Découvrez les capitales gastronomiques classées par l'UNESCO

Les villes qui ont intégré le réseau UNESCO « Villes créatives » dans le domaine de la gastronomie montrent que la mémoire peut devenir un ingrédient et avoir un goût de subsistance.

De Rupert Clague
Publication 5 déc. 2025, 18:13 CET
Tucson, dans l'Arizona, est la première ville des États-Unis à avoir obtenu le label « ville créative ...

Tucson, dans l'Arizona, est la première ville des États-Unis à avoir obtenu le label « ville créative de l’UNESCO » dans la catégorie gastronomie.

PHOTOGRAPHIE DE Eric Martin, Figarophoto, Redux

Le soleil se lève rapidement dans le désert de Sonora. À six heures du matin, l’air est déjà brûlant et dégage une odeur de fumée, imprégnée d’un effluve du mesquite provenant du four à bois d’un boulanger. Les pains lèvent lentement, fabriqués à partir d’une variété de blé patrimonial plantée ici pour la première fois voici plusieurs siècles. En déchirant la croûte, son goût sucré de noisette transporte à la fois saveur et souvenir. Chaque grain rappelle à notre bon souvenir une longue lignée d’agriculteurs, les inondations et les mains qui ont refusé de le laisser disparaître. Tucson est la première ville des États-Unis à obtenir le label de « ville créative de l’UNESCO » dans la catégorie gastronomie.

Ce dernier n’a été attribué qu’à cinquante-six villes dans le monde, des lieux exceptionnels qui célèbrent la manière qu’ont les personnes y vivant de cultiver, partager et préserver la nourriture locale, prouvant ainsi que le patrimoine alimentaire est tout aussi essentiel que la langue ou l’architecture. 

Le label de « ville créative de l’UNESCO » dans la catégorie gastronomie reconnaît la manière dont une ville nourrit son âme. Pour l’obtenir, un lieu doit prouver que la nourriture fait partie intégrante de son ADN : elle doit trouver ses racines dans le sol local, être commercialisée sur les marchés ouverts, être mise en valeur par des restaurateurs et restauratrices passionnés, faire l’objet d’un enseignement dans les salles de classe et être consommée avec respect pour la planète qui la produit. Tous les quatre ans, les villes sont réévaluées afin de s’assurer que le goût de l’authenticité n’a pas disparu.

Des déserts de Tucson à la toundra gelée d’Östersund, en passant par les vallées de Parme, jusqu’aux rizières de Battambang, ces villes partagent la même conviction : la nourriture représente davantage qu’un simple moyen de subsistance, c’est un vecteur de mémoire.

Elle peut nous rappeler qui nous sommes, d’où nous venons et ce que nous voulons devenir.

 

TUCSON, ARIZONA

À Tucson, le désert dicte le menu. Les étés fissurent le sol comme de la terre cuite ; la saison de la mousson venue, les averses transforment les routes en rivières. Lorsque l’UNESCO a accordé à la ville de Tucson le label « ville créative » dans la catégorie gastronomie, la première aux États-Unis, elle a ainsi reconnu la persévérance des personnes travaillant dans l’agriculture, en cuisine et à la production locale, qui ont transformé le savoir ancestral en un lien.

Le boulanger de renom Don Guerra a lancé Barrio Bread dans son garage ; aujourd’hui, il s’agit d’un lieu emblématique de Tucson. « Le pain raconte l’histoire culinaire de Tucson, une miche après l’autre », confie-t-il. « Depuis l’attribution du titre par l’UNESCO, j’ai vu notre communauté se rassembler autour de ces ingrédients locaux, [honorant] la tradition tout en créant un modèle de système alimentaire résilient, lié à la région, qui reflète vraiment l’esprit du désert de Sonora. » Ses pains aux textures variées sont ornés d’un saguaro, « un symbole de notre région ».

Au sud de la ville, la San Xavier Co-Op Farm, gérée par des membres de la nation Tohono O’odham, cultive des produits qui font vivre cette région depuis des siècles : haricot tépari (Phaseolus acutifolius), bourgeons de cholla et fruits de saguaro (Carnegiea gigantea) récoltés sur les cactus. « Chaque graine porte en elle des histoires et des chansons », raconte Amy Juan, responsable de la gestion administrative de la ferme, « rappelant que la nourriture est une mémoire rendue comestible ».

Les touristes peuvent goûter à ces mets ancestraux dans toute la ville : des hot-dogs façon Sonora chez Aqui Con El Nene, des pains banniques croustillants du food truck amérindien Popoverz Indian Frybread et de la carne asada chez Tacos Apson. Même dans les véritables institutions comme El Charro Café, les recettes de chimichangas et de nopalitos témoignent du riche patrimoine multiculturel de Tucson. 

 

PARME, ITALIE

Dans les plaines fertiles du nord de l’Italie, l’abondance elle-même est devenue coutume. À Parme, au cœur de la « food valley » italienne, le goût est depuis bien longtemps codifié et enseigné. L’air sent le lait, ainsi que le sel, et les mets sont enveloppés dans du lin frais et affinés.

L’UNESCO a accordé à Parme le label « ville créative » dans la catégorie gastronomie en 2015, reconnaissant non seulement ses produits alimentaires emblématiques protégés, tels que le Parmigiano Reggiano, le Prosciutto di Parma et les vins Colli di Parma DoP, qui ne peuvent provenir d’aucun autre endroit, mais aussi son ambition d’innover par l’éducation.

« Le projet propose un nouveau modèle d’urbanisme », explique Carlotta Beghi, des relations internationales de la municipalité de la ville, « basé sur une approche innovante de l’identité, de la créativité et du développement durable ». À Parme, les enfants apprennent pourquoi les tomates ont meilleur goût en été. À l’heure du déjeuner, les écoles servent des pâtes à base de céréales provenant de la région et de légumes cueillis dans des jardins partagés. Les élèves de la Food City Design Seasonal School étudient la manière de bâtir des communautés autour de l’alimentation plutôt que du confort.

Goûtez à cet héritage au Caseificio San Pier Damiani, où les meules de Parmigiano Reggiano sont retournées à la main dans une saumure chaude, ou bien en dégustant des tortelli di erbette au beurre et au fromage à l’Angiol d’Or, où la râpe à parmesan a été émoussée par des décennies d’utilisation.

Des poissons sèchent au soleil sur un marché où se vend de la pâte de poisson ...

Des poissons sèchent au soleil sur un marché où se vend de la pâte de poisson près de Battambang, au Cambodge. Battambang a intégré le réseau UNESCO « Villes créatives » en 2023.

PHOTOGRAPHIE DE Michael Roberts, Getty Images

 

BATTAMBANG, CAMBODGE

À Battambang, au Cambodge, la mémoire porte l’odeur de la citronnelle, du prahok et de la fumée de feu de bois. Le long de la sinueuse rivière Sangker, l’une des zones les plus minées au monde, les marchés regorgent d’herbes aromatiques : coriandre longue (Eryngium foetidum), basilic sacré (Ocimum tenuiflorum) et feuilles de fagara. Ces ingrédients ont survécu à des années de ravage et sont vendus aux côtés de tarentules, de grillons et de punaises d’eau géantes frits. Après des décennies au cours desquelles tant de traditions culinaires ont disparu, la cuisine est devenue ici une forme discrète de restauration. 

Au Lok Ov Pok, qui signifie « restaurant du père », les plats cuisinés comme à la maison racontent l’histoire de plusieurs générations, celle de la terre et de la perte. « Battambang signifie "tout ce qui est délicieux" », révèle le propriétaire Yong Leng Chhoeurt, en référence à une chanson du chanteur local très apprécié Sinn Sisamouth. « Nous cuisinons comme le faisaient nos parents et nos grands-parents, en utilisant des produits frais de saison provenant des fermes et des marchés des environs, mais avec des idées modernes. Cela devrait donner l’impression de manger dans la salle à manger de mon père : des plats simples, préparés avec des souvenirs. »

Parmi les plats signature se trouvent le mee kola, des nouilles avec des œufs, du porc et des légumes marinés, ainsi que le bok teuk amereuk, une version locale de la salade khmère typique servie avec de petites aubergines et des herbes. Ces plats, poursuit-il, « montrent qui nous sommes ».

Cette ville fait partie d’un réseau mondial de diplomatie culinaire, prouvant que le goût peut rassembler. Battambang a intégré le réseau UNESCO « Villes créatives » dans le domaine de la gastronomie en 2023, soit la reconnaissance de ses traditions ancestrales, de sa résilience et de ses efforts pour promouvoir la cuisine khmère.

 

ÖSTERSUND, SUÈDE

À Östersund, en Suède, à la lisière du cercle arctique, la mémoire s’affine dans le froid. Pour les quelque 50 000 personnes qui vivent ici, les saisons sont extrêmes : de longs hivers sombres et de brefs étés lumineux. Ce n’est pas à cet endroit que l’on s’attendrait à trouver une capitale gastronomique. Le rythme de la terre conditionne ce qui se retrouve dans l’assiette. La viande de renne fumée suovas, le fromage messmör sucré et caramélisé, ainsi que l’omble chevalier (Salvelinus alpinus), constituent la base d’une cuisine préférant l’ingéniosité à la mansuétude.

L’une des premières villes à avoir obtenu le label « ville créative de l’UNESCO » dans la catégorie gastronomie en 2010, Östersund a bâti sa réputation sur le développement durable et l’artisanat à petite échelle. Les productrices et producteurs locaux d’Eldrimner, le Centre de ressources pour les produits fermiers et artisanaux en Suède, forment les nouvelles générations qui travailleront en fromagerie et en brasserie aux techniques utilisées pour conserver le lait, les baies et la viande durant les longs hivers. « Le fromage de chèvre, la confiture de mûres arctiques et le tunnbröd sont les saveurs de notre région », indique Annelie Lanner d’Eldrimner, « mais ce sont aussi des leçons de résilience, la preuve que le savoir traditionnel peut s’adapter aux défis modernes ».

Cet esprit imprègne les cuisines de la nouvelle génération d’Östersund. « Nos ingrédients sont le reflet du climat », déclare Johan Rudsby, chef et propriétaire du Bua, « une saison de végétation courte et des saveurs intenses. Nous conservons les richesses de l’été, par fermentation, fumage et séchage, pour nous alimenter pendant les mois les plus sombres ».

La chef et entrepreneuse Fia Gulliksson, qui a contribué à faire labéliser la ville par l’UNESCO, y voit le commencement d’un mouvement plus vaste. « Devenir une "ville créative" dans la catégorie gastronomie a confirmé ce que beaucoup d’entre nous ressentions depuis longtemps : que la créativité, la production alimentaire à petite échelle et le développement durable sont profondément liés », affirme-t-elle. « Même une petite ville du nord peut montrer la voie vers une culture alimentaire plus régénératrice. »

Le chauffage de la ville est alimenté par du biocombustible, un autre signe de la détermination d’Östersund à vivre en harmonie avec la terre. Dans un climat changeant, cette petite ville du nord a fait de la conservation tout un art.

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    Rupert Clague est un réalisateur, producteur et écrivain attiré par les personnes extraordinaires vivant dans des endroits inattendus. Il a filmé des tribus indigènes péruviennes et des chamans vietnamiens, a accompagné des policiers en patrouille en Arizona et a glissé sur un toboggan aquatique avec Jeff Goldblum. Basé à Paris, il réalise actuellement un long-métrage documentaire sur le remarquable pianiste Lubomyr Melnyk.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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