La danse serait plus efficace que les antidépresseurs

Des recherches montrent que le fait de se mouvoir au son de la musique en compagnie d’autres personnes permet de mieux combattre les symptômes de la dépression que la marche, le yoga, voire certains traitements usuels.

De Christabel Lobo
Publication 30 sept. 2025, 09:10 CEST
Une méta-analyse portant sur 218 essais cliniques et 14 000 personnes a révélé que la danse était ...

Une méta-analyse portant sur 218 essais cliniques et 14 000 personnes a révélé que la danse était plus efficace pour atténuer les symptômes de la dépression que d’autres formes communes d’exercice.

PHOTOGRAPHIE DE Nick Fancher

Le kick est de 128 battements par minute. Sur une piste de danse bondée, les corps ondulent de manière synchronisée. Pour un observateur extérieur, cela peut avoir tout l’air d’une fête hédoniste. Mais pour un neuroscientifique, cela s’apparente davantage à une thérapie de groupe.

« La danse est un langage corporel », affirme Julia F. Christensen, neuroscientifique de l’Institut Max-Planck d’esthétique empirique et autrice du livre Dancing is the Best Medicine. « Le cerveau comprend les gestes que nous sommes susceptibles de faire quand nous dansons comme un langage expressif. »

Depuis des siècles, on se tourne vers la danse non seulement pour célébrer, accomplir des rituels ou guérir. Bien avant que des scientifiques ne se mettent à mesurer des ondes cérébrales et à pister des neurotransmetteurs, les danseurs comprirent intuitivement le pouvoir que comporte le fait de se mouvoir en groupe.

Désormais, la recherche commence à rattraper son retard.

Une méta-analyse publiée en 2024 dans la revue The BMJ ayant passé en revue 218 essais cliniques a révélé que la danse réduisait les symptômes de la dépression plus que la marche, que le yoga, que la musculation et même que les antidépresseurs standards. Si seules quinze de ces études portaient spécifiquement sur la danse, les résultats ont suffi à attirer l’attention des chercheurs.

« J’ai été surpris qu’il y ait ne serait-ce que cinq études sur la danse », se souvient Michael Noetel, maître de conférences à l’Université du Queensland et auteur principal de l’analyse. « Entre l’activité physique, l’interaction sociale et l’infusion de musique, cela ne m’étonne pas que la danse s’en sorte bien. » Toutefois, les chercheurs soulignent que davantage d’études à grande échelle sont nécessaires avant que l’on puisse considérer la danse comme un traitement autonome.

Selon une enquête réalisée en 2023 par Gallup, aux États-Unis, 29 % des adultes traverseront un épisode dépressif à un moment donné de leur vie. Selon la Haute autorité de santé, en France, 20% des adultes seront concernés. Et au vu de l’inaccessibilité des thérapies pour un grand nombre de personnes, la danse pourrait offrir quelque chose de rare : un traitement à la fois gai, abordable et faisant déjà partie intégrante de la manière dont les humains se lient.

 

POURQUOI VOTRE CERVEAU AIME SE MOUVOIR AU SON DE LA MUSIQUE

Le cerveau humain est constitué de telle sorte que le rythme et la danse font participer le système nerveux dans sa totalité. Certains neuroscientifiques décrivent cette stimulation totale du corps comme une symphonie neurochimique.

L’anticipation d’une mélodie peut déclencher la sécrétion de dopamine. Le mouvement stimule la production d’endorphine. La danse en compagnie d’autrui fait grimper le taux d’ocytocine. Des études ont montré que ce trio peut améliorer l’humeur, renforcer les liens sociaux et réduire le stress.

Selon Julia F. Christensen, cette combinaison d’éléments distingue probablement la danse d’autres formes d’exercice, comme le sport et le yoga. « Dans la danse-thérapie, par exemple, la réduction effective de l’anxiété et des symptômes dépressifs est liée à la composante expressive de la danse, explique-t-elle. Vous prenez quelque chose qui fait que vous êtes vous et personne d’autre, ou bien des sentiments qui sont difficiles pour vous, puis vous les évacuez de votre système, en les exprimant à travers les gestes de vos bras en dansant. »

Dans les essais cliniques, cela se traduit de façons mesurables. « Ce n’étaient ni les étirements lents, ni la fréquence à laquelle on faisait de l’exercice chaque semaine, ni la durée du programme qui avaient de l’effet », observe Michael Noetel. Plus on dansait avec vigueur, plus la réduction des symptômes était importante, notamment s’il y avait de la musique. 

Dans ces moments d’intensité maximale, quand la basse explose, que le sol se met à vibrer et que de parfaits inconnus bougent à l’unisson, des chercheurs ont observé un phénomène particulier : la synchronisation inter-cérébrale, c’est-à-dire l’alignement de l’activité cérébrale d’un groupe de personnes, un phénomène que l’on observe souvent par encéphalographie lorsque l’on étudie le mouvement collectif.

Selon Julia F. Christensen, le fait de se mouvoir en synchronisation avec d’autres personnes brouille la frontière entre soi et autrui et cela peut susciter une forte augmentation de la confiance et du sentiment de connexion.

 

COMMENT LA DANSE REPROGRAMME L’ESPRIT ET LE CORPS

Pour les personnes vivant avec la dépression, les gestes les plus élémentaires peuvent perdre en intensité. Des neuroscientifiques ont observé une réduction de l’expressivité faciale ainsi qu’une inhibition des gestes et de la posture ; chose que certains décrivent comme une perte du vocabulaire émotionnel du corps.

La danse offre un moyen unique de se reconnecter à soi-même. Elle peut activer des chemins émotionnels, cognitifs et sensoriels, réveiller une impression de lien à l’intérieur de soi et en dehors.

La dépression ne se résume pas à l’humeur. Elle affecte également la relation à son propre corps et aux autres. « Le cerveau humain a besoin d’autres humains autour de lui pour rester sain et en bonne santé, physiquement et mentalement, explique Julia F. Christensen. Pour des raisons liées à l’évolution, le cerveau entre en mode survie s’il est seul. »

La danse peut aussi offrir ce que la thérapie verbale ne peut pas apporter : un moyen de traiter les émotions sans passer par le langage. « La danse invite les gens à exprimer quelque chose sans avoir besoin de le mettre en mots », explique-t-elle. Pour beaucoup, cela peut être profondément réparateur et une excellente thérapie complémentaire à la thérapie par la parole.

Cela pourrait expliquer pourquoi les approches les plus efficaces ne se limitaient pas au simple mouvement, mais impliquaient également de danser en musique avec d’autres personnes, un facteur que Michael Noetel considère comme potentiellement clé de l’efficacité de la danse.

 

POURQUOI DANSER GUÉRIT

Au-delà de l’amélioration de l’humeur et au-delà de l’activité physique, la danse en groupe procure une chose propre à l’être humain : des liens profonds.

À Détroit, dans les années 1980, des innovateurs noirs, comme Juan Atkins, ont introduit les boîtes à rythmes dans les fêtes des jeunes et ainsi créé ce qui deviendrait la house et la techno. Il ne s’agissait pas là uniquement d’innovations musicales ; il s’agissait de lieux de réparation sociale où l’on se retrouvait lors de périodes difficiles. Les historiens de la culture et les ethnomusicologues ont depuis décrit ces espaces comme cruciaux pour la joie, pour la résistance et pour la solidarité.

Julia F. Christensen fait observer que danse en compagnie d’autres personnes peut brouiller les frontières entre les individus. « Si nous bougeons de manière synchronisée, cela perturbe notre cerveau d’une bonne manière et fait se chevaucher la perception de moi et de toi », explique-t-elle. Les neuroscientifiques appellent ce chevauchement « co-représentation ». Celle-ci est susceptible de renforcer les liens, la confiance et l’empathie, des aspects essentiels du bien-être mental.

Ces résultats ont inspiré de nouvelles approches thérapeutiques et sociales consistant en la mise en œuvre de programmes fondés sur le mouvement et servant à aider les patients ayant des difficultés pour s’exprimer ou en situation d’isolement social.

Au Royaume-Uni, la NHS propose des programmes de danse à destination des personnes âgées souffrant de démence. En Australie, des chercheurs ont découvert que des programmes de danse structurés peuvent être aussi efficaces, voire davantage, que d’autres exercices pour améliorer la santé mentale, la motivation et la fonction cognitive, et ce quel que soit le groupe d’âge.

 

SE FRAYER UN CHEMIN JUSQU’À LA PISTE DE DANSE

En laboratoire, de nombreuses approches contre la dépression se focalisent sur la gestion des symptômes. Selon certains, la danse ne se résume pas à cela : elle crée des moments de joie. 

Des cours de salsa aux clubs underground, les meilleurs résultats proviennent des programmes qui donnent la priorité à l’engagement social et à la musicalité. La danse se révèle le plus efficace dans les environnements où la créativité et l’initiative personnelles sont encouragées. Selon les chercheurs, cela contribue au rétablissement d’un sentiment de contrôle et d’expression de soi souvent affaibli par la dépression.

Ce constat inspire une nouvelle génération de programmes axés sur la danse. Des salles de classe aux centres pour personnes âgées, les instructeurs mettent désormais plus l’accent sur l’expressivité du mouvement et sur la cohésion de groupe que sur la précision technique.

La danse peut également restaurer une chose que la dépression enlève souvent : l’autonomie. Elle offre la possibilité de choisir son style, son rythme, sa manière de bouger.

« Si les gens ne savent pas ce que la danse peut faire pour eux, c’est qu’ils n’ont probablement pas encore trouvé leur style de danse, affirme Julia F. Christensen. Il existe dans ce monde des centaines de styles de danse parmi lesquels choisir. » Alors que les soins en santé mentale continuent d’évoluer, la danse apparaît comme bien plus qu’une pratique culturelle ou qu’un simple exercice physique.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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