Le commerce de peaux d’ânes propagerait des maladies mortelles

Chaque année, la Chine importe des millions de peaux d’ânes d’Afrique pour fabriquer des remèdes traditionnels. Mais celles-ci sont parfois porteuses de maladies dangereuses. Un échantillon récemment testé au Kenya était positif au SARM.

De Rachel Nuwer
En Afrique et dans le monde entier, la subsistance de millions de personnes dépend d’ânes robustes ...

En Afrique et dans le monde entier, la subsistance de millions de personnes dépend d’ânes robustes comme celui-ci.

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En Occident, on a tendance à associer les ânes aux fermes pédagogiques ou récréatives, mais à travers le monde, ces animaux robustes sont un moyen de subsistance pour 500 millions de personnes qui gagnent leur vie grâce à eux. En Afrique, où les ânes sont indispensables pour transporter eau et biens, certains propriétaires les considèrent même comme des « amis pour la vie ».

Il y a à peu près dix ans, la demande toujours plus importante de peaux d’ânes en Chine a commencé à mettre en péril ce moyen de subsistance vital. Les peaux y servent à fabriquer de l’ejiao, produit médicinal pluricentenaire dont la popularité moderne a crû après qu’il est apparu dans un téléfilm chinois. Fabriqué à partir de gélatine extraite de la peau des ânes, l’ejiao est aujourd’hui vendu aux femmes comme un tonifiant sanguin qui augmenterait la fertilité et guérirait les vertiges, l’insomnie et d’autres affections. Toutefois, aucune preuve scientifique crédible ne démontre l’efficacité de l’ejiao.

La biologie des ânes ne permet pas de les élever en masse comme le bétail, et le secteur chinois de l’ejiao, tout juste revigoré, consomme entre 2,3 et 4,8 millions de peaux chaque année. Certaines proviennent du stock chinois, qui diminue, mais la plupart sont importées d’Afrique.

Des peaux d’ânes séchant dans un abattoir déclaré de Baringo, au Kenya, en 2017. La Chine importe ces peaux pour fabriquer un remède traditionnel populaire. Mais celles-ci sont parfois porteuses de maladies comme la peste équine ou le SARM.

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Plus les abattoirs ouvrent en Afrique pour répondre à la demande, plus les marchands achètent d’animaux, mais les vols d’ânes ont également grimpé en flèche et saboté les efforts de communautés et de familles qui en dépendent. En réaction, un certain nombre de pays (Kenya, Tanzanie et Nigeria, notamment) ont interdit l’export de peaux d’ânes. Mais le commerce en reste légal en Afrique du Sud, en Mauritanie, en Égypte, en Éthiopie et au Botswana. Une saisie de près de 3 000 peaux d’ânes réalisées en juin au Nigéria montre que le trafic persiste.

En outre, tout porte à croire qu’en plus de mettre en danger des moyens de subsistance, ce commerce risque de propager des maladies zoonotiques de l’Afrique vers l’Asie. D’après un rapport publié hier par le Donkey Sanctuary, association à but non lucratif sise au Royaume-Uni et agissant pour le bien-être des ânes, des dépistages génétiques réalisés sur des peaux achetées dans un abattoir kényan se sont révélés positifs à la peste équine et au SARM, un groupe de bactéries résistant aux antibiotiques.

Jesse Christelis, qui a 27 ans et est propriétaire de la Donkey Dairy Farm, à Magaliesburg, en Afrique du Sud, communie avec ses animaux en juin 2022. Certains Africains qui dépendent de leurs ânes pour transporter de l’eau et de la nourriture en parlent en des termes affectueux et les décrivent comme des amis précieux.

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« C’est la première preuve tangible qui montre que les peaux d’ânes peuvent être vectrices du mouvement de maladies à travers le monde », indique Simon Pope, directeur des investigations de l’association. Ce résultat n’est pas forcément surprenant, ajoute-t-il, mais il était important de montrer que le commerce de peaux constitue plus qu’un risque hypothétique pour les humains et les animaux.

« Le rapport attire l’attention sur une forme de commerce et de mouvements internationaux que la plupart des gens ignorent », explique Tony Goldberg, épidémiologiste de l’Université du Wisconsin à Madison n’ayant pas pris part aux recherches. « Il apparaît de plus en plus que la mondialisation n’est pas seulement un problème en ce qui concerne les maladies humaines mais aussi en ce qui concerne les maladies animales. »

Les régulations nationales et internationales intéressant le commerce d’animaux et de produits issus d’animaux existent en partie pour réduire le risque de transmission de maladies. Mais selon Eric Fèvre, professeur d’infectiologie vétérinaire à l’Institut international de recherche sur le bétail et à l’Université de Liverpool, à cause de l’absence de chaîne d’approvisionnement officielle, et à cause de la vitesse à laquelle ce secteur s’est développé, le commerce de peaux d’ânes est très peu régulé et encadré. « Savoir que ces produits parcourent le monde librement est préoccupant », déplore ce professeur dont le laboratoire, situé à Nairobi, a réalisé les analyses génétiques présentées dans le rapport.

Une peau en passe d’être traitée à l’abattoir de Baringo, au Kenya, un des nombreux pays africains à avoir interdit l’export de peaux d’ânes.

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En Afrique, les ânes parcourent souvent des centaines de kilomètres pour arriver aux abattoirs et doivent franchir des frontières internationales. Que ces établissements soient déclarés ou non, lorsque les ânes arrivent, les contrôles vétérinaires et de biosécurité sont généralement insuffisants pour empêcher les animaux malades ou blessés d’être abattus, explique Faith Burden, spécialiste en infectiologie et directrice générale des opérations équines au Donkey Sanctuary. « Le fait que la peau soit la partie la plus chère de la carcasse n’incite que peu, voire pas du tout, un commerçant à refuser les ânes malades, blessés ou infectés, car cela n’affecte pas visuellement le produit vendu. »

 

« UNE ENTREPRISE TRÈS RISQUÉE »

En mai 2020, juste avant que le Kenya ne ferme ses abattoirs d’ânes, le Donkey Sanctuary a acquis 108 peaux auprès du Star Brilliant Donkey Export Abattoir, à Naivasha, et a demandé à Eric Fèvre et à ses collègues d’analyser celles-ci en toute indépendance. Ces derniers avaient pour tâche de dépister neuf maladies endémiques dans la région comme l’anthrax, la rage, la morve et la grippe équine.

Trois peaux se sont révélées positives à la peste équine, maladie particulièrement mortelle chez les chevaux. En plus de cela, 88 peaux était infectées par un staphylocoque doré (Staphylococcus aureus), une bactérie vectrice de maladies assez répandue chez les humains. La moitié de ces échantillons étaient des SARM, un groupe de staphylocoque distinct résistant aux antibiotiques et capable de causer des problèmes difficiles à traiter (infections de la peau, pneumonies). Sur les 44 échantillons de SARM confirmés, trois appartenaient à une souche hautement virulente qui produit une toxine nécrosante, la leucocidine de Panton-Valentine (LPV).

Un boucher tient la tête d’un âne qui sera vendu à des revendeurs dans un abattoir d’Ughelli, au Nigéria.

PHOTOGRAPHIE DE Pius Utomi Ekpei, AFP via Getty Images

Étant donné la nature du commerce des ânes, ces résultats « ne sont pas surprenants du tout », selon Ibrahim Ado Shehu, épidémiologiste vétérinaire nigérian et représentant régional de l’Afrique de l’Ouest de l’Association vétérinaire du Commonwealth. « Le commerce des ânes dans sa globalité est une entreprise très risquée », ajoute celui qui n’a pas pris part aux recherches.

Ibrahim Ado Shehu ajoute que ce commerce pourrait être impliqué dans d’autres maladies non détectées dans le petit aperçu offert par les échantillons analysés pour le rapport qui vient d’être publié. En 2019, dans une étude sur le commerce d’ânes dans le nord-ouest du Nigéria, Ibrahim Ado Shehu a par exemple identifié des bactéries responsables de la brucellose et de la leptospirose chez des ânes devant être abattus pour leur peau.

Les ânes menés à l’abattoir pourraient transmettre des maladies aux animaux qu’ils croisent en route. En 2019, une épidémie de grippe équine survenue au Nigéria, près de la frontière avec le Niger, a par exemple infecté plus de 3 000 chevaux et ânes et entraîné la mort de 270 bêtes. Les experts sont dans l’incapacité de confirmer l’origine de l’épidémie mais selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), celle-ci serait due à une transhumance illégale d’ânes localisée dans un pays voisin.

Au Soudan, une mère et son fils chevauchent un âne chargé d’herbes. La demande annuelle chinoise (plusieurs millions de peaux d’ânes) met en péril un moyen de subsistance vital dans toute l’Afrique, et plus particulièrement dans les régions rurales.

PHOTOGRAPHIE DE Didier Ruef, LUZ, Redux

Sur la foi des résultats qui viennent d’être publiés par le Donkey Sanctuary, Faith Burden demande un moratoire sur le commerce légal de peaux et des mesures répressives en ce qui concerne le commerce illégal jusqu’à ce que le secteur se soumette à « une refonte complète de ses modes d’approvisionnement, de transport, d’abattage, de traitement et d’expédition » pour accroître la sécurité. Mais dans l’idéal, elle et ses collègues préféreraient que l’industrie de l’ejiao cesse purement et simplement de consommer des peaux d’ânes et qu’elle ait à la place recours à du collagène asinien de laboratoire. Cependant, jusqu’ici, les représentants du secteur s’opposent à de telles suggestions, indique Simon Pope.

Ce dernier espère sensibiliser les consommateurs d’ejiao au sujet de la déconnexion qui existe entre les publicités chinoises populaires qui montrent « des ânes gambadant sur des plateaux verdoyants aux ruisseaux cristallins », pour reprendre ses mots, et la triste réalité des abattoirs en Afrique.

« Ils achètent de l’ejiao comme un produit thérapeutique, mais le fait est qu’aucun contrôle n’est exercé là-dessus du tout, déplore-t-il. Je ne crois pas que les consommateurs en achèteraient s’ils savaient dans quelles conditions c’est réellement fabriqué. »

Wildlife Watch est une série d'articles d'investigation entre la National Geographic Society et les partenaires de National Geographic au sujet de l'exploitation et du trafic illégal d'espèces sauvages. N'hésitez pas à nous envoyer vos conseils et vos idées d'articles ainsi qu'à nous faire part de vos impressions à l'adresse ngwildlife@natgeo.com.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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