La nécessité (et non la cupidité) pousserait les braconniers à tuer les éléphants

Une étude portant sur des milliers de cas de braconnage dans trente pays africains a permis de découvrir que les éléphants étaient moins victimes de braconnage là où les populations étaient plus riches et en meilleure santé.

De Rachel Fobar
Publication 3 févr. 2023, 17:18 CET
Selon l'UICN, le braconnage est l'un des principaux facteurs responsables du déclin des éléphants de savane ...

Selon l'UICN, le braconnage est l'un des principaux facteurs responsables du déclin des éléphants de savane et des éléphants de forêt.

PHOTOGRAPHIE DE David Chancellor, Nat Geo Image Collection

D’après les résultats publiés ce mois de janvier dans la revue scientifique Proceedings of the Royal Society B, le braconnage des éléphants serait lié à la pauvreté et non à l’appât du gain. 

Moins d’éléphants ont été victimes de braconnage dans les zones habitées par des communautés plus riches et en meilleure santé selon des chercheurs de l’Université d’Oxford, de l’ONU, de l’Université du Cap et d’autres institutions ayant analysé plus de 10 000 cas de braconnage pendant plus de vingt ans dans trente pays africains. Leur étude se fonde sur les taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans ainsi que sur des sondages ayant par exemple évalué le nombre de pièces des habitations, la disponibilité en eau potable, la présence de sanitaires et la détention d'un capital comme un réfrigérateur ou une télévision.

Le braconnage est l’un des principaux facteurs responsables du déclin des populations d’éléphants de savane (Loxodonta africana), une espèce en danger, et d’éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis), elle en danger critique d'extinction. Leur nombre a chuté à environ 415 000 individus d’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). 

Avant cette étude, on ne prêtait guère attention aux causes du braconnage des éléphants et d’autres animaux, souvent issues d’études de cas particuliers. Désormais, les ONG et les États peuvent « utiliser l’étude pour justifier » leurs mesures de protection, explique Timothy Kuiper, coauteur de l’étude qui est commissionné par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), l’accord international qui régit le commerce d’espèces sauvages. Citons la corruption et le commerce mondial de l’ivoire comme autres sources de motivation.

« Quand on souhaite protéger la faune, on ne peut le faire sans penser au bien-être des populations [locales] », explique-t-il. Pour mieux lutter contre le braconnage, les défenseurs de l’environnement doivent faire preuve d’ingéniosité et mettre en place diverses stratégies : faire appliquer des réformes gouvernementales pour lutter contre la corruption, exiger que les pays baissent leur consommation d’ivoire, réclamer de meilleurs programmes éducatifs, sanitaires et économiques ainsi qu’un plus grand soutien envers les rangers. 

Poaching is a significant cause of decline for both savanna and forest elephants, according to the IUCN.
PHOTOGRAPHIE DE Charlie Hamilton James, Nat Geo Image Collection

Si les forces de l’ordre ont un rôle à jouer, « la santé et le bien-être des communautés locales doivent également être considérés pour atteindre les objectifs liés à la protection de la nature », expliquent Thea Henriette Carroll et Tanya McGregor qui travaillent pour le programme de surveillance du braconnage des éléphants du CITES. « En faisant cela, l’on incite d’autant plus les communautés concernées à s’engager dans la planification de la conservation et la gestion des aires protégées. »

L'équipe de chercheurs à découvert que les zones les plus touchées par le braconnage se trouvaient généralement en Afrique centrale ou proches de la frontière entre le Mozambique et la Tanzanie et que le braconnage affectait plus les éléphants de forêt que leurs cousins de la savane. Entre 2002 et 2020, 860 éléphants ont été tués par des braconniers dans le Parc national de la Garamba, en République démocratique du Congo, et plus de 750 dans la Réserve de Selous, en Tanzanie. Les zones environnantes abritaient certains des foyers les plus pauvres quand l'état de santé de leurs habitants était dans la moyenne. 

En termes de pourcentages, les régions les plus riches affichent généralement un résultat de 60 % ou plus. Toutes les zones étudiées étaient elle en dessous des 45 % et celles dont les scores étaient les plus bas présentaient les plus hauts taux de braconnage. En 2020, les niveaux de richesse de la RDC et de la Tanzanie n'avaient augmenté qu'à 25 et 26 % respectivement. La RDC enregistrait 79 morts infantiles pour 1000 naissances contre 47 en Tanzanie d’après les données les plus récentes. 

Les éléphants s’en sont mieux sortis dans le Parc national d’Etosha, en Namibie. Le niveau de richesse des communautés avoisinantes a progressivement augmenté entre 2002 et 2020, pour atteindre les 43 %. Seuls deux cas de braconnage ont été recensés dans le parc pendant cette période. (Le nombre de rhinocéros abattus en Namibie a presque doublé en 2022 pour atteindre les 87 animaux mais cela semble être l’œuvre de groupes criminels internationaux plutôt que de braconniers locaux.)

Aujourd’hui, les plus de 80 conservancies communales de Namibie donnent à environ 200 000 locaux la possibilité de gérer près de 20 % du territoire national. Ce système de gestion des ressources par les communautés aurait créé plus de 6 000 emplois depuis les années 1990 et permis aux populations d’éléphants et de lions de se multiplier. 

On observe une baisse d’intérêt pour le braconnage dès lors que les communautés locales profitent des bienfaits de la protection de la nature, expliquent Carroll et McGregor. « Les gouvernements doivent par la suite s’assurer que les communautés locales ne subissent pas les répercussions économiques liées à la biodiversité mais qu’elles ont accès à des opportunités rémunératrices pouvant les sortir de la pauvreté. »

Les actes de braconnage sont dirigés par des réseaux criminels qui recrutent des braconniers plutôt que des chasseurs opportunistes, souligne Kuiper. « Après la mise en place de nombreux parcs nationaux [africains], des gens furent expulsés de force de leurs terres alors passées sous le statut de zone protégée », raconte-t-il. « Les locaux qui chassaient jusqu’alors pour se nourrir furent soudainement qualifiés de braconniers. »

Dans le cadre d’un corpus de recherche portant sur les motivations du braconnage, des chercheurs installés au Royaume-Uni et aux Pays-Bas ont conclu dans une revue systématique publiée en 2015 qui examine les liens entre le braconnage et la pauvreté, que les origines coloniales des lois sur la chasse expliquent en partie pourquoi certains Africains « continuent de s’opposer à la législation mise en place pour protéger la nature » et qu'il faut appliquer des stratégies pour « remédier aux inégalités sociales. »

Une étude de 2019 a déduit que la pauvreté, mesurée à partir des taux de mortalité infantile et des revenus, faisait partie des indicateurs de braconnage les plus importants. Dans un sondage de 2017, des 173 Tanzaniens interrogés qui vivaient à la frontière avec le parc national de Ruaha et avaient admis avoir commis des actes de braconnages, 164 d’entre eux ont répondu qu’ils arrêteraient de braconner s’ils disposaient des revenus suffisants pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Les locaux vivant à moins de huit kilomètres environ des refuges en Tanzanie expliquaient avoir perdu la moitié de leur revenu l’année suivant le sondage car les éléphants avaient détruit leurs plantations et les lions tué leurs troupeaux, explique Eli Knapp, l’un des coauteurs du sondage de 2017 et professeur en écologie à la Houghton University, dans l’État de New York. « En vivant près du parc, vous pâtissez plus de la zone protégée que vous n’en tirez profit », explique-t-il.

La pauvreté dont souffre la majeur partie des braconniers interrogés soulève une importante question, souligne Knapp : « Quels revenus faut-il rapporter à la maison pour prendre la décision consciente d’arrêter de braconner ? » Ce peut être l’équivalent d’un dollar. Ou le fait de participer à la protection de la faune du parc. 

La situation, ajoute-il cependant, n’est pas sans espoir car aucun participant au sondage ne lui a répondu quand il a posé la question suivante : « Que cela vous coûterait-il d'arrêter de braconner ? »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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