La présence de requins équilibre la vie océanique

Ces prédateurs jouent un rôle essentiel dans la stabilisation de leur écosystème, et ils pourraient devenir encore plus importants à mesure que le climat se dérègle.

De Amy McKeever
Publication 30 juil. 2021, 09:19 CEST
Un banc de requins gris de récif, espèce courante dans la région indo-pacifique, en train de ...

Un banc de requins gris de récif, espèce courante dans la région indo-pacifique, en train de se nourrir de poissons licornes à roste court.

PHOTOGRAPHIE DE Laurent Ballesta, Nat Geo Image Collection

Les requins, qui sont peut-être les plus redoutables prédateurs des océans, sont aussi une population des plus vulnérables. Trois quarts des espèces de requins et de raies du grand large sont en danger d’extinction, et c’est principalement dû à la surpêche.

Cela fait des années que la communauté scientifique sonne le tocsin au vu de ces chiffres potentiellement catastrophiques. Comme les requins sont des superprédateurs qui régulent la chaîne trophique, on les considère en toute logique comme une espèce dite « clé de voûte », soit une espèce ayant un effet disproportionné sur son écosystème. Sans elles, les écosystèmes se modifient et peuvent même disparaître. 

Cependant, dans le cas des requins cette idée relève principalement du domaine de la théorie. Les espèces marines et leurs habitats sont difficiles à étudier, car le simple fait d’aller dans l’eau pour les observer exige quantité de matériel. Les plus de 500 espèces de requins connues varient en taille, chassent des animaux différents, et évoluent dans des environnements radicalement différents où l’influence d’une espèce isolée est difficile à circonscrire.

Ces complications ont par le passé fait obstacle aux tentatives d’analyser l’effet qu’ont les requins sur leur écosystème. En 2007, une étude portait à croire que la disparition des grands requins blancs de l’Atlantique Nord entraînait une surpopulation de raies de l’espèce Rhinoptera bonasus, qui à leur tour décimaient les populations de coquilles Saint-Jacques, de palourdes et d’huîtres. Mais les chercheurs se demandent sérieusement désormais si la disparition des bivalves n’est pas due à d’autres facteurs comme le trafic maritime.

« Nous voulons que ce soit simple, mais ça ne le sera jamais », concède Michael Heithaus, spécialiste en écologie marine à l’Université internationale de Floride et fondateur du Shark Bay Ecosystem Research Project, qui depuis deux décennie étudie la baie Shark, sanctuaire de 22 800 kilomètres carrés situé en Australie-Occidentale. (Les découvertes les plus fascinantes sur les requins.)

Les recherches réalisées dans la baie Shark montrent que les requins maintiennent leur écosystème pas forcément en tant que chasseurs, mais en tant que régulateurs. Si l’on parvient à maintenir leur environnement stable et résilient, les requins pourraient permettre de ralentir les effets du changement climatique et minimiser l’impact des catastrophes naturelles comme les vagues de chaleur ou les ouragans.

 

UN ÉCOSYSTÈME ENCHEVÊTRÉ

La baie Shark est le lieu idéal pour étudier l’interaction des requins avec leur environnement. Les requins-tigres n’y vivent qu’une partie de l’année, ce qui permet aux chercheurs d’observer le comportement des autres animaux aussi lorsqu’ils sont absents. Ce site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO abrite en sus des populations saines de prédateurs et de proies ainsi que des herbiers marins fournis qui ralentissent le courant, nettoient l’eau et servent d’abri et de nourriture à de nombreuses espèces. Ils capturent également le dioxyde de carbone et stabilisent les sédiments du plancher océanique qui recèle aussi ce gaz à effet de serre. Une fois piégé dans les sédiments, le CO2 peut y rester pendant des dizaines de milliers d’années.

COMPRENDRE : Les requins

« Je ne connais pas d’autre endroit comme celui-ci sur Terre », assure Rob Nowicki, chercheur affilié au laboratoire marin Mote ayant collaboré avec Michael Heithaus dans la baie. « C’est l’environnement parfait pour tester tout un tas de choses à très grande échelle. »

Depuis que Michael Heithaus, explorateur National Geographic, a démarré ce projet en 1997, les chercheurs n’ont cessé de réunir des données sur toutes les branches de l’écosystème de la baie Shark, et ils ont fourni un travail préparatoire qui permet de démêler tout cet enchevêtrement de liens.

Une découverte importante a eu lieu en 2012 : les requins-tigres exercent une autorité sur les habitants de la baie comme les dugongs (cousins des lamantins) ou les tortues de mer, principalement parce qu’ils effraient les herbivores qui filent alors se réfugier dans les prairies d’herbes marines tropicales, puits de carbone moins efficaces que les herbiers marins tempérés. En d’autres termes, la disparition des prairies sous-marines tropicales est moins nocive pour l’environnement que celle des prairies tempérées.

Mais dans les endroits où les populations de requins s’effondrent et où les tortues marines sont protégées, comme aux Antilles et en Indonésie, les reptiles se sont mis à trop manger de ces herbes marines. Et d’après Trisha Atwood, qui dirige le laboratoire d’écologie aquatique de l’Université d’État de l’Utah, cela pourrait gêner les tentatives d’atténuation des effets du dérèglement climatique.

« Ces deux dernières décennies, nous nous sommes rendu compte que des écosystèmes tels que les herbiers marins font en réalité partie de nos meilleures réserves de carbone sur Terre, explique-t-elle. Ils sont capables d’absorber le carbone plus vite que n’importe quelle forêt terrestre. » (Victime de l’Homme, la forêt amazonienne aggraverait désormais le réchauffement climatique.)

En s’appuyant sur les recherches menées en 2012, Trisha Atwood a découvert en 2015 que les requins-tigres de la baie Shark empêchent aussi les herbivores d’aller remuer les sédiments gorgés de carbone qui se trouvent sous les herbiers tempérés.

« Nous n’insinuons pas qu’il ne faudrait pas protéger les tortues marines, prévient-elle. Ce que nous disons en revanche, c’est qu’il faut protéger les requins pour qu’ils puissent réguler ce qu’ils mangent. »

 

RÉCUPÉRER APRÈS DES ÉPISODES CLIMATIQUES EXTRÊMES

La baie Shark a également livré ses secrets quant à la façon dont les requins rendent leur écosystème résilient face aux conséquences du dérèglement climatique.

En 2011, une vague de chaleur océanique extrême a frappé la baie Shark et détruit environ 90 % de ses prairies sous-marines tempérées, laissant en vestige une nature vulnérable. Les chercheurs savaient qu’il faudrait du temps aux herbiers pour récupérer et ils ont décidé d’en profiter.

« Nous voulions savoir ce qui se produirait dans un monde alternatif où les requins-tigres seraient absents de la baie Shark, » explique Rob Nowicki. « Les dugongs seraient-ils en mesure de revenir et de terminer le travail commencé par la vague de chaleur ? »

Lui et ses collègues ont divisé les herbiers marins de la baie en parcelles et ont simulé la façon dont ils s’en sortiraient avec et sans requins. Ils ont découvert que les herbiers qui n’étaient pas protégés par des requins-tigres frôlaient inévitablement l’extinction. Tandis que les parcelles autour desquelles les requins patrouillaient demeuraient plus stables, car ceux-ci leur laissaient plus de temps pour se régénérer. 

Selon Rob Nowicki, leur étude montre que les requins-tigres sont une vraie espèce « clé de voûte » dans la baie de Shark ; et qu’ils le sont certainement ailleurs.

« C’est un signal qui nous avertit qu’avoir des populations robustes de gros requins peut avoir de l’importance pour la stabilité des écosystèmes », fait observer Michael Heithaus, co-auteur de l’étude. « Les écosystèmes vont continuer à prendre des coups, alors nous ferions peut-être mieux de préserver les populations prédatrices plutôt que de croiser les doigts et d’espérer que tout se passe bien. »

 

EFFORT GROUPÉ

Ces expériences réalisées dans la baie Shark ont donné un aperçu du rôle important que peuvent jouer les requins en tant que prédateurs, mais selon Michael Heithaus il est désormais question de savoir dans quelle mesure ce modèle est applicable dans le reste du monde. « Il ne suffit pas d’étudier uniquement les requins, il faut étudier tous les aspects de l’écosystème. »

Il affirme par exemple qu’il existe des preuves que les petits requins-bouledogues, capables de nager plus rapidement en eau douce, déposent des nutriments vitaux en amont des cours d’eau dans les Everglades ; l’importance de cette infusion de nutriments reste toutefois à déterminer.

Rob Nowicki compare la diversité des requins dans un écosystème aux piliers d’un pont qui s’effondreraient un à un à mesure que les espèces disparaissent.

« Le problème, c’est que nous ne savons pas quand ça va s’effondrer », s’inquiète-t-il. Dans le cas des requins, « nous devons nous inquiéter, car risquer leur extinction est un trop grand risque. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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