Vétérinaire de campagne, un métier en voie de disparition ?

De moins en moins nombreux, les vétérinaires ruraux continuent d’exercer leur métier avec passion, mais dans des conditions très difficiles.

De Thomas Nicolon, National Geographic
Publication 8 févr. 2021, 10:06 CET
À contre-courant de la tendance actuelle, Muriel Thomas continue d’exercer en milieu rural, malgré les heures ...

À contre-courant de la tendance actuelle, Muriel Thomas continue d’exercer en milieu rural, malgré les heures passées sur la route et une disponibilité permanente pour intervenir en cas d’urgence

PHOTOGRAPHIE DE Thomas Nicolon, National Geographic

En cette glaciale après-midi de janvier, Muriel Thomas enchaîne les rendez-vous. Au programme : retraits de points de sutures sur des vulves de juments et castration de poulains. Les animaux, malades, agités ou effrayés, finissent tous par s’en remettre aux mains expertes de la vétérinaire.

« Il faut savoir être à l’écoute », dit Muriel, « ne pas s’imposer aux animaux, mais plutôt leur demander l’autorisation ». Sur l’une des juments apeurées, Muriel réalise une palpation transrectale, afin de s’assurer que le poulain sera bientôt prêt à sortir. Avec sa main, la vétérinaire sent les pattes du petit, puis la tête… il bouge. Tout va bien, la jument mettra bas dans dix jours.

Gersoise de 45 ans, Muriel Thomas gère la clinique vétérinaire du Mas d’Agenais, dans le Lot-et-Garonne. Depuis plus de vingt ans, elle ne soigne pas seulement les chiens et chats en cabinet, mais aussi les animaux d’élevage dans les fermes locales. Un travail de passionnée, stimulant mais physique, pour lequel il faut être prêt à prendre les coups. Muriel se souvient encore de ce taurillon qui ne goûtait pas à sa prise de sang et le lui a fait savoir. Résultat : cinq points de sutures au menton, trois dents cassées et une entorse aux cervicales. « Avec ces contraintes physiques, c’est dur de convaincre les jeunes diplômés (dont plus de 70 % sont des femmes, ndlr) de venir exercer en milieu rural. »

Muriel Thomas retire une tumeur cutanée sur la tête d’un chien dans son cabinet du Mas d’Agenais, dans le Lot-et-Garonne. Comme la majorité des vétérinaires exerçant en zone rurale, Muriel doit partager son activité entre les chiens et chats en cabinet et les animaux d’élevage dans les fermes.

PHOTOGRAPHIE DE Thomas Nicolon, National Geographic

Passionnée, Muriel est intarissable sur sa profession, la connexion nécessaire avec les animaux et particulièrement l’activité en zones isolées. Au volant de son utilitaire, Muriel raconte ses expériences de terrain et analyse son corps de métier. Son constat est juste : les vétérinaires sont de plus en plus rares dans les campagnes françaises. La disparition progressive des élevages a fait fuir ces derniers, qui préfèrent aujourd’hui exercer proche des villes. Cette faible densité d’animaux oblige les quelques vétérinaires ruraux à être sans cesse en déplacement. Une activité intense, et surtout non rentable. « Il y a encore des vétérinaires qui ne font que de la rurale, dans des zones où il y a de grosses productions laitières et fromagères », explique Muriel, « mais c’est de plus en plus rare. » Des heures passées sur la route, pour peu de revenus.

Dans de telles conditions, la nouvelle génération de vétérinaires est réticente à travailler en milieu rural. « Il faut parfois se lever à trois heures du matin pour aider une vache à mettre bas », explique Muriel, « nos jeunes confrères ne veulent pas vivre ça. Et ça se comprend. » Aujourd’hui seulement 9 % des praticiens inscrits au tableau de l’Ordre des vétérinaires exercent exclusivement avec des animaux d’élevage, alors que 10 % déclarent une activité mixte, comme Muriel.

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    Marianne Bulvestre a toujours voulu devenir vétérinaire. En territoires ruraux, la réalité est parfois éloignée du rêve, mais la passion reste la même.

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    Bien après la tombée de la nuit, alors qu’une pluie fine lui lacère le visage et lui engourdit les doigts, Muriel finit sa tournée à l’écurie ENH, où plusieurs chevaux doivent être vaccinés. Julien Naud, le gérant, ne trouve plus de vétérinaire : « C’est mission impossible ! », s’exclame-t-il instantanément, « Quand Muriel n’est pas là, je dois emmener les animaux à plus d’une heure de route d’ici. »

     

    Pour pallier ce manque, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, qui est conscient des difficultés de terrain, met en œuvre de nouvelles mesures. Parmi elles, l’instauration d’un stage dans une structure rurale en cinquième année d’École vétérinaire, afin de permettre aux étudiants de se familiariser avec le territoire rural et d’être en contact avec des éleveurs. Le but de l’Ordre des vétérinaires est aussi de repenser le système de recrutement, en permettant à des profils différents d’intégrer les Écoles - la grande majorité des nouveaux entrants actuels étant issus de milieux urbains.

    Ces mesures viennent s’ajouter à la loi Ddadue de novembre 2020, qui va permettre aux collectivités territoriales d’attribuer des aides aux vétérinaires décidant de soigner des animaux d’élevage, dans des zones définies comme des déserts vétérinaires.

    Depuis 2015, plus de 70 % des jeunes vétérinaires diplômés sont des femmes. Elles représentent aujourd’hui plus de 55 % des vétérinaires en exercice en France.

    PHOTOGRAPHIE DE Thomas Nicolon, National Geographic

    Ces initiatives sont louées par les vétérinaires en exercice, mais elles ne changeront pas la nature chronophage de « la rurale», et elles ne seront peut-être pas suffisantes pour attirer la relève. À 26 ans, Swanie Rivoltella exerce depuis plus d’un an dans un cabinet à Tonneins, dans le Lot-et-Garonne. Elle ne fait pas de rurale, mais elle reconnaît que le besoin est bien là : « Les éleveurs viennent nous voir pour que l’on soigne leurs animaux. Il y a une vraie pénurie. Les structures qui font de la rurale arrêtent toutes leur activité. » Malgré ce constat, Swanie préfère se concentrer sur les chiens et chats : « Je gagnerais peut-être plus d’argent en rurale, mais je veux une vie de couple et de famille. » 

    À l’autre bout du Lot-et-Garonne, Marianne Bulvestre est vétérinaire à Monflanquin.  Son rythme de vie confirme les craintes de Swanie : « Dimanche dernier j’étais en déplacement jusqu’à 23h. Je n’ai quasiment pas vu mon fils de 3 ans. Donc oui, c’est parfois difficile. »

    La vétérinaire Marianne Bulvestre partage un moment de complicité avec un agneau dans un élevage de Monflanquin (Lot-et-Garonne), lors d’une visite de routine.

    PHOTOGRAPHIE DE Thomas Nicolon, National Geographic

    Marianne a toujours su qu’elle deviendrait vétérinaire : « Depuis que j’ai été en âge de dire ce que je voulais faire ! » se souvient-elle avec nostalgie. La réalité est parfois éloignée du rêve de petite fille, mais l’envie reste intacte. Après 15 ans d’exercice, la native de Rouen est toujours aussi émue par la naissance d’un veau ou d’un poulain. Derrière les compétences médicales nécessaires, ce sont aussi les aptitudes moins évidentes que Marianne apprécie, comme les qualités humaines. « On va voir un animal, certes, mais aussi un éleveur, qui est parfois en détresse. Il faut savoir être à l’écoute et prendre le temps de discuter. »

    Et puis il y a ce sens de l’improvisation, cette nécessité d’adaptation permanente qui continue de charmer Marianne: « Il faut être un peu MacGyver. Prendre des décisions très rapidement, et faire avec les moyens du bord. » Comme avec cette vache qui s’était ouvert toute la jambe dans une bétaillère. Pour la soigner, Marianne a dû suivre son instinct et sa connaissance du terrain : sortir le matériel disponible dans la voiture, coucher la vache et la ligoter pour éviter les coups. « La stagiaire qui m’accompagnait se demandait comment je faisais pour ne pas paniquer. »

    Ce métier prenant et intense se féminise de manière spectaculaire : plus de 70 % des jeunes diplômés sont des femmes. Elles représentent aujourd’hui environ 55 % de l’ensemble des vétérinaires en France. Qu’elles s’appellent Muriel, Marianne ou Swanie, ce sont elles qui soignent les animaux des Français, des caniches aux étalons pur sang en passant par les vaches laitières. Ce sont elles qui font des concessions parfois douloureuses pour s’assurer du bien-être des animaux de nos campagnes. Mais jusqu’à quand ?

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