Cet animal peut survivre en ne dormant que deux heures par jour

Ce temps de sommeil incroyablement court pourrait permettre à l’éléphant de mer de se protéger des prédateurs.

De Jessica Taylor Price
Publication 26 avr. 2023, 08:27 CEST
Un bébé éléphant de mer du nord s'approche de la caméra. Cette espèce imposante passe sept ...

Un bébé éléphant de mer du nord s'approche de la caméra. Cette espèce imposante passe sept mois de l'année en pleine mer.

PHOTOGRAPHIE DE Thomas Peschak, Nat Geo Image Collection

L'éléphant d'Afrique (Loxodonta) détient le record du mammifère qui dort le moins, soit environ deux heures par jour. L'éléphant de mer est toutefois en passe de le détrôner.

Des expériences récentes mesurant les ondes cérébrales des éléphants de mer du nord (Mirounga angustirostris) dans la baie de Monterey, en Californie, ont révélé que ceux-ci ne dormaient en moyenne moins que deux heures par jour pendant les sept mois de l'année qu'ils passaient en mer. Cette faculté est impressionnante si l'on considère que les chiens dorment plus de dix heures par jour, les gorilles douze heures et les lions jusqu'à vingt heures.

Ces animaux imposants sont capables de dormir à des centaines de mètres sous la surface de l’océan. C’est en étudiant ce phénomène que Jessie Kendall-Bar, alors doctorante à l'université de Californie, sur le campus de Santa Cruz, a découvert cette incroyable capacité des éléphants de mer.

Dans le cadre de la toute première étude sur le sommeil des mammifères marins à l'état sauvage, qu’elle a dirigée et qui a été publiée cette semaine dans la revue Science, elle a constaté que ces créatures dormaient moins de deux heures par jour en haute mer alors que sur la terre ferme ce temps était multiplié par cinq.

« Ils sont capables d'avoir ce double mode de vie », explique Jessie Kendall-Bar, exploratrice pour National Geographic. « Un mammifère qui possède ce degré de flexibilité, c'est du jamais vu. »

 

ÉQUIPÉS POUR L’OBSERVATION

De précédentes observations avaient montré qu'au large les éléphants de mer ne remontaient à la surface que quelques minutes entre deux plongées de dix à trente minutes. Les scientifiques en ont donc conclu qu'ils devaient dormir sous l'eau. Cependant, « nous en savons encore très peu », déclare Daniel Costa, coauteur de l'étude, également chercheur sur le campus de Santa Cruz et explorateur National Geographic. Roxanne Beltran, occupant les mêmes statuts, a quant à elle uniquement participé à la rédaction de l'article.

Des éléphants de mer du Nord et des otaries de Californie (Zalophus californianus) se reposent dans le Farallon Islands National Wildlife Refuge, en Californie. Les éléphants de mer mâles peuvent peser jusqu’à près de deux tonnes.

PHOTOGRAPHIE DE Frans Lanting, Nat Geo Image Collection

Pour en savoir plus, Jessie Kendall-Bar a mis au point un casque qui contient le même type de capteurs que ceux utilisés pour mener des études sur le sommeil chez l'Homme. L'appareil est étanche, capable de supporter de fortes pressions sous l'eau et suffisamment sensible pour détecter les ondes cérébrales à travers l'épaisse couche de graisse qui recouvre la tête de l'animal.

En 2019, au Marine Mammal Center, centre hospitalier vétérinaire situé à Sausalito, Jessie Kendall-Bar a eu l'occasion d'essayer son bonnet sur un éléphant de mer endormi, appelé Libelula, qui avait été amené pour des soins. L'appareil a fonctionné, « nous avons pu nous assurer que nous pouvions réellement détecter des ondes à travers des centimètres de graisse », indique-t-elle. Prochaine étape : la haute mer.

Jessie Kendall-Bar a testé trois jeunes éléphants de mer femelles sauvages. À l'aide d'un adhésif, elle a placé le casque sur l'une d'entre elles alors qu'elles étaient allongées sur la plage. Celle-ci a plongé dans l'eau, puis est revenue deux jours plus tard, ce qui a permis à la chercheuse de lui enlever l’appareil. Les deux autres femelles ont été équipées et transférées du Año Nuevo State Park à proximité, à Asilomar State Beach, à Monterey, et l’appareil a été récupéré quelques jours plus tard.

 

CYCLE DE SOMMEIL

Les casques ont recueilli des données sur les ondes cérébrales, le rythme cardiaque, la profondeur de plongée et les mouvements des animaux afin de déterminer quand ils dormaient. Jessie Kendall-Bar a ensuite utilisé ces données pour extrapoler les habitudes de sommeil des éléphants de mer adultes au fil du temps.

Elle a découvert qu'ils ne dormaient pas par tranches de deux heures, mais plutôt par séries de « petits sommes » de moins de vingt minutes chacun. Depuis la surface, les éléphants de mer adultes plongent durant dix minutes à de grandes profondeurs, généralement entre 90 et 300 mètres.

À ce moment-là, l'animal entre dans la deuxième phase du sommeil, le sommeil léger. Il passe ensuite au sommeil profond et paradoxal au cours duquel son corps se paralyse et se retourne continuellement, ce que Jessie Kendall-Bar appelle la « spirale du sommeil ».

Il semblerait que le sommeil paradoxal comporte des risques, notamment celui d'être incapable d'échapper aux prédateurs. « Pour un animal, faire cela sous l'eau et se trouver dans cet état paralytique, c'est tout simplement terrifiant », déclare Terrie Williams, également coautrice de l'étude et chercheuse sur le campus de Santa Cruz.

 

ÉVITER LES PRÉDATEURS

Ce qui est probable, c’est que les éléphants de mer dorment à des profondeurs que leurs principaux prédateurs, les requins et les orques, fréquentent rarement.

« L'éléphant de mer utilise sa capacité à plonger très profondément comme un mécanisme de protection », explique Jessie Kendall-Bar, aujourd'hui chercheuse postdoctorante à l’Institut océanographique Scripps. « Il n'a besoin ni de garder un œil ouvert ni de rester éveillé. Son cerveau peut plonger intégralement dans le sommeil. »

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    Gauche: Supérieur:

    Une jeune femelle éléphant de mer, surnommée Suzy, a été la première de son espèce dont le sommeil a été enregistré à l’état sauvage. Suzy, que l'on voit ici dans l'Año Nuevo State Park, a été nourrie par deux mères et pesait plus de 180 kilogrammes deux mois après sa naissance.

    PHOTOGRAPHIE DE Jessica Kendall-Bar
    Droite: Fond:

    Les éléphants de mer migrent à la recherche de nourriture, passant des mois en mer et plongeant souvent en profondeur à ces fins. Ils retournent à leurs colonies en hiver afin de se reproduire et mettre bas.

    PHOTOGRAPHIE DE Bates Littlehales

    Elle suppose que ce comportement s'est développé en raison de la nécessité pour les éléphants de mer de chercher de la nourriture pendant de longues périodes en haute mer. Ils doivent subvenir à leurs besoins, leur poids étant assez important, pouvant aller jusqu'à plus de deux tonnes. « Leurs corps est conçu de manière à pouvoir rester en mer très longtemps. »

    « Ce qui est vraiment intéressant dans cette étude, c'est qu'elle est la première à examiner l'activité des ondes cérébrales et d'autres indicateurs du sommeil chez un mammifère marin en liberté et en plongée profonde », explique Jane Khudyakov, maître de conférences au département des sciences biologiques de l'université du Pacifique à Stockton, en Californie, qui n'a quant à elle pas participé à la recherche. 

    « La plupart des précédentes études sur le sommeil des mammifères marins ont été menées en captivité en immersion dans des bassins ou sur la terre ferme. »

    Les éléphants de mer du nord (aperçus dans l’Año Nuevo State Reserve) dorment jusqu'à dix heures par jour pendant les mois où ils restent sur la terre ferme, ce qui contraste avec leurs habitudes dans l'océan. 

    PHOTOGRAPHIE DE Frans Lanting, Nat Geo Image Collection

    Jane Khudyakov signale également que les deux heures de sommeil d'un éléphant de mer ne sont pas comparables aux sept heures de l’être humain par exemple : les besoins en sommeil paradoxal et non paradoxal varient considérablement d'un mammifère à l'autre, même si les deux espèces sont très proches.

    « Peut-être que cela nous semble peu parce que nous ne comprenons pas complètement la diversité des adaptations et des fonctions du sommeil chez les différents animaux », indique-t-elle par e-mail.

     

    « UN GRAND PRIVILÈGE »

    Le secret des éléphants de mer pour survivre au large avec si peu de sommeil n'a pas encore été percé.

    Daniel Costa constate que les animaux imposants tels que les éléphants d'Afrique possèdent un métabolisme plus lent qui leur permet de dormir moins, ce qui est peut-être aussi le cas des éléphants de mer. Terrie Williams suppose que ces derniers reportent les « processus de réparation » qui ont lieu durant le sommeil jusqu'à leur arrivée sur la plage, moment où ils peuvent réellement se reposer.

    Quant à Jessie Kendall-Bar, plutôt que de qualifier son étude de découverte, elle la considère comme un grand privilège. « Les animaux font cela depuis si longtemps que c'est un honneur de les observer et d'avoir accès à ce secret. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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