Les poissons dorment-ils ? Et comment ?

Chez les poissons, le sommeil prend des formes différentes que chez les humains. Mais le repos reste essentiel à leur survie.

De Jason Bittel
Publication 24 mai 2025, 10:32 CEST
Un cocon protecteur fait de mucus enveloppe ce poisson-perroquet pendant qu’il dort sur la Grande Barrière de ...

Un cocon protecteur fait de mucus enveloppe ce poisson-perroquet pendant qu’il dort sur la Grande Barrière de corail, en Australie. Cette couche protective l’aide à éloigner les prédateurs et donc à mieux se reposer.

PHOTOGRAPHIE DE Norbert Wu, Minden Pictures

Si vous avez déjà fait de la plongée libre sur un récif corallien en journée, vous avez probablement vu des hordes de poissons aux couleurs vives, de toutes les formes et de toutes les tailles. Mais retournez au même endroit au beau milieu de la nuit, et la plupart auront disparu.

Se pose alors naturellement la question suivante : les poissons dorment-ils ?

« Tous les animaux jamais étudiés de manière approfondie dorment », rappelle Philippe Mourrain, neuroscientifique de l’Université Stanford.

Selon lui, c’est lorsque l’on commence à s’interroger sur ce que nous savons concernant ce sommeil que les choses se compliquent.

En 2019, Philippe Mourrain et collègues ont eu l’occasion d’observer des poissons-zèbres au microscope tandis qu’ils sommeillaient dans des boîtes de Petri remplies de gel. Cela a permis à l’équipe de mesurer pour la première fois des cycles de sommeil chez ces poissons, des cycles qui ressemblaient de manière étonnante à notre propre sommeil profond. Ces poissons-zèbres faisaient même les mouvements oculaires rapides caractéristiques de la phase de sommeil paradoxal.

Au moins 20 000 espèces de poissons ont été répertoriées par la science et les comportements varient grandement d’un poisson à l’autre. Certains peuvent présenter des caractéristiques ressemblant davantage à celles que nous avons l’habitude de voir chez les mammifères, tandis que d’autres adoptent des états de repos qui ne ressemblent en rien à ce que nous connaissons.

Selon Michael Heithaus, biologiste de l’Université internationale de Floride, la plupart des études suggèrent que les cerveaux ont besoin de temps morts. Que ce soit pour se débarrasser des toxines ou simplement pour se reposer reste une question à élucider.

Mais étant donné que les cerveaux des poissons sont très semblables aux nôtres, il n’est pas surprenant qu’ils aient besoin de se mettre hors tension de temps en temps.

 

LES REQUINS DORMENT-ILS ?

Vous avez peut-être entendu dire que si un requin s’arrête de bouger, il suffoque et meurt. Bien que cela soit vrai pour certains requins, cette règle n’est pas absolue.

Tout d’abord, ainsi que le rappelle Craig Radford, biologiste des systèmes sensoriels à l’Université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, les poissons ont deux moyens de respirer : la « ventilation par propulsion » (le poisson doit nager pour forcer l’eau à traverser ses branchies) et un mécanisme de pompe buccale par lequel l’animal fait bouger une partie de sa mâchoire ou de son corps pour pomper de l’eau et la faire passer à travers ses branchies.

Un exemple de ce mécanisme de pompe buccal peut être observé sur des images prises par des plongeurs en 2017. Celles-ci montrent une vingtaine de requins à pointes blanches (Triaenodon obesus) agglutinés en un amas quasi-immobile.

« Notre travail sur certains requins, notamment sur le requin-tapis, montre qu’ils ferment les yeux et que nous pouvons les réveiller à l’aide d’un stimulus », révèle Craig Radford.

Cependant, les requins-tapis et la plupart des autres types de poissons n’ont pas encore été soumis aux tests de sommeil scrupuleux et empiriques que l’équipe de Philippe Mourrain a pu réaliser sur des poissons-zèbres.

Mais même les requins qui dépendent de la respiration par propulsion ont leurs astuces.

L'étonnant requin dormeur de Port-Jackson

« Certains de ces requins de récifs se contentent possiblement de s’attarder dans les courants en journée et de faire en sorte que l’oxygène circule sur leurs branchies, explique Michael Heithaus. Disons qu’ils baguenaudent en quelque sorte. »

D’autres espèces semblent avoir recours à un palliatif d’une autre nature.

Des chercheurs de Californie ont remarqué que « les bébés requins blancs nagent simplement en un grand cercle, très lentement », rappelle Michael Heithaus. Ces motifs sont si réguliers que les requins laissent des marques sur le sable du plancher océanique qui « ressemblent un peu à des crop circles ». 

Si les scientifiques ne peuvent s’avancer avec certitude, il semble toutefois probable que ces requins adoptent une sorte de pilotage automatique grâce auquel ils continuent à nager et à respirer, mais d’une façon qui permet à leur cerveau de reprendre des forces. Cela fait dire à Michael Heithaus que les requins sont peut-être capables de sommeil unihémisphérique (ou sommeil à ondes lentes), ce qui signifie qu’ils ne dorment qu’avec une moitié de leur néocortex à chaque fois.

Les dauphins font eux aussi cela, d’ailleurs. « Ils continuent en quelque sorte de penser à leur respiration, remontent à la surface pour respirer, et ils sont pseudo-alertes, explique Michael Heithaus. Mais c’est comme dormir pour eux. » À l’évidence, les dauphins sont des mammifères, et non des poissons, mais il est possible que les requins blancs et d’autres requins aient hérité d’un comportement similaire par le jeu de l’évolution.

 

LES POISSONS DORMENT-ILS LA NUIT ?

À l’instar des espèces terrestres, les animaux vivant sous la surface de l’eau ont des rythmes très variés. Tandis que de nombreux poissons sont actifs durant la journée et se reposent la nuit, l’opposé peut se produire.

Beaucoup de requins de récifs sont actifs la nuit, ainsi que le précise Michael Heithaus.

De plus, toutes les nuits, sur Terre, a lieu un mouvement massif et généralisé du plancton qui sent le soleil se coucher et remonte des profondeurs pour se nourrir près de la surface. On considère cette migration verticale – c’est le nom donné à ce phénomène – comme la plus grande migration d’animaux sur le globe.

À mesure que le plancton remonte, ses prédateurs et les prédateurs de ces prédateurs remontent également, dans une parade de biomasse jouant un rôle colossal dans le cycle des nutriments dans tous les océans de la planète.

 

LES POISSONS-PERROQUETS UTILISENT LEUR MUCUS POUR DORMIR PAISIBLEMENT

Si de nombreux poissons se contentent de trouver un endroit calme où s’assoupir la nuit, le poisson-perroquet fait du moment du coucher quelque chose de moins banal : il sécrète une couche de mucus dont il s’enveloppe, une sorte de sac de couchage sous-marin.

« Les poissons-perroquets font ces sortes de sacs de mucus et passent la nuit dedans sur le récif », explique Michael Heithaus.

Cette couche de mucus semble protéger les poissons-perroquets contre les prédateurs et les parasites pendant que ces gros poissons turquoise se reposent. Il y a également des signes que cette sécrétion contient des antibiotiques qui repoussent les pathogènes et que cette chambre scellée est susceptible d’empêcher l’odeur de ces poissons d’attirer une attention indésirable.

Fait intéressant, perturber ce cocon de mucus alerter le poisson et le fait fuir à toute vitesse, un peu comme un réveil.

 

LES POISSONS D’EAU PROFONDE DORMENT-ILS ?

Même dans les profondeurs de l’océan, que la lumière n’atteint jamais, les poissons doivent probablement se reposer d’une manière ou d’une autre ; même si cela ne ressemble possiblement en rien à ce que nous connaissons.

« Je soupçonne la plupart des poissons des profondeurs d’avoir quand même des rythmes circadiens, car ceux-ci n’ont pas besoin d’être synchronisés par la lumière, explique Craig Radford. Il existe des gènes de l’horloge qui peuvent réguler les horloges circadiennes, donc la lumière n’est pas le seul mécanisme régulateur. »

On a également découvert qu’au Mexique, les tétras aveugles (Astyanax mexicanus) tombaient dans une sorte de sommeil en pleine journée – ils s’arrêtaient de bouger jusqu’à ce qu’on les touche, moment auquel ils recommençaient à nager – tout en demeurant plus actifs la nuit.

Encore une preuve que les poissons peuvent être soit diurnes, ou du moins actifs durant la journée, soit nocturnes, voire même crépusculaires avec un pic d’activité à la tombée de la nuit et à l’aube.

En fin de compte, les poissons ressemblent davantage aux humains qu’on ne veut bien le penser.

« Les poissons ont été les premiers vertébrés sur cette belle Terre, conclut Philippe Mourrain. Donc la vraie question n’est pas : “Est-ce qu’ils dorment comme nous ?” mais “Est-ce que nous dormons comme eux ?” »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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