrirait un meilleur accès », estime la sociologue.
Dans un contexte d’augmentation de l’infertilité, elle explique « qu'on a créé un monde où le corps de femmes est perçu à la fois comme une ressource et comme un obstacle qu’il faut contrôler techniquement pour prolonger sa valeur reproductive ». À ses yeux, « c’est exactement ce qui arrive avec l’autoconservation des ovocytes », autorisée en 2021 en France.
La sociologue estime que « l’imaginaire de pouvoir créer et maîtriser la vie » trouve son origine dans la fécondation in vitro, inaugurée en 1978 avec la naissance de Louise Brown, premier enfant conçu grâce à cette technique. « Maintenant, [la FIV] est normalisée dans nos sociétés, […] ce qui dénote qu'on est vraiment dans une vision d'un corps qui est machinique, qu'on peut transformer, modifier », souligne la professeure, qui évoque même « un imaginaire transhumaniste ordinaire ».
Elle ajoute que l’utérus artificiel s’inscrit dans le prolongement « de cet imaginaire qui, quand on connaît [la réalité actuelle de] la fécondation in vitro, apparaît complètement déréalisé. […] Aujourd’hui, dans toutes les cliniques de France, après cinquante ans de recherche et de pratiques cliniques, et avec des millions d’enfants nés dans le monde grâce à la fécondation in vitro, les taux de réussite [à la première tentative] restent de l’ordre de 30 % ». Autrement dit, même un traitement aujourd’hui banalisé comme la FIV demeure encore incertain dans ses résultats, ce qui invite à relativiser les promesses d’une gestation entièrement artificielle.
« Il y a très peu de traitements médicaux acceptés avec des taux d'échec aussi importants. Surtout quand ce n'est pas un traitement pour sauver des vies. Mais l'imaginaire de créer la vie est tellement fort [qu’il l’emporte] », précise Céline Lafontaine. Selon elle, la promesse de l’utérus artificiel « va un cran plus loin dans cet imaginaire, car [elle repose sur] l'idée que l'individu peut choisir de se reproduire en dehors des cadres biologiques de l'espèce », une valeur perçue comme progressiste et émancipatrice dans notre société.
