Les pueblos blancos andalous, villages immaculés chargés d’histoire

Discussions en plein air, maisons en chaux atypiques… La traversée de ces villages espagnols ancrés dans la tradition vous donnera envie de ralentir le pas.

De Jen Rose Smith
Publication 17 févr. 2022, 16:34 CET
Olvera City

L’église de Nuestra Señora de la Encarnación, l’une des plus connues d’Espagne, et un château arabe du 12e siècle dominent ensemble l’horizon d’Olvera.

PHOTOGRAPHIE DE Diego Grandi / Alamy Stock Photo

Dans la campagne andalouse en Espagne, les villages aux maisons de blanc de chaux trônent au sommet des collines. Néanmoins, ces pueblos blancos représentent bien plus qu’une architecture notable. Ils ont été érigés afin de protéger les communautés des envahisseurs au cours de siècles de conflits.

Les hostilités sont aujourd’hui révolues mais la communauté demeure. À Algar, un village blanc, une campagne a récemment débuté pour qu’une tradition locale nommée charlas al fresco, littéralement « discussions en plein air », soit inscrite parmi la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Ce titre souligne l’importance des croyances, des coutumes et des savoir-faire, tels que la danse, la cuisine ou l’artisanat, lesquels sont propres à des cultures et des lieux donnés.

« Nous apportons tous des chaises dans la rue et passons du temps avec nos amis et nos voisins. C’est en place depuis aussi longtemps que je m’en souvienne », témoigne José Carlos Sánchez, le maire d’Algar. Il est né et a été élevé au sein de cette communauté andalouse de tout juste 1 442 personnes. « C’est quelque chose de spécial, de voir les anciens et les jeunes assis ensemble dans la rue. »

Niché au milieu de la vallée montagneuse de Serranía de Ronda, le village blanc d’Ubique est l’un des dix-neuf pueblos blancos dispersés dans le sud de l’Espagne.

PHOTOGRAPHIE DE M. Ramirez, Alamy Stock Photo

Ces discussions communautaires établies depuis de nombreuses années permettent de briser les différends sociaux et politiques, en plus de rassembler la communauté pour partager des actualités, soutient le maire. Lorsque la pandémie l’a permis, les habitants ont enfilé leur masque et ont poursuivi leurs conversations.

M. Sánchez déplore toutefois que les participants à ces réunions de rue tardives soient de moins en moins nombreux, plutôt attirés par les plateformes en ligne. Un voyage à travers les pueblos blancos de l’Andalousie nous permet de découvrir les terres telles qu’elles étaient autrefois, coincées entre des royaumes médiévaux en guerre, mais aussi de constater un mode de vie menacé par l’évolution rapide des normes sociales.

 

LA VIE AU SEIN DES VILLAGES BLANCS D’ANDALOUSIE

Algar fait partie des dix-neuf pueblos blancos de cette région de l’extrême sud de l’Espagne. Vers la fin du Moyen Âge, ces terres formaient une frontière contestée.

Au nord, les rois chrétiens cherchaient à reconquérir la péninsule ibérique. Ils se confrontaient au royaume maure de Grenade dirigé depuis le somptueux palace de l’Alhambra.

L’émirat s’est rendu face aux forces chrétiennes en 1492. Néanmoins, les Maures arabophones ont légué leur héritage architectural gravé dans le paysage. Lors de la période islamique, les villages avaient probablement déjà commencé à se vêtir de leur teinte distinctive, affirme Eduardo Mosquera Adell. Il étudie l’histoire de l’architecture à l’université de Séville. Il indique notamment qu’Ibn Khaldun, un savant arabo-andalou du 14e siècle, avait décrit une méthode pour fabriquer du blanc de chaux à partir de chaux éteinte.

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    Des pavés en mosaïque décorent les rues de Frigiliana, un village blanc célèbre pour son histoire maure.

    PHOTOGRAPHIE DE imageBROKER, Alamy Stock Photo

    La chaux permettait de maintenir la fraîcheur dans les maisons lors des étés très chauds en Andalousie. Au fil du temps, sa couleur éclatante a également été associée avec la notion d’hygiène. Lorsqu’une série d’épidémies de peste, de choléra ou encore de fièvre jaune a balayé la région entre les 16e et 19e siècles, les maisons ont été ravalées avec de la chaux pour éviter les infections. Il se pourrait que cette mesure ait été favorable. Des études révèlent que le blanc de chaux tue bel et bien la bactérie responsable du choléra.

    Année après année face aux maladies, certains de ces villages andalous se sont lentement teintés de ce blanc pur qui étincelle toujours sous les rayons du Soleil du sud de l’Espagne.

     

    UNE TRAVERSÉE DES PUEBLOS BLANCOS

    Aujourd’hui, les villages blancs d’Andalousie représentent également une véritable fierté culturelle. La production traditionnelle du blanc de chaux andalou a été inscrite au patrimoine de l’UNESCO en 2011. Le Museo de Cal de Morón au sud-ouest de Séville offre une démonstration du procédé artisanal aux visiteurs.

    Les « pueblos blancos », littéralement les villages blancs, surplombent de nombreux sommets des collines d’Andalousie, dans le sud de l’Espagne, comme celui de Camares, ici photographié. Lorsqu’une série d’épidémies s’est abattue sur la région entre les 16e et 19e siècles, les maisons ont été peintes au blanc de chaux. Ce matériau composé de chaux éteinte devait les protéger des maladies.

    PHOTOGRAPHIE DE The Studio Under The Wall, Alamy Stock Photo

    « Ce type de reconnaissance peut sensibiliser sur le patrimoine collectif de la communauté », explique Gema Carrera Díaz, anthropologue et directrice de l’Atlas du patrimoine immatériel de l’Andalousie. Alors que la peinture industrielle a largement remplacé la chaux en Andalousie, Mme Carrera assure que la dénomination de l’UNESCO a favorisé un nouvel entrain. « D’un point de vue éducationnel, c’est très important. »

    Pour admirer la prestance des villages blancs, louez une voiture et partez vers les collines. Reliés par un enchevêtrement de routes de montagne sinueuses, les pueblos blancos de l’Andalousie invitent à des traversées paisibles révélant des modes de vie traditionnels encore préservés.

    Débutez votre voyage au nord-est de la région, là où les rangées d’oliviers aux feuilles presque argentées se détachent du village perché d’Olvera. De là-bas, prenez la route vers Setenil de las Bodegas, où vous trouverez des maisons historiques directement creusées dans le flanc des falaises en surplomb.

    Des dizaines de restaurants ont été construits dans les grottes de Setenil de las Bodegas.

    PHOTOGRAPHIE DE agefotostock, Alamy Stock Photo

    En direction du sud-ouest, le paysage devient plus sauvage avec le Parque Natural Sierra de Grazalema et Zahara de la Sierra, un petit village perché au sommet d’un promontoire rocheux où l’on peut profiter d’une vue spectaculaire. Suivez le col de Puerto de las Palomas pour atteindre Grazalema, un village de bergers réputé pour son fromage affiné et ses vêtements en laine chaude.

    Une fois que les sommets montagneux ont cédé leur place aux fermes dans la vallée, vous arriverez à Algar, ce magnifique pueblo blanco où des discussions en plein air se tiennent tous les soirs d’été.

     

    L’AVENIR DES SOIRÉES « CHARLAR AL FRESCO » À ALGAR

    Cette coutume ne se tient pas uniquement à Algar, précise Mme Carrera. « C’est une tradition qui s’observe dans de nombreuses régions d’Andalousie et de la Méditerranée. Les étés sont très chauds donc les gens sortaient dehors pour se rafraîchir et les cultures accordent beaucoup d’importance à la socialisation. »

    Ces rassemblements en plein air ont diminué lorsque les voitures ont pris possession des rues de la ville. En outre, la climatisation et les technologies modernes ont contribué à changer les habitudes sociales.

    Néanmoins, lorsqu’il est question de préserver le patrimoine, il n’est pas nécessaire que les coutumes soient singulières pour mériter reconnaissance. Le plus important, c’est qu’elles soient représentatives, comme c'est le cas ici. Pour un village comme Algar, le simple fait de chercher la reconnaissance de l’UNESCO pourrait aider à maintenir ce mode de vie traditionnel. Il peut susciter des discussions autour des valeurs communes et de quelles coutumes devraient être préservées au fil des années.

    « Tout particulièrement dans un moment comme celui-ci, en pleine pandémie, lorsque tout change et que les relations sociales ne sont plus les mêmes, cela peut avoir un véritable impact sur la communauté », indique Mme Carrera. « [Les habitants] commencent à être fiers d’une pratique, et celle-ci prend de la valeur. »

    La campagne du maire d’Algar pour convaincre l’UNESCO n’est pas qu’une question de mémoire. M. Sánchez espère également que ses efforts insuffleront une énergie nouvelle à une ville calme que peu d’étrangers connaissent, même les Espagnols des villes environnantes. Il souhaite que sa ville soit connue pour sa convivialité, insistant sur le fait que les voyageurs sont les bienvenus.

    Pour le moment, la candidature est en attente. Le processus peut prendre des années. Sur le terrain, à Algar, le maire a d’ores et déjà observé des résultats.

    « Une fois la campagne de l’UNESCO lancée, j’ai vu une voiture s’arrêter un soir d’été et deux étrangers en sont sortis avec deux transats », confie-t-il encore souriant. Il était ravi de constater que des gens avaient entendu parler de la tradition et soient venus y prendre part. « Venez à Algar pour papoter l’été prochain », me propose-t-il. « Vous pourrez même apporter un transat. »

    Basée à Vermont, la reporter Jen Rose Smith traite des aventures en plein air, des lieux isolés et de la cuisine traditionnelle pour CNN, le Washington Post, Outside et d’autres médias. Retrouvez-la sur Instagram.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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