La lente évolution des manchots les rend plus vulnérables au changement climatique

Les manchots pourraient ne pas réussir à s'adapter au changement climatique actuel, trop rapide pour leur capacité d'évolution.

De Rebecca Dzombak
Publication 20 juil. 2022, 16:35 CEST
Un gorfou sauteur se tient sur une falaise de l'île Marion, en Afrique du Sud.

Un gorfou sauteur se tient sur une falaise de l'île Marion, en Afrique du Sud.

PHOTOGRAPHIE DE THOMAS P. PESCHAK, NatGeo Image Collection

Glissant sur les pentes enneigées de l’Antarctique et se faufilant dans les eaux glaciales, les manchots semblent parfaitement adaptés à leur environnement. Mais ces oiseaux charismatiques n’ont pas toujours été les acrobates aquatiques incapables de voler qu’ils sont aujourd’hui. Dans leur évolution pour passer du vol à la nage, il leur a fallu développer tout un ensemble de compétences, de formes corporelles et de fonctions.

Aujourd’hui, de nouvelles recherches s’appuient sur une combinaison sans précédent d’archives fossiles et de données génomiques afin de retracer cette évolution comme jamais auparavant, mais aussi d’examiner les effets du climat sur le destin des manchots.

« Les manchots sont le fruit le plus passionnant de l’évolution », affirme Daniel Ksepka, coauteur de l’étude et paléontologue aviaire au Bruce Museum de Greenwich, dans le Connecticut. « Ils se sont adaptés en développant un plan corporel et un mode de vie entièrement différents de ceux de leurs ancêtres. »

L’étude, publiée dans la revue Nature Communications, montre que les premiers manchots s’adaptaient étonnamment vite aux niches écologiques créées dans tout l’hémisphère sud à la suite de l’extinction de masse du Crétacé-Paléogène, il y a environ 66 millions d’années. Après la disparition des dinosaures, les autres animaux ont eu plus de place pour se répandre, et les manchots se sont installés dans différents climats et biomes de la moitié australe du monde.

Cependant, les recherches révèlent également que les manchots présentent le taux d’évolution le plus lent de tous les oiseaux à notre connaissance, ce qui signifie que leur taux de mutations génétiques a considérablement ralenti depuis leur passage à la vie marine à la suite de l’extinction de masse. Selon les auteurs et autrices de l’étude, cela remet en question leur capacité à s’adapter rapidement au rythme effréné du changement climatique actuel.

Plus de la moitié des près de dix-huit espèces de manchots vivants, qui habitent des endroits aussi divers que le Brésil, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, sont déjà reconnues comme étant en danger ou vulnérables par l’Union internationale pour la conservation de la nature.

« Les manchots modernes semblent moins bien équipés pour survivre à ces changements environnementaux rapides que les manchots anciens, en raison de la diminution du taux d’évolution », explique Vanesa De Pietri, paléontologue aviaire à l’université de Canterbury en Nouvelle-Zélande, qui n’était pas impliquée dans l’étude.

« Se sont-ils spécialisés à un tel point qu’ils sont maintenant coincés ? », demande-t-elle. « Oui, probablement. »

 

L’ADAPTATION VERS LA VIE AQUATIQUE

En raison du manque de fossiles, l’ancêtre direct des manchots demeure inconnu, selon De Pietri. Le mystérieux descendant a probablement vécu il y a plus de 60 millions d’années, époque à laquelle il a divergé de groupes d’oiseaux volants apparentés ressemblant aux albatros et aux pétrels.

Les recherches antérieures sur leur évolution ont également été limitées par le fait qu’environ trois quarts de toutes les espèces de manchots sont éteintes et ne sont connues que grâce aux archives fossiles. Jusqu’à présent, aucune étude n’avait combiné le registre fossile complet à tous les génomes de manchots modernes et récemment disparus.

« Il s’agit d’une approche impressionnante pour comprendre l’évolution des manchots », commente Nic Rawlence, paléogénéticien à l’université d’Otago en Nouvelle-Zélande, qui n’était pas impliqué dans l’étude.

En réunissant ces deux énormes ensembles de données, les auteur.ices ont pu affiner l’arbre évolutif des manchots, repérer les périodes où ces derniers se sont diversifiés, suivre l’évolution des populations et déterminer quels gènes les ont aidés à effectuer leur transition vers la vie aquatique.

« Cela nous donne vraiment une vue d’ensemble », affirme Ksepka.

L’analyse des génomes des manchots a montré comment ces oiseaux en sont venus à avoir des nageoires rigides et des plumes imperméables pour nager, une peau épaisse et de la graisse pour rester au chaud, ainsi qu’une vision sous-marine et un meilleur contrôle de l’oxygène pour plonger.

Les manchots, familles aux facultés exceptionnelles

Ces adaptations n’étaient pas inconnues des scientifiques, mais comparer tous les génomes de manchots existants a permis à l’équipe d’identifier les gènes responsables de ces adaptations. Relier les génomes aux archives fossiles a également permis d’estimer la date d’apparition des gènes et des différentes espèces. La dernière étape a consisté à faire le lien entre tous ces éléments et le climat.

 

SUIVRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Après leur première vague d’adaptation, le rythme d’évolution des manchots s’est progressivement ralenti. (Les pics, quant à eux, ont l’un des taux d’évolution les plus rapides du monde, bien que la raison reste un mystère.)

Ayant évolué dans des environnements marins, les manchots ont dû s’adapter à des changements climatiques répétés pendant des millions d’années. Une nouvelle vague de diversification des espèces de manchots a commencé il y a un peu plus de deux millions d’années, au début de la période glaciaire la plus récente. Au fur et à mesure que les couches de glace s’étendaient et que les environnements changeaient, les manchots ont migré et ont souvent été complètement coupés des autres groupes. Sur des centaines de milliers d’années, séparés par la glace, les manchots ont évolué pour former l’éventail d’espèces de manchots que nous connaissons aujourd’hui.

Bien que des recherches antérieures aient émis des hypothèses sur ce processus, la nouvelle combinaison de données génomiques et fossiles en constitue la preuve la plus solide à ce jour.

« Cette étude a très bien montré, dans un contexte génomique, comment les événements de diversification peuvent être corrélés avec des événements climatiques majeurs tout au long de l’histoire des manchots », affirme De Pietri.

 

UN SOMBRE AVENIR ?

De nombreux manchots se sont facilement adaptés aux changements climatiques précédents. Cependant, le rythme de celui que nous connaissons actuellement, bien plus rapide que les changements auxquels les manchots ont survécu par le passé, représente un nouveau défi évolutif pour ces animaux emblématiques. Selon les auteur.ices de l’étude, les manchots ont peu de chances de réussir à relever ce défi.

« De nombreux manchots vivent dans les zones les plus touchées par le changement climatique », explique Ksepka. Les espèces de l’Antarctique, comme le manchot à jugulaire, sont particulièrement menacées ; le continent a perdu environ 3 000 milliards de tonnes de glace depuis le début des années 1990. Les manchots qui sont limités aux îles sont également vulnérables, car ils « n’ont nulle part où aller », déplore Ksepka.

« Je pense que le sort des manchots est lié au sort de l’humanité, vraiment. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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