L’ascension de l’Everest pourrait devenir encore plus difficile
Une nouvelle proposition de loi au Népal vise à durcir les prérequis et à améliorer les conditions de sécurité pour gravir le toit du monde. Ces propositions sont cependant rarement adoptées.

Le mont Everest et le mont Lhotse vus au travers de drapeaux de prière bouddhiste au Népal.
Le mois dernier, alors que s’ouvrait la saison de l’ascension de l’Everest, la chambre haute du parlement népalais a proposé de réformer le tourisme. Ils souhaiteraient voter une série de lois qui changerait drastiquement les prérequis attendus de ceux qui souhaitent se risquer sur la plus haute montagne du monde, mais aussi ceux des guides et le coût que tout cela implique.
La proposition de cette année inclut un décret, qui fixe que les plus courageux des aventuriers devront avoir déjà gravi un sommet de 7 000 mètres situé au Népal. Les guides devront également tous être des citoyens népalais. Pour se risquer à l’ascension, les grimpeurs devront montrer patte blanche en matière de santé en présentant un certificat médical délivré par les institutions approuvées du pays, ils devront également se plier à des garanties financières en matière de déchets et souscrire une assurance qui couvrira le rapatriement coûteux des corps depuis la montagne. Le Washington Post a rapporté que les coûts pour récupérer un corps du mont Everest pouvaient aller de 30 000 à 70 000 dollars américains (26 000 à 61 000 euros).
De telles annonces ont lieu tous les ans. Le gouvernement népalais propose de nouvelles règles afin d’améliorer la sécurité et la responsabilité sur le pic, comme l’interdiction d’aborder l’ascension seul ou d’avoir recours à un hélicoptère, ou encore l’obligation d’un implant GPS et de disposer de ses déjections corporelles. Ces lois sont cependant rarement adoptées, et encore moins appliquées. Cela est dû au refus de certains agences de guides et à une incapacité à réunir suffisamment de votes pour passer de telles législations. La loi dont il est actuellement question n’est encore qu’une proposition, une esquisse, et a encore besoin de passer par les deux chambres du Parlement népalais. Il est donc fort probable que des changements lui soient apportés.

Une équipe d’exploration de haute altitude traverse une crevasse sur le mont Everest.
Les règles les plus controversées de cette année sont de devoir déjà avoir fait l’ascension d’un sommet de 7 000 mètres et que les guides soient Népalais. Ces deux dispositions avaient déjà fait l’objet d’une proposition de loi par le passé, ou sont très similaires à des projets de lois passés, mais n’ont jamais été entérinées.
Selon Lapka Rita Sherpa, guide sur le mont Everest depuis vingt ans et qui en a fait l’ascension dix-sept fois déjà, certaines de ces idées sont généralement bonnes. Comme celle visant à s’assurer que les grimpeurs ont une certaine expérience de l’altitude. Des projets similaires ont cependant déjà été proposés auparavant mais « ils n’ont jamais été acceptés ou mis en œuvre ». Il a cité la difficulté liée à l’implémentation de ces règles, qui requiert un suivi de la part du gouvernement afin de s’assurer que les centaines de compagnies et de grimpeurs concernés se plient aux règles, dans un contexte de réorganisation de son ministère du Tourisme et dans un pays où les pots-de-vin sont monnaie courante. Contacté par National Geographic, le ministère du Tourisme népalais n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.
« La raison pour laquelle ils le font, c’est pour faire la publicité de leurs business et pour donner l’impression qu’ils cherchent à rendre les ascensions de montagnes plus sûres au Népal pour attirer plus de personnes à venir », explique Alan Arnette, qui a gravi la plus haute montagne du monde en 2011. Il est, depuis toujours, un blogueur de l’Everest et suit avec attention les propositions annuelles de lois depuis plus d’une décennie. « Si les lois ne passent pas, c’est parce que les responsables des agences de voyage ne suivent pas les règles, et que le gouvernement ne les fait pas respecter. Tout le monde sait que s’ils imposent certaines de ces règles, le business en pâtirait. »
Contactés par National Geographic, les ministères de la Culture, du Tourisme et de l’Aviation civile, ainsi que le Comité népalais du tourisme n’ont pas souhaité répondre à nos demandes de commentaires.

Des hélicoptères atterrissent et décollent de l’héliport du camp de base pour venir en aide à des grimpeurs blessés du camp 2.
LA SÛRETÉ S’OPPOSE À L’ARGENT
Le tourisme est l’une des industries les plus florissantes du Népal et le mont Everest, le plus haut sommet du monde, est le joyau de sa couronne. Selon les statistiques de tourisme les plus récentes, le mont Everest a vu cette année passer 374 grimpeurs de 49 nationalités, ce qui a généré l'équivalent de 3,5 millions d’euros, simplement pour les coûts de permis. En 2015, pour 359 grimpeurs, cette somme s’élevait à 2,48 millions de dollars américains (2,17 millions d’euros).
Alors que de plus en plus de grimpeurs continuent d’entreprendre le périple vers l’Everest chaque année, le pays récolte des bénéfices économiques proportionnels, mais ils admettent rencontrer des difficultés à traiter les problèmes qui émergent de cet afflux de touristes. Parmi eux, des embouteillages sur la montagne, des problèmes avec l’évacuation des déchets et des déjections corporelles, ainsi qu’un nombre croissant de décès. En 2023, dix-huit grimpeurs ont perdu la vie sur l’Everest et en 2024, ce chiffre est descendu à huit. Parmi certaines des causes de morts les plus courantes sur la montagne on retrouve le mal aigu des montagnes, des chutes, l’épuisement, des disparitions et des avalanches. Comme de plus en plus de personnes perdant la vie sur la montagne, les équipes de soutien doivent transporter de plus en plus de matériel à travers la dangereuse chute de glace de Khumbu, là où une avalanche a coûté la vie à seize sherpas en 2015, alors même qu’ils accomplissaient cette tâche.
La même année, en citant des raisons de sécurité, Expedition Alpenglow a déplacé ses ascensions de l’Everest du côté Sud du pic, au Népal, au côté Nord, au Tibet. Ils ont justifié leur décision en écrivant que le côté népalais « était devenu plein de groupes sans expérience et de guides pas suffisamment qualifiés ». Le côté Nord est beaucoup moins peuplé et beaucoup plus strict quant il est question de règles, explique Lakpa Rita. « En Chine, il faut suivre les règles, quoi qu’il en coûte », dit-il. « Si on ne les suit pas, on n’obtient pas de permis pour accomplir l’ascension. »
ExplorersWeb a confié en septembre 2024 que des règles imposées par l’Association d’alpinisme de la Chine et du Tibet (CTMA) stipulent que les grimpeurs doivent présenter un historique de leurs accomplissements en alpinisme ainsi qu’un certificat médical. Ils doivent déjà avoir complété l’ascension d’un sommet de 7 000 mètres, être accompagnés par un guide de montagne professionnel et avoir recours à des masques à oxygène au-delà de 7 000 mètres. En 2016, Melissa Arnot Reid est devenue la première femme américaine à avoir entrepris avec succès l’ascension de l’Everest sans masque à oxygène. Elle était partie du côté tibétain du mont.


Deux grimpeurs prennent part à une randonnée matinale à travers la chute de glace de Khumbu. On aperçoit le pic Pumori, illuminé en arrière-plan.
Un membre d’une expédition traverse un pont, fait d’échelles en aluminium, qui enjambe une crevasse de la chute de glace de Khumbu.
UNE EXPÉRIENCE DE 7 000 MÈTRES EN PRÉREQUIS
L’une des propositions les plus controversées : que les grimpeurs aient déjà accompli l’ascension d’un des sommets de 7 000 mètres du Népal avant de se lancer à l’assaut de l’Everest. Cette règle ne prendrait pas en compte de tels sommets présents dans d’autres pays, comme le Denali ou l’Aconcagua, ou l’Ama Dablam, très populaire pour se préparer à l’Everest. Bien que situé au Népal, il ne sera pas considéré, ne culminant qu’à 6 812 mètres d’altitude.
Le but est d’assurer que seuls ceux avec une expérience attestée de la haute altitude puissent être autorisés à fouler les flancs de la montagne, faisant suite à plusieurs saisons mortelles, marquées par une foule trop importante et des personnes trop peu préparées. Alan Arnette explique toutefois que beaucoup des sommets de 7 000 mètres concernés par la règle sont « reculés et dangereux », des pics tels que l’Annapurna IV, l’Api Himal, le pic Tilicho et le Baruntse. Il déclare que des exceptions devraient être autorisées pour des sommets populaires comme le Denali et l’Aconcagua.
La proposition d’affermir les prérequis de niveau d’expérience pour ceux voulant tenter l’aventure a été plutôt bien accueillie par la communauté des grimpeurs. C’est surtout au niveau des spécificités de cette règle et des sommets qui sont acceptés que le bât blesse. Garrett Madison, de Madison Mountaineering, a confié à la chaîne d’informations américaine CNN que n’importe quelle montagne d’au moins 6 500 mètres d’altitude, n’importe où dans le monde, serait une bien meilleure idée pour le projet de loi.
« De façon générale, nous sommes en faveur de toutes règles qui durciraient les critères de compétences et d’expérience des aspirants à l’ascension de l’Everest », déclare Suze Kelly, directrice d’Adventure Consultants, une agence de guides située en Nouvelle-Zélande. « [Des règles] qui décourageraient ainsi des personnes de débarquer en pensant qu’elles peuvent se lancer à l’assaut de la montagne sans expérience passée. C’est un comportement que nous observons chaque année avec beaucoup de ces agences low-cost d’aventure qui prolifèrent au Népal. » Beaucoup d’articles ont été rédigés sur les grimpeurs inexpérimentés qui s’aventurent sur la montagne, mettant les autres et leur propre personne en danger. Lakpa Rita Sherpa confie qu’il a déjà vu des personnes n’ayant jamais chaussé de crampons auparavant venir se frotter à la montagne.
Ce genre de prérequis à l’Everest est un sujet récurrent depuis trente ans, le gouvernement népalais avait déjà lancé l’idée que les grimpeurs devaient avoir complété l’ascension d’un pic de 6 000 mètres avant de se lancer sur le toit du monde. Cette règle a cependant été rejetée par les agences d’expéditions et les grimpeurs. « Ils ne veulent pas voir le nombre de grimpeurs diminuer sur l’Everest. Ils ont peur de perdre leur travail », explique Lakpa Rita, qui a discuté avec des représentants du gouvernement par le passé afin de trouver des solutions à la surpopulation de la montagne. « Il n’y a que l’argent qui compte. »
DES TESTS MÉDICAUX
Tous les grimpeurs devront fournir un certificat médical de moins d’un mois, émis par une institution de santé népalaise approuvée par le gouvernement, afin d’attester de leur bonne santé. Les prédentants à l'ultime ascension pourraient ainsi payer pour une expédition, se rendre au Népal et se voir refuser l’accès à la montagne s’ils n'étaient pas jugés aptes à l’ascension.
Alan Arnette pense que, même si cette loi n’est pas acceptée, cela reste une bonne idée de se soumettre à des examens de santé rigoureux avant l’ascension, comme des tests de stress cardiaque pour les plus de cinquante ans et une vérification des taux de fer chez les femmes.

Des lampes frontales illuminent le chemin que les grimpeurs empruntent pour faire l’ascension de la chute de glace de Kumbu, au-dessus du camp de base de l’Everest, au petit matin.
DES GUIDES NÉPALAIS
La règle qui veut que les sirdars, le nom que l’on donne aux sherpas de tête, les guides de haute altitude et les aides des expéditions soient des citoyens népalais avait déjà été évoquée, et des politiques similaires existent dans des pays où le tourisme de haute altitude est populaire. Une loi en vigueur en Équateur exige le recours à des guides locaux pour l'ascension certains sommets. Pour le mont Rainier, situé aux États-Unis, dans l’État de Washington, seuls trois services de guides américains sont autorisés à exercer sur la montagne et quinze autres peuvent parfois être autorisés à entreprendre des excursions.
Lakpa Rita dit apprécier ce genre de propositions de loi qui pourraient offrir de meilleures opportunités aux employés ou aux guides népalais, leur permettant de gagner plus d’argent. Ils insistent néanmoins sur la difficulté de mettre en place de telles mesures et de s’assurer leur bon respect.
DE NOUVELLES ROUTES ET DE NOUVEAUX RECORDS
Si les grimpeurs souhaitent essayer une nouvelle route pour gravir la montagne, ils doivent au préalable en obtenir la permission de la part du ministère népalais du Tourisme. Les grimpeurs devront par la suite s’en tenir à leur itinéraire et ne pourront dévier de leur trajectoire qu’en cas d’urgence et toujours avec l’approbation d’un officier de liaison du gouvernement. Toute tentative de record devra également faire l’objet d’une déclaration en amont de l’ascension.
ASSURANCE VIE ET TAXE DE DÉCHET
Une autre proposition prévoit que les assurances souscrites par les grimpeurs couvrent les frais, onéreux et souvent dangereux, de rapatriement des corps de la montagne. Et pour mieux traiter le problème des déchets sur la montagne, une caution de 4 000 dollars américains (3 500 euros) devra être versée, en plus d’une taxe non-remboursable de gestion des déchets sur la montagne, dont s’occupera le ministère du Tourisme népalais. Selon Lakpa Rita, de telles règles, qui se concentrent sur le bon respect de l'environnement par les agences d’expéditions sont plus susceptibles d’être mises en place, à l’inverse de celles visant à vérifier les certificats médicaux et les permis d’accès à l’Everest.
Une des règles, qui est d’ores et déjà appliquée à en croire Lakpa Rita, consiste à débarrasser la montagne des excréments humains en se servant de sachets prévus à cet effet. Le guide a confié avoir assisté à des réunions en visioconférence avec des officiels du gouvernement afin de leur expliquer comment mettre cette mesure en place. Quand il était sirdar pour Alpine Ascents International, une agence basée à Seattle, il demandait à ses sherpas d’utiliser ces sachets sur la montagne, avant même que les règles soient mises en place. « Pour que de tels dispositifs fonctionnent, explique-t-il, les agences d’expédition doivent se montrer très honnêtes. » En 2015, le Washington Post rapportait que les grimpeurs laissaient derrière eux plus de 12 000 kilos de matière fécale chaque saison. Il qualifiait l’Everest de « bombe fécale à retardement ».
Il demeure incertain que les propositions récentes soient implémentées, et, plus important, appliquées. Alan Arnette encourage les grimpeurs à se renseigner sur les règles en application, et de trouver le moyen d'être en conformité de façon autonome. De nombreuses agences de guides comme Alpine Ascents International et Furtenbach Adventures demandent déjà que leurs clients aient une expérience passée en haute altitude. Pour le moment, la saison de l’ascension de l’Everest touche à sa fin. Alan Arnette a écrit sur son blog que, au total, « au moins 525 personnes » avaient accompli l’ascension de l’Everest, des deux côtés de la montagne.
Sonal Schneider a contribué à l’élaboration de cet article. Il a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
