La prosopagnosie, l'incapacité à reconnaître les visages, serait plus fréquente qu’on ne le pensait

Ce trouble neurologique peut être inné ou acquis après une lésion cérébrale ou un AVC, avec parfois de lourdes conséquences sur la vie des malades.

De Stacey Colino
Publication 9 août 2025, 09:12 CEST
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Pour les personnes atteintes de prosopagnosie, reconnaître les visages familiers ou même différencier des visages s'avère parfois impossible. Une étude publiée dans la revue Cortex suggère que la prévalence de la prosopagnosie pourrait être supérieure aux estimations établies jusqu'à présent.

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Quel est le point commun entre la primatologue Jane Goodall, l'acteur Brad Pitt et le défunt neurologue britannique Oliver Sacks, auteur de L'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau ? Réponse : une maladie appelée prosopagnosie. Les personnes atteintes de ce trouble neurologique ont des difficultés à se souvenir des visages célèbres ou familiers et elles pourraient être plus nombreuses qu'on ne le pensait.

Terme dérivé du grec prosopon (visage) et agnosia (manque de connaissance), la prosopagnosie n'implique généralement pas un manque d'acuité visuelle ou de sensibilité au contraste. Le sujet prosopagnosique a simplement du mal à se souvenir du visage des personnes qu'il rencontre ou même à les distinguer.

« Il s'agit d'un trouble de la perception visuelle de haut niveau : les personnes atteintes de la maladie perçoivent l'image visuelle mais ne reconnaissent pas le visage », indique Christopher M. Filley, professeur de neurologie spécialisé dans la neurologie comportementale au sein de l'University of Colorado School of Medicine. « Leur cerveau n'identifie pas les éléments du visage. »

Longtemps considéré comme une maladie rare, le trouble serait en fait plus répandu qu'on ne le pensait, d'après une étude publiée en 2023 dans la revue Cortex. Au lieu d'une distinction binaire entre personnes atteintes ou non de la maladie, la prosopagnosie se déclinerait en différents degrés de gravité et de symptômes. En fonction des critères retenus, la maladie pourrait ainsi affecter entre 1 % et 5 % des adultes. 

« Par exemple, les individus atteints d'une forme grave de prosopagnosie peuvent ne pas reconnaître leur partenaire au loin dans un supermarché », indique Joe DeGutis, chercheur en neurosciences cognitives et codirecteur du Boston Attention and Learning Laboratory au sein du VA Boston Healthcare System. « Ils peuvent s'appuyer davantage sur le contexte. » En d'autres termes, ils pourraient reconnaître leur partenaire en se réveillant à leur côté le matin ou en rentrant du travail, mais ne pas les reconnaître dans une situation inattendue.

Quel que soit le contexte, « pour apprendre un visage, les personnes atteintes de prosopagnosie doivent y être exposées plus souvent », résume DeGutis.

 

MALADIE GÉNÉTIQUE OU ACQUISE?

Il ne s'agit pas d'une seule maladie, mais bien d'une famille de maladies, indique Jason Barton, professeur de neurologie et de neurosciences à l'université de la Colombie-Britannique de Vancouver, au Canada. Dans certains cas, « le sujet peut avoir du mal à se souvenir de visages [familiers] mais reconnaître les différents visages sur des photos. Dans d'autres cas, les sujets ne perçoivent pas les différences entre les visages. »

En dehors de l'échelle de gravité, il existe deux formes majeures de prosopagnosie. La première est causée par des facteurs développementaux, hypothétiquement génétiques, et la seconde est acquise.

Du côté développemental, « des familles entières peuvent être atteintes de la maladie », indique Sarah Bate, professeure de psychologie à l'université de Bournemouth au Royaume-Uni. « Pour ce qui est de trouver le gène responsable, aucune étude n'a encore été menée à ce jour. »

À ce stade, « nous ne savons pas s'il s'agit d'un problème survenu au cours du développement de l'individu ou d'une maladie génétique », reconnaît DeGutis, également professeur adjoint du département de psychiatrie de la Harvard Medical School.

À l'occasion d'une revue systématique de la littérature publiée en 2023 dans la revue Brain Sciences, les chercheurs ont examiné soixante-trois études comparant la structure et l'activité cérébrales de personnes atteintes de prosopagnosie développementale et de sujets sains ; ils ont constaté que les sujets prosopagnosiques présentaient une connectivité anatomique et fonctionnelle défaillante entre une partie du système visuel humain, le gyrus fusiforme, et d'autres régions dédiées à la reconnaissance des visages, par rapport aux sujets sains.

Les personnes atteintes de prosopagnosie depuis leur enfance peuvent ne pas être conscientes de leur incapacité à reconnaître les visages familiers et se culpabiliser pour leur manque d'attention ou de mémoire.

« Beaucoup ne prennent conscience de leur maladie qu'à l'âge de vingt ou trente ans, parfois même plus tard », indique DeGutis.

Parmi les sujets prosopagnosiques tout au long de leur vie, les chercheurs ont remarqué que la maladie était plus répandue chez les personnes souffrant d'un trouble du spectre autistique.

« Entre un tiers et la moitié des personnes atteintes d'autisme ont du mal à reconnaître les visages, mais la raison pourrait être différente », nous explique Barton. Les autistes évitent souvent le contact visuel avec les personnes qu'elles rencontrent, ce qui pourrait en partie expliquer ces difficultés.

Avec la prosopagnosie développementale, la capacité à reconnaître les visages pourrait être liée aux stratégies de perception des visages utilisées.

Bate et ses collaborateurs ont découvert que les sujets prosopagnosiques avaient tendance à se concentrer sur la région de la bouche et la partie inférieure du visage au lieu des yeux. À l'inverse, les individus qualifiés de « super-reconnaisseurs », qui possèdent une capacité exceptionnelle de reconnaissance des visages, se concentrent davantage sur le nez et la région centrale du visage, associée à une meilleure reconnaissance.

 

PROSOPAGNOSIE ACQUISE

La prosopagnosie peut également être déclenchée par une lésion cérébrale, une tumeur, un accident vasculaire cérébral, une encéphalite ou une maladie neurodégénérative, comme Alzheimer, chez des personnes qui présentaient auparavant de bonnes capacités de reconnaissance des visages. Dans son étude, la doctorante en neurosciences cognitives au Darmouth College, Marie-Luise Kieseler, s'est intéressée aux cas de patients COVID long qui ont développé des difficultés à reconnaître les visages et d'autres problèmes d'orientation.

Après avoir eu du mal à reconnaître les visages pendant la majeure partie de sa vie, Dacia Reid, aujourd'hui âgée de soixante-deux ans, a découvert qu'il existait un nom pour ses problèmes il y a six ans, lorsqu'elle a répondu au questionnaire mis en ligne par le Centre de recherche sur la prosopagnosie.

À l'école primaire, Reid a subi un traumatisme crânien qui a entraîné un trouble convulsif et des pertes de mémoire. À l'âge adulte, elle a subi une opération visant à traiter les crises épileptiques. Si la procédure est bien parvenue à réduire l'épilepsie, avec l'association d'un traitement médicamenteux, elle a également amplifié sa prosopagnosie.

« Je peux me souvenir d'un visage, mais je ne me rappelle pas toujours à qui il appartient », témoigne Reid, mariée et mère de deux enfants, désormais adultes. « Si une personne change sa coupe de cheveux, je suis perdue, je ne la reconnais plus. » 

L'obtention d'un diagnostic clair, comme l'a fait Reid après tant d'années, peut être très bénéfique. « Prendre conscience de la maladie est souvent un véritable soulagement pour les patients qui comprennent enfin mieux leur vie », déclare DeGutis.

Après tout, le fait de ne pas reconnaître une connaissance risque de la blesser ou de rendre délicates les interactions sociales. Les personnes prosopagnosiques peuvent également être perçues comme distantes ou froides. 

« Aller à une fête et ne pas reconnaître les personnes que l'on connaît peut être très embarrassant », illustre Filley. « Ils ne sont pas malpolis ou dans leur monde. C'est un problème cérébral qui les empêche de reconnaître les visages familiers. »

Dans certains cas, ce trouble neurologique peut affecter la capacité à travailler efficacement. Par exemple, dans le monde des affaires, il peut être difficile de fidéliser des clients si on ne les reconnaît pas. Pour les professeurs, gérer une classe peut s'avérer compliqué s'ils ne reconnaissent pas leurs élèves, indique Bate.

 

TRAITEMENTS ET INTERVENTIONS

Dernièrement, diverses interventions ont été mises à l'essai pour améliorer la capacité des sujets prosopagnosiques à reconnaître les visages.  

Dans l'une de ces études, le sujet atteint de prosopagnosie développementale devait utiliser une dose unique d'ocytocine ou de placebo en pulvérisation nasale, attendre 45 minutes que le produit fasse effet, puis se soumettre à deux tests de reconnaissance des visages. L'ocytocine était ici utilisée comme hormone favorisant le lien humain et le comportement prosocial. Les sujets ayant utilisé l'ocytocine ont présenté une amélioration temporaire de leurs capacités à percevoir et à reconnaître les visages.

De la même façon, une étude a montré que lorsque des personnes atteintes de prosopagnosie développementale ou acquise s'entraînaient pendant onze semaines avec un programme informatique visant à renforcer leur capacité à distinguer des visages, leur aptitude à reconnaître les visages s'améliorait pendant au moins trois mois. 

Il existe également des programmes d'entraînement en ligne qui peuvent aider les personnes à se concentrer sur les visages et à identifier leurs différences. La pratique régulière de ces exercices d'entraînement du cerveau peut aider les sujets prosopagnosiques à améliorer leur capacité de reconnaissance des visages.

« Avec de l'entraînement, les patients peuvent souvent faire mieux », assure Barton. « Il ne s'agit pas de guérison, mais d'une amélioration d'environ 30 %. »

Reste encore à déterminer si cette amélioration se traduit par une meilleure mémorisation des visages.

Bien souvent, les personnes prosopagnosiques développent des stratégies pour compenser leurs difficultés à reconnaître les visages. Elles peuvent par exemple se souvenir « d'une bague ou de la façon dont la personne marche ou parle », indique Bate. Les professeurs peuvent s'appuyer sur un plan de classe pour les aider à identifier leurs élèves.

Dans la vie sociale, il peut être utile pour les individus atteints de la maladie de poser des questions stratégiques dans la conversation afin de recueillir des indices sur l'identité d'une personne, mais aussi de demander à leur ami ou partenaire d'inclure le nom de la personne dans la conversation, suggère Bate. D'autres « se contentent d'être très amicaux avec tout le monde », ajoute DeGutis.

De son côté, Reid pose souvent des questions visant à identifier le contexte dans lequel elle connaît la personne. Si cette stratégie ne fonctionne pas, elle dit simplement avoir oublié son prénom.  

Parfois, il peut même être utile d'expliquer la maladie à votre entourage, indique Barton. « Il n'y a aucune honte à être atteint de cette maladie. Je dis souvent à mes patients, "ne la laissez pas se mettre en travers de vos envies". C'est un problème qui peut être facilement contourné. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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