Cette musique envoûtante retranscrit trente ans de changements climatiques

Fermez les yeux et laissez-vous emporter. Pour sensibiliser à la protection de notre planète, un scientifique japonais a utilisé la sonification pour traduire les nombreux effets du changement climatique en une musique percutante de six minutes.

De Melanie Haiken
Publication 23 avr. 2024, 18:47 CEST
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Le géoscientifique et musicien Hirota Nagai a traduit les données climatiques recueillies sur des sites de recherche de l'Arctique et de l'Antarctique, visibles sur cette photographie composite de la Terre capturée lors de la mission lunaire Apollo 17.

PHOTOGRAPHIE DE NASA

Avez-vous déjà pleuré en écoutant un morceau de musique particulièrement touchant ? Si oui, vous n’êtes pas seul. Grâce à ses mélodies, ses rythmes et ses nuances, la musique a la capacité exceptionnelle d’émouvoir, de détendre, mais aussi d’encourager à l’action, un pouvoir qu’un scientifique japonais tente aujourd’hui d’exploiter dans le but d’inciter à la lutte contre le changement climatique.

Son projet prend la forme d’un quatuor à cordes intitulé No. 1, Polar Energy Budget. À l’aide d’un processus connu sous le nom de sonification, le géoscientifique et musicien Hirota Nagai a transformé des données satellitaires recueillies dans l’Arctique et l’Antarctique en un morceau de six minutes destiné non pas à faire comprendre, mais à faire ressentir les effets de l’activité humaine sur notre planète et sa biodiversité.

« Je cherche à transmettre non seulement les questions environnementales, mais aussi les systèmes complexes qui composent la Terre et les 4,5 milliards d’années d’histoire qui ont mené à leur création », explique Nagai, qui est chercheur en géo-environnement à l’Université Rissho. Alors que la sensibilisation à la protection de l’environnement est de plus en plus urgente, le scientifique espère « attirer l’attention sur la complexité et le magnifique équilibre des mécanismes de la Terre ».

Le projet de recherche qui a abouti à cette composition a été publié ce 18 avril dans la revue iScience.

 

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN MUSIQUE

Les mélodies qui composent le quatuor, conçu pour deux violons, un alto et un violoncelle, correspondent aux données recueillies entre 1982 et 2022 dans quatre lieux situés dans des zones polaires : un site d’observation sur la calotte glaciaire du Groenland, une installation de communication par satellite dans l’archipel du Svalbard et deux stations de recherche en Antarctique. Grâce à un programme informatique de sonification, le scientifique et compositeur a traduit les données relatives au rayonnement solaire, au rayonnement infrarouge de l’atmosphère, à la température de surface, à l’épaisseur des nuages et aux précipitations en différentes tonalités musicales afin de représenter les nombreuses transformations survenues au fil des années.

La composition est basée sur le concept de l’équilibre énergétique polaire, explique Nagai. Les régions polaires étant très sensibles aux effets du changement climatique, elles peuvent révéler les effets profonds de ce dernier, mais aussi de l’énergie solaire, sur l’ensemble de la planète.

« Nous portons généralement notre attention sur le réchauffement climatique. Pourtant, derrière celui-ci se cachent des mécanismes complexes d’échange d’énergie », affirme Nagai. « Lorsque cet équilibre se retrouve perturbé par l’augmentation des gaz à effet de serre, tout commence à dysfonctionner. »

Le morceau de six minutes a été interprété en direct pour la toute première fois en mars 2023 à l’Université Waseda de Tokyo. Une représentation filmée du quatuor japonais PRT Quartet a également été diffusée sur YouTube.

 

MOINS INTELLECTUALISER POUR MIEUX RESSENTIR

Ce n’est pas la première fois que la sonification des données ou, en d’autres termes, la conversion d’informations en sons, est utilisée dans le cadre scientifique. La NASA y a par exemple eu recours pour sonifier des éléments astronomiques, tels que des galaxies et des nébuleuses.

« On dit que la musique est un langage universel. Je pense qu’elle peut toucher un grand nombre de personnes d’une manière dont les outils utilisés habituellement par les climatologues sont le plus souvent incapables », affirme le climatologue Scott St. George. Avec le compositeur Daniel Crawford et une équipe de l’Université du Minnesota, St. George est à l’origine de deux des toutes premières compositions populaires basées sur des données climatiques, intitulées Song of Our Warming Planet et Planetary Bands, Warming Worlds.

« Nous avons essayé de sensibiliser au changement climatique en recourant à des méthodes traditionnelles et, bien que celles-ci fonctionnent dans une certaine mesure, leur efficacité ne s’est pas montrée à la hauteur de l’urgence », admet St. George.

« Bien souvent, nous réfléchissons au changement climatique. Nous en entendons parler. En transformant les données climatiques en sons ou en musique, nous pouvons désormais le ressentir. Ce type de projet est efficace grâce aux réactions viscérales qu’il provoque. »

Dans ce nouveau morceau, Nagai élargit le rôle et l’importance de l’interprétation artistique. Son processus de travail, qu’il qualifie de « musification », consiste à utiliser des stratégies classiques de composition, telles que la variation des nuances, l’allongement des tons, l’accentuation des lignes mélodiques et le développement des rythmes pour faire monter la tension et libérer les émotions de ses auditeurs.

« En réalité, l’atmosphère de la mélodie peut être grandement manipulée pour correspondre aux paramètres définis par le compositeur, sans pour autant altérer les données d’origine. »

Nagai espère que son travail inspirera d’autres personnes à convertir des données climatiques en œuvres artistiques.

« En proposant et en appliquant concrètement une méthode de création musicale basée sur des données, j’espère sensibiliser le public au potentiel inexploité des données fournies par les sciences de la Terre, qui constituent une source d’inspiration inépuisable pour les artistes », confie-t-il. « Je pense qu’il est essentiel de commencer à permettre aux non-scientifiques de manipuler librement les données des sciences de la Terre pour la conception de tout nouveaux types de projets. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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