Votre glace vanille contient-elle des excrétions de castor ?

Le castoréum, cette substance sécrétée par des glandes situées près de l’anus du castor, est utilisé depuis plus de 2 000 ans. Selon certaines sources, on trouverait encore cet ingrédient dans des produits vendus en supermarchés.

De Jessica Taylor Price
Publication 17 nov. 2023, 13:09 CET
Le castor du Canada, le plus grand rongeur du continent américain, peut peser jusqu’à 30 kilos.

Le castor du Canada, le plus grand rongeur du continent américain, peut peser jusqu’à 30 kilos.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, National Geographic, Photo Ark

Y a-t-il des excréments de castor dans votre glace à la vanille ? Probablement pas.

Des articles de presse ou des influenceurs food sur les réseaux sociaux pourraient vous amener à croire qu’il y aurait du castoréum, une substance jaune et sirupeuse sécrétée par des glandes près de l’anus du castor, dans vos produits quotidiens aromatisés à la vanille, dissimulé sous l’appellation « arôme naturel ». Selon certaines de ces sources, on en trouverait partout, dans la crème glacée comme dans des flacons d'avoines aromatisés à la fraise.

Mais les experts nous rassurent sur le sujet : si depuis l’Antiquité, l’être humain a utilisé le castoréum à des fins médicinales et, bien sûr, pour relever des parfums et rehausser le goût de certains aliments, pratiquement aucun produit vendu en supermarchés n’en contient aujourd’hui.

« Ce produit coûte extrêmement cher, parce qu’il est rare ; il n’y a donc aucune chance qu’il se retrouve dans votre crème glacée », explique Michelle Francl, chimiste au Bryn Mawr College, qui étudie la science alimentaire. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 7000 tonnes d’extrait de vanille (recueilli à partir d’orchidées du genre Vanilla, un grand groupe de plantes à fleurs) ont été produites en 2020 dans le monde entier.

Cela dit, selon le livre de Frank Rosell et Róisín Campbell-Palmer intitulé Beavers : Ecology, Behaviour, Conservation, and Management et publié en 2022, le castoréum existe encore dans des produits de niche tels que le bäversnaps, qui est une liqueur suédoise. 

Pour récolter la précieuse substance, les trappeurs tuent les castors et retirent leurs glandes, qui sont alors séchées et broyées. Ils extraient ensuite le castoréum avec de l’alcool, de la même manière que l’on extrait la vanille d’une gousse, explique Francl.

 

UN « MÉDICAMENT » POLYVALENT

Pendant plus de 2 000 ans, les Hommes ont utilisé du castoréum pour guérir toutes sortes de maladies, comme la fièvre, les problèmes d’estomac et les maladies mentales. Les sécrétions étaient également utilisées dans les savons et les crèmes et étaient même, à une certaine époque, ajoutées aux cigarettes pour en améliorer l’odeur. Hippocrate a même écrit sur les propriétés curatives du castoréum en 500 avant notre ère.

« À l’époque romaine, le castoréum faisait partie intégrante de la pharmacopée », explique Francl.

Si le castoréum a tant servi à la fabrication de médicaments, c’est probablement en raison de sa composition chimique, puisqu’en effet, selon l’ouvrage de 2022, le castoréum pourrait contenir plus de 75 composés chimiques différents, soit un taux assez inhabituel.

Cette substance, qui ressemble à de la mélasse, contient également de l’acide salicylique, ou aspirine, qui peut soulager la douleur, ainsi que des acides gras, comme ceux que l’on trouve dans certaines crèmes hydratantes. Et certaines de ses molécules ont une structure similaire à celle de la vanilline, le composé présent dans les orchidées du genre Vanilla, responsable du goût caractéristique de la vanille. 

Reste que la demande en castoréum avait un coût. Il s’agit d’un sous-produit de la traite des fourrures, qui a perduré des siècles durant et décimé les populations de castors du Canada et d’Eurasie jusqu'à provoquer la quasi-disparition des deux espèces au 16e siècle en Europe et au 19e siècle en Amérique du Nord.

 

UN OUTIL DE COMMUNICATION

Bien entendu, le castoréum joue un rôle essentiel dans la vie des castors.

Pour marquer leur territoire, les deux espèces de castors assemblent des tas de boue et y déposent du castoréum. Comme l’a expliqué Dietland Müller-Schwarze, dans son ouvrage de 2011 intitulé The Beaver : Natural History of a Wetlands Engineerce comportement sert trois objectifs : rehausser l’odeur, l'humidifier l'amplifier, et la protéger en cas de montée des eaux.

Bien que les mâles comme les femelles possèdent ces glandes, les mâles adultes d’une même famille sont plus susceptibles de laisser des marques olfactives dans des endroits stratégiques, tels que les lieux de passage d’autres castors, afin de faire savoir que ce territoire leur appartient déjà.

La construction chez le castor américain

En effet, lorsque Campbell Palmer, responsable de la réhabilitation au Beaver Trust, une organisation installée au Royaume-Uni consacrée à l’augmentation des populations de castors d’Eurasie, sent du castoréum dans le cadre de ses recherches en Grande-Bretagne, elle sait immédiatement « qu’il y a probablement deux familles ici, et qu’elles s'envoient comme message qu'il ne faut pas franchir cette limite, qu'il s'agit de leur frontière ». 

« L’odeur du castoréum est très caractéristique… c’est une sorte de musc, mais doux », explique Campbell-Palmer. « Même s'il n'y a aucun castor en vue, vous savez qu'ils sont là. »

Les castors apparentés peuvent également reconnaître les odeurs individuelles de castoréum des membres de leur famille. C'est d'ailleurs très utile pour Campbell-Palmer.

Lorsqu’elle veut piéger et déplacer une famille de castors, elle peut extraire le castoréum d’un animal et le placer dans un piège pour attirer les membres de sa famille. 

« Les castors prospèrent en Grande-Bretagne », ajoute Campbell-Palmer. « Ils s’adaptent facilement ». L’espèce nord-américaine est également en train de se reconstituer, grâce à la préservation de son habitat et au contrôle de la chasse.

 

UNE SUBSTANCE SANS DANGER POUR LA SANTÉ

Si vous deviez un jour consommer un aliment contenant du castoréum, il n’y aurait pas de quoi s’inquiéter, souligne Francl.

« En alimentation, ce qui compte vraiment, c’est la structure des molécules, explique-t-elle, peu importe qu’elles proviennent d’un ours ou d’un castor, il s’agira toujours de la même molécule, et donc des mêmes propriétés. »

L'Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux classe le castoréum comme « généralement considéré comme sans danger » et une évaluation de sûreté publiée en 2007 dans l’International Journal of Toxicology a conclu que « l’utilisation historique d'extrait de castoréum en tant qu’arôme et parfum n’est associée à aucun signalement de réactions indésirables chez l’Homme ».

« Je pourrais personnellement en consommer », raconte Francl. Mais « probablement pas dans de la crème glacée ».

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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