La famille du cobra royal pourrait être subdivisée en quatre espèces distinctes

Cette découverte pourrait permettre à un antidote plus efficace de voir le jour en Asie de l’Est et du Sud-Est pour traiter les morsures de ce serpent venimeux.

De Peter Schwartzstein
Publication 14 mars 2022, 16:57 CET
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Un cobra royal à l’affût dans une forêt tropicale d’Inde. La gigantesque aire de répartition de cette espèce en Asie déconcerte les chercheurs depuis longtemps.

PHOTOGRAPHIE DE Gabby Salazar, Nat Geo Image Collection

Les cobras royaux sont les plus longs de tous les serpents venimeux. Découvrez leurs caractéristiques et leur conservation le 7 mars à 18h20 sur WILD.

Depuis longtemps, les herpétologues se demandaient comment il se faisait que le cobra royal puisse n’être qu’une seule et même espèce, lui qui semble se jouer des barrières infranchissables des paysages asiatiques comme l’Himalaya. Ils étaient troublés par le fait que le plus long serpent venimeux du monde, qui peut mesurer plus de cinq mètres, ait une apparence et un comportement différents selon l’endroit où il vit.

Mais aujourd’hui, tout s’explique : selon une étude parue l’an dernier, le cobra royal ne serait pas une espèce unique mais une « famille royale » composée de quatre espèces distinctes.

Au mois d’août dernier, avec ses collègues, P. Gowri Shankar, biologiste et spécialiste des cobras royaux de la Fondation Kālinga, association de défense de l’environnement à but non lucratif située à Shivamogga, en Inde, a annoncé la découverte de quatre lignées de cobras royaux génétiquement uniques. L’équipe les a identifiés selon leur région d’origine : Ghats occidentaux (sud-ouest de l’Inde), aire indo-chinoise (est de l’Inde et Chine), aire indo-malaise (Indonésie et Malaisie), et île de Luçon (Philippines). Le nom scientifique de ces serpents doit cependant encore être approuvé par la Commission internationale de nomenclature zoologique.

Ces chercheurs intrépides ont passé des années à capturer des serpents dans des forêts tropicales. Aidés d’une nouvelle technologie permettant d’analyser les spécimens hautement dégradés conservés dans les musées, ils ont finalement recueilli assez d’ADN pour pouvoir définir correctement de nouvelles espèces.

« Si ça avait été une grenouille, si ça avait une tortue, cela aurait été plus facile, commente P. Gowri Shankar. Le cobra royal, c’est une autre histoire. »

Quand on le dérange, un cobra royal peut se dresser à hauteur d’yeux et projeter assez de venin pour tuer un éléphant. P. Gowri Shankar affirme être une des seules personnes à avoir survécu à une morsure de cobra royal, un heur qu’il attribue à la petite quantité de venin qu’il a reçue. L’expérience l’a également motivé à découvrir un traitement plus ciblé pour les morsures de cobra royal.

En effet, selon lui, le fait que les cobras se répartissent en fait en quatre espèces différentes pourrait avoir des conséquences importantes et bien réelles. Cela pourrait permettre la production d’un antivenin plus efficace capable de cibler individuellement le venin de chacune de ces espèces.

Les cobras royaux (ici, un spécimen du zoo de Houston) sont timides et évitent généralement les humains.

PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, Nat Geo Image Collection

De surcroît, ajoute-t-il, l’identification de nouvelles espèces pourrait stimuler les efforts de conservation des populations de serpents qui sont en train de décliner dans leur aire de répartition géographique à cause de la déforestation et de l’urbanisation. Selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), le cobra royal est une espèce « vulnérable ».

D’après Philip Bowles, coordinateur du Groupe de classification des serpents et des lézards pour la liste rouge de l’IUCN, dont le travail est d’inspecter des populations de reptiles dans le monde entier pour déterminer leur statut, l’Union internationale pour la conservation de la nature prévoirait de réviser le statut du cobra royal à l’aune de cette découverte.

 

DES SERPENTS DE DIFFÉRENTES COULEURS

« Cela fait plus de cinquante ans que j’étudie [les cobras royaux] de près, et on voit bien qu’ils sont […] différents », déclare Romulus Whitaker, spécialiste des serpents et fondateur du Chennai Snake Park, association indienne dont la mission est de familiariser le public avec les serpents.

« Il fallait juste que nous fassions le gros du travail pour le prouver », ajoute-t-il. 

Les chercheurs se sont par exemple demandé pourquoi les cobras royaux adultes de Thaïlande et des pays frontaliers ont plus de 70 anneaux blanchâtres autour du corps, tandis que ceux des Philippines n’en ont que quelques-uns qui sont à peine discernables.

Leur comportement de nidification varie également. Le cobra royal femelle est le seul serpent à construire un nid pour ses œufs (ce qui n’est pas rien pour un animal qui n’a pas de membres). Elle y pousse des brindilles et des feuilles en faisant onduler son corps. (Plongez dans la plus grande fosse aux serpents du monde.)

Les femelles des Ghats occidentaux abandonnent leurs œufs peu après avoir fait leur nid, tandis que les mères indo-chinoises les surveillent jusqu’à environ une semaine avant éclosion.

 

DES REPTILES INCOMPRIS

P. Gowri Shankar a bon espoir que cette attention renouvelée pour les cobras royaux fasse évoluer le regard que l’on porte sur eux.

Dans l’Inde rurale, de nombreux Hindous vénèrent le cobra royal et voient sa présence dans les champs comme un signe d’abondance. Mais ailleurs, on l’honnit et on le tue bien souvent sans états d’âme.

« C’est un serpent très médiatisé, donc les gens en ont une peur bleue, explique Romulus Whitaker. Dans les sondages, les gens répondent immanquablement « cobra royal » quand on leur demande quelle est l’espèce de serpent la plus dangereuse », affirme-t-il. Il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre de personnes mordues par des cobras royaux, mais selon lui, celles-ci ne représentent une petite fraction de l’ensemble des morsures.

Les cobras royaux sont généralement timides, et si une personne vient à se retrouver face à l’un deux, leur taille gigantesque et leur « grognement » de chien suffisent largement à prévenir tout conflit.

Les chasseurs qui les traquent pour leur peau et leurs organes, prisés la médecine traditionnelle, sont les plus susceptibles de se faire mordre. Mais les sauveteurs qui viennent récupérer des cobras royaux au domicile de particuliers sont également vulnérables.

Loin de constituer une menace sérieuse pour l’humain, le cobra royal nous est bénéfique, car il se nourrit d’autres serpents, dont certains de sa propre espèce. Au menu, on retrouve notamment des serpents venimeux comme les crotalidés dont la morsure tue jusqu’à 140 000 personnes dans le monde chaque année.

 

DE MEILLEURS ANTIVENINS À L’AVENIR ?

On administre généralement aux personnes s’étant fait mordre par un cobra royal un antivenin produit par la Croix-Rouge thaïlandaise qui n’est pas toujours efficace selon l’endroit où l’on se trouve sur l’aire de répartition des cobras.

Selon Kartik Sunagar, spécialiste du venin de serpent et maître de conférences à l’Institut indien des sciences de Bengalore, comme la composition chimique du venin peut varier au sein même d’une espèce, il est probable que la découverte dont il est question ait une utilité limitée dans l’immédiat. Les morsures de cobras royaux sont relativement rares et il est peu intéressant pour les fabricants de médicaments de mettre au point un produit adéquat. (La morsure qui guérit, à la recherche d’un meilleur antivenin.)

Mais selon lui, ces nouvelles informations pourraient tout de même permettre de développer un antivenin légèrement mieux ciblé à court terme ainsi qu’un traitement plus efficace contre toutes les morsures de cobras royaux à long terme.

« Dans la mesure où nous savons que ces populations ont besoin de traitements très spécifiques, cette [découverte de nouvelles espèces] nous aide à mettre au point de meilleurs antivenins », commente-t-il.

 

SAUVER UN SERPENT MAJESTUEUX

Les défenseurs de l’environnement sont inquiets quant à l’avenir de certains cobras royaux, et notamment ceux de l’île de Luçon. Leur nombre est inconnu mais selon P. Gowri Shankar, leur population est probablement restreinte et susceptible d’être décimée par des catastrophes naturelles majeures (tremblements de terre, tsunamis…), fréquentes dans la région.

« Un tsunami de plus et cette espèce de Luçon pourrait s’éteindre d’ici quelques années, affirme P. Gowri Shankar. Nous ne l’aurions pas su sans cette découverte sur ces lignées particulières. »

En attendant, P. Gowri Shankar et ses collègues poursuivent leur quête de nouvelles espèces : ils pensent qu’il pourrait y en avoir au moins une de plus en Indonésie.

« Pour moi, le cobra est un serpent majestueux, clame P. Gowri Shankar. J’en suis tombé amoureux. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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