Un champignon potentiellement mortel se propage à un "rythme alarmant" aux États-Unis

Candida auris, un champignon dont la propagation rapide serait une conséquence directe du changement climatique, alarme les scientifiques. Que sait-on de ce nouveau risque sanitaire, et doit-on s'en inquiéter ?

De Sarah Gibbens
Publication 14 avr. 2023, 17:22 CEST
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Dans un laboratoire de Wurtzbourg, en Allemagne, un scientifique tient une boîte de Petri contenant un échantillon de Candida auris. Identifié pour la première fois au Japon, ce champignon constitue désormais une menace au niveau mondial.

PHOTOGRAPHIE DE Nicolas Armer, picture alliance, Getty Images

En 2009, à Tokyo, un nouveau champignon a été découvert dans l’oreille d’une femme japonaise. En 2016, il a été détecté pour la première fois aux États-Unis, dans un hôpital de New York. Aujourd’hui, il a désormais été observé dans vingt-huit États et dans le District de Columbia. 

Candida auris a infecté un peu plus de 2 300 personnes aux États-Unis l’année dernière et se propage à un « rythme alarmant », selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC).

Les premières recherches suggèrent que l’augmentation des températures mondiales, une conséquence directe du changement climatique, pourrait bien avoir aidé le champignon à évoluer et ainsi à survivre à l’intérieur du corps humain. Ses origines restent toutefois un mystère : nous ne savons toujours pas où il est apparu, et pourquoi son arrivée a été si soudaine.

« Pour l’instant, nous n’avons aucune preuve tangible [de ses origines] », affirme Luis Ostrosky, chef du service des maladies infectieuses et de l’épidémiologie à l’UTHealth Houston et au Memorial Hermann. Le changement climatique est néanmoins « une théorie plausible ».

Voici ce que les scientifiques savent de Candida auris, des raisons potentielles de son apparition, et des prochaines menaces sanitaires qui pourraient bien nous attendre.

 

COMPRENDRE CE CHAMPIGNON

Certaines infections fongiques sont courantes, telles que le pied d’athlète, mais les infections à Candida auris sont plus rares et commencent à l’intérieur du corps : elles se multiplient dans le sang ou couvent dans une plaie déjà ouverte.

Les cas surviennent principalement chez les personnes déjà immunodéprimées, et qui reçoivent des traitements médicaux réguliers dans le cadre desquels elles peuvent entrer en contact avec des risques tels qu’une intraveineuse infectée.

« Vous n’attraperez pas Candida auris à la salle de sport, et vos enfants ne l’attraperont pas à l’école, mais si vous êtes un patient qui a des contacts fréquents avec le système de santé, vous devez être conscient de ce risque », alerte Ostrosky.

La raison pour laquelle Candida auris est si inquiétant, c’est parce qu’il est difficile à détecter et encore plus difficile à traiter. Selon Ostrosky, dans 50 % des cas, les analyses sanguines habituelles, qui constituent le moyen le plus courant de dépister une infection, ne permettent pas de détecter le champignon. Les grands hôpitaux et universités spécialisés disposent de nouveaux tests capables de détecter le matériel génétique du champignon dans le sang, mais selon Ostrosky, ils sont difficiles à trouver ailleurs.

Lorsque le champignon est détecté, il est souvent résistant aux traitements antifongiques, et les spores peuvent survivre sur des surfaces extérieures à l’organisme pendant des semaines. Même si vous parvenez à éliminer le champignon, vous pouvez donc être réinfecté. Les CDC estiment qu’environ 30 à 60 % des personnes infectées par ce champignon sont décédées, mais soulèvent que de nombreuses victimes souffraient de problèmes médicaux préexistants.

Selon Ostrosky, la cause de la récente recrudescence de ces infections pourrait être liée aux pénuries de personnel et d’équipements lors des pics de COVID-19. Certains hôpitaux avaient en effet dû prendre des mesures exceptionnelles, en réutilisant par exemple des équipements de protection.

 

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN CAUSE ?

De manière générale, le corps humain est trop chaud pour que les champignons puissent y survivre. Cependant, face au changement climatique qui entraîne une augmentation des températures moyennes et des vagues de chaleur plus fréquentes et plus extrêmes, il est possible que les champignons aient évolué pour résister et qu’ils aient, par conséquent, plus de chances de survivre dans notre organisme. Pour les scientifiques, ce serait la raison pour laquelle Candida auris a pu apparaître du jour au lendemain.

Selon un article publié en 2019, le champignon serait devenu une menace pour la santé humaine de manière simultanée sur trois continents différents.

Arturo Casadevall, expert en maladies infectieuses à Johns Hopkins, suggère que le dénominateur commun est le réchauffement des températures dans le monde.

« Nous avons suggéré que [Candida auris] pourrait être le premier champignon pathogène issu du changement climatique », explique-t-il.

Un autre article de 2019, rédigé par des scientifiques des CDC, indiquait également que le changement climatique était une explication plausible de l’émergence de Candida auris, mais que seules des recherches supplémentaires pouvaient confirmer cette hypothèse.

En août, des chercheurs autrichiens ont appelé à une « action mondiale concertée » en réponse à l’émergence de cette menace pour la santé publique. « Ces défis sont un douloureux rappel de notre vulnérabilité persistante face aux maladies infectieuses, et il fait peu de doute que nous devrons affronter des menaces comparables à l’avenir », ont-ils écrit.

 

LE PREMIER, MAIS PAS LE DERNIER

La communauté scientifique nous avertit depuis des années que le changement climatique aura des conséquences si radicales sur les conditions météorologiques et les températures que de nouvelles maladies risqueront de voir le jour.

Depuis que Candida auris a été détecté pour la première fois au Japon, les scientifiques ont documenté davantage de propagations d’infections fongiques, notamment en raison des conditions météorologiques plus extrêmes.

En 2017, les pluies extrêmes de l’ouragan Harvey, amplifiées par le changement climatique, ont exposé les habitants de Houston, dont certains étaient immunodéprimés, à des moisissures mortelles qui se développaient sur les débris trempés de la tempête. Sur la côte ouest des États-Unis, une infection fongique connue sous le nom de « fièvre de la vallée » (coccidioïdomycose) est en pleine propagation vers le nord. En outre, les conditions plus sèches causées par la méga-sécheresse qui sévit dans la région favorisent la propagation des spores fongiques.

« La possibilité d’un plus grand nombre de mutations en réponse au stress thermique est une réelle préoccupation », révèle Asiya Gusa, généticienne moléculaire à l’Université Duke. « Les champignons environnementaux qui nous préoccupent le plus sont ceux que nous respirons dans nos poumons sous forme de spores dans l’air. »

Dans le cadre d’une étude publiée en janvier, Gusa et ses collègues ont étudié Cryptococcus deneoformans, un champignon que l’on trouve couramment dans le sol et qui, s’il infecte un humain, peut entraîner une méningite ou une pneumonie potentiellement mortelles. L’équipe a constaté que lorsque le champignon était chauffé de 30 à 36,6 °C, les gènes présents dans son ADN étaient plus susceptibles de se déplacer et de muter, ce qui démontre une certaine capacité d’adaptation.

Bien que l’étude n’offre qu’un premier aperçu du comportement du champignon en laboratoire, Gusa estime que ces résultats pourraient avoir des implications bien plus larges.

« L’étude suggère que les champignons pourraient bien s’adapter plus rapidement que prévu au réchauffement des températures. C’était vraiment alarmant », conclut-elle.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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