Les énergies renouvelables, une menace pour la biodiversité ?

Pour atténuer les effets du changement climatique, des sources d'énergies renouvelables doivent être mises en place. Mais pour le moment, nous ne savons pas le faire sans mettre en péril des espèces rares et des écosystèmes désertiques encore intacts.

De Sarah Gibbens
Publication 31 mai 2022, 09:43 CEST
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Des éoliennes et des panneaux solaires produisent de l'énergie renouvelable dans le désert des Mojaves, en Californie. L'énergie renouvelable est indispensable pour lutter contre le changement climatique, mais certains défenseurs de l'environnement craignent que construire trop rapidement sans choisir attentivement les sites appropriés ne mette en danger des espèces menacées.

PHOTOGRAPHIE DE David Guttenfelder, Nat Geo Image Collection

Le sarrasin de Tiehm, une petite fleur sauvage du Nevada, pourrait encore vivre loin des projecteurs si elle n’avait pas poussé dans un sol rempli de lithium. Mais c’est le cas, et cela pourrait justement causer sa perte.

Le lithium est un matériau nécessaire pour la fabrication des batteries haute puissance qui aident le monde à passer aux véhicules électriques. La demande explose et les sociétés minières sont impatientes de l’extraire du sol sur plusieurs nouveaux sites de l’État du Nevada, qui abrite déjà la seule mine de lithium des États-Unis.

Cependant, le sarrasin de Tiehm est plus rare que le lithium. Il ne pousse que sur environ 4 hectares de terres à Rhyolite Ridge, dans le sud-ouest du Nevada, là même où l’installation de l’une des nouvelles mines de lithium est prévue.

« Un seul homme sur un bulldozer pourrait causer son extinction en un seul après-midi », déclare Patrick Donnelly, directeur du Grand Bassin pour le Center for Biological Diversity, et l’un des plus grands défenseurs de cette fleur.

Pour lui et d’autres défenseurs de l’environnement, cette fleur et cette mine sont représentatives d’une tendance générale et inquiétante. Selon eux, un conflit de plus en plus important émerge entre les efforts déployés pour faire face à deux crises environnementales : d’une part, le réchauffement climatique important et, d’autre part, l’augmentation stupéfiante du taux d’extinction.

La révolution des énergies renouvelables n’affecte pas les paysages uniquement par le biais de l’exploitation minière, que ce soit dans le désert ou ailleurs. Depuis une dizaine d’années, la production d’électricité à partir de l’énergie solaire et éolienne a quadruplé aux États-Unis et, selon les experts, ce n’est que le début de ce que nous devrons faire pour nous passer des combustibles fossiles et échapper aux pires conséquences du changement climatique. D’ici à 2030, le Nevada prévoit de tirer la moitié de son électricité des énergies renouvelables, conformément à l’objectif de l’administration Biden de décarboner complètement l’économie du pays d’ici à 2050.

Il en résulte ce que certains militants décrivent comme une ruée vers les énergies renouvelables mettant en péril des espèces rares et des écosystèmes désertiques encore intacts.

Historiquement, les zones humides et les prairies ont longtemps été considérées comme n’ayant aucune valeur ; les marais ont donc été asséchés pour le développement et les prairies labourées pour les cultures. Aujourd’hui, certains défenseurs de l’environnement considèrent que l’histoire se répète, cette fois dans les vallées du désert qui sont en grande partie intactes, et qui regorgent de soleil, de sols riches en lithium et de points chauds géothermiques.

« Nous allons faire ce que nous avons toujours fait avec nos problèmes environnementaux, les accumuler les uns sur les autres », déclare Dustin Mulvaney, professeur d’études environnementales à la San José State University et auteur du livre Solar Power. « Nous échangeons notre problème climatique contre notre crise de la biodiversité. C’est du pareil au même. »

« La seule manière que j’ai de l’expliquer, c’est en disant que je suis comme un infirmier qui trie ses patients dans une salle d’urgence pour les espèces désertiques menacées. Et de nombreux patients attendent que l’on s’occupe d’eux », déclare Donnelly.

 

LES MENACES POUR LA RÉGION

Donnelly confie qu’il n’a pas vu de liste exhaustive de toutes les espèces menacées par le développement des énergies renouvelables. Mais il tient sa propre liste informelle de ses patientes du Nevada. Certaines sont répertoriées comme étant menacées par le Fish and Wildlife Service des États-Unis (FWS), d’autres non, ou du moins pas encore. Elles ont tendance à ne pas être très connues.

Selon Donnelly, sont menacées par les mines de lithium les espèces de faune et de flore suivantes : le sarrasin de Tiehm, Cordylanthus tecopensis (une herbe annuelle), Crenichthys nevadae (un poisson téléostéen), Anaxyrus nevadensis (un crapaud), Pyrgulopsis imperialis (un escargot minuscule) et Spiranthes infernalis (une orchidée).

Sont menacées par l’énergie solaire : la tortue du désert, Astragalus geyeri var. triquetrus (un astragale) et Penstemon albomarginatus (une fleur).

Et par l’énergie géothermique : Anaxyrus williamsi (un crapaud), Pyrgulopsis dixensis (un minuscule escargot), Rhinichthys osculus ssp. (une sous-espèce de naseux moucheté, un petit poisson), Eriogonum ovalifolium var. williamsiae (un sarrasin), Siphateles bicolor ssp. 4 (un autre petit poisson) et Polites sabuleti sinemaculata (un papillon).

« Dans de nombreux cas, il existe très peu d’informations sur ces espèces. Elles sont toutes très rares », explique Donnelly. « Mais il y a une crise potentielle d’extinction causée par les énergies renouvelables au Nevada, et ces petites créatures et plantes sont en première ligne. »

Selon lui, si les écosystèmes sont depuis longtemps menacés par des activités telles que le pâturage du bétail ou l’extraction de l’or, l’expansion des énergies renouvelables est la nouvelle grande menace.

Le gouvernement américain possède un peu moins de la moitié de toutes les terres sur onze États de l’Ouest, y compris 80 % des terres du Nevada, dont la plupart sont gérées par le Bureau of Land Management (BLM). En 2012, l’agence a désigné dix-sept sites dans six États de l’Ouest pour sa liste de zones d’énergie solaire BLM, identifiées comme les meilleurs lieux pour construire des centrales électriques solaires. Cinq d’entre eux se trouvent dans le Nevada.

Pour choisir les sites, le BLM a exclu les habitats d’espèces en danger critique d’extinction, explique Lee Walston, écologiste pour le laboratoire national d’Argonne du ministère américain de l’énergie. Les scientifiques d’Argonne ont aidé le BLM à cartographier ses zones d’énergie solaire et à préparer ses déclarations concernant l’impact environnemental.

De minuscules tiges de sarrasin de Tiehm poussent à l'université du Nevada, à Reno. Les recherches ont été financées par Ioneer, une société minière australienne qui souhaite extraire du lithium dans les habitats de la plante. Ici, ils étudient si le sarrasin de Tiehm peut ou non être transféré dans un nouvel habitat.

PHOTOGRAPHIE DE Scott Sonner, AP Images

Cependant, certaines entreprises demandent des permis pour construire en dehors de ces zones. « Les raisons des demandes en dehors des zones d’énergie solaire sont variées », explique Heidi Hartmann, experte en politique énergétique qui travaille aux côtés de Lee Walston à Argonne. Parmi les raisons qui incitent à demander un permis en dehors d’une zone, elle cite notamment la proximité des lignes de transmission ou des routes.

Dans un e-mail, le BLM a indiqué qu’il délivrait les permis en suivant les règles établies par la loi nationale sur la protection de l’environnement (NEPA), qui exige des périodes de commentaires ouverts pour permettre au public et aux organisations environnementales d’exprimer leurs préoccupations.

« Le BLM est profondément engagé dans la conservation de la faune, des écosystèmes et des espèces menacées sur les près de 100 millions d’hectares de terres publiques que nous gérons », a déclaré la directrice du BLM, Tracy Stone-Manning, dans une déclaration envoyée par e-mail. « En collaborant avec divers partenaires tribaux, étatiques, fédéraux et locaux, nous pouvons atteindre cet objectif essentiel tout en nous attaquant au changement climatique et en fournissant de l’énergie propre aux foyers américains grâce à des projets d’énergie renouvelable implantés de manière responsable. »

 

ESPÈCES RARES, DONNÉES RARES

Certains experts s’inquiètent du fait que les concessions environnementales des entreprises énergétiques ne soient pas suffisantes pour préserver la faune.

« Je ne suis pas satisfaite de la qualité des investissements de surveillance et de préconstruction qui sont effectués, qui permettent de déterminer quelles espèces sont présentes. Ils peuvent être réalisés de manière précipitée et incomplète », déclare Rebecca R. Hernandez, professeure d’écologie à l’université de Californie à Davis, et codirectrice de la Wild Energy Initiative.

L’année dernière, avec ses collègues, elle a publié une étude dans la revue Biological Conservation, selon laquelle les zones de conservation désignées au sein du Ivanpah Solar Electric Generating System, une grande centrale électrique en Californie, ne permettent pas nécessairement de conserver les espèces de manière efficace. Les parcelles de terres vierges laissées entre les panneaux solaires, créées pour protéger des plantes menacées comme Asclepias nyctaginifolia, une asclépiade, n’abritaient pas le même nombre d’insectes pollinisateurs qu’en dehors du site solaire.

Sans une population saine de pollinisateurs, l’asclépiade pourrait ne pas être en mesure de se reproduire correctement et de survivre dans les zones de conservation d’Ivanpah Solar, explique Hernandez. « Cela pose une question : à quoi servent [les zones de conservation] si nous n’y incluons pas suffisamment de surface ? » demande-t-elle.

« Nous entendons souvent dire que les impacts constatés après la construction sont plus importants que prévu », reconnaît Lee Walston. Il explique que lui et d’autres biologistes qui évaluent l’impact environnemental potentiel des projets énergétiques ne disposent pas toujours de suffisamment de données concernant les conséquences écologiques à long terme du développement.

« Les plantes rares dans ces environnements peuvent sauter une année. On pourrait donc avoir un plan d’étude approuvé qui ne tient pas compte de toutes les espèces, mais les données diraient qu’il faut lancer le développement. Je pense qu’il est nécessaire de disposer de meilleures données », déclare-t-il.

 

DES ALTERNATIVES POUR PROTÉGER LES ESPACES NATURELS

Pour certains défenseurs de l’environnement, toute perturbation du désert est malvenue.

« La dernière chose que nous devrions faire est de construire des projets solaires sur des terres publiques qui se trouvent dans des écosystèmes où la biodiversité du désert des Mojaves est florissante », déclare Laura Cunningham, militante et technicienne de la faune qui vit dans ce désert du Nevada. « La destruction de toute plante, même petite, a une importance. Et il est normal qu’elle en ait une car il existe de meilleures alternatives. »

Avec son mari Kevin Emerich, garde forestier à la retraite, elle a fondé Basin and Range Watch, une organisation qui suit et s’oppose aux projets énergétiques sur les terres vierges de l’Ouest. Outre les mines de lithium, le BLM étudie actuellement des permis pour six projets d’énergie solaire différents qui s’étendraient sur plus de 25 000 hectares, selon les demandes documentées par Basin and Range Watch. Ces projets sont tous situés dans le sud-ouest du Nevada, à seulement quelques kilomètres du parc national de la Vallée de la Mort et en dehors de la zone d’énergie solaire locale.

Cunningham et d’autres opposants à la construction d’installations solaires sur des terrains non développés affirment qu’il existe une solution qui consiste à installer des panneaux solaires sur des structures ombragées au-dessus des millions de places de stationnement que l’on trouve dans les villes. Une étude portant sur le Connecticut a montré que les centrales solaires installées sur les parkings pourraient fournir 37 % de toute l’électricité annuelle de l’État. 

Une autre alternative à l’installation de centrales solaires sur des terrains intacts pourrait également être l’agrivoltaïsme, qui combine la production d’énergie photovoltaïque et la croissance des cultures dans les mêmes champs agricoles. Selon une étude publiée dans Nature Sustainability en 2019, les panneaux solaires pourraient offrir des avantages agricoles tels que la réduction de la pression de la sécheresse sur les plantes en faisant de l’ombre au sol.

D’ici 2035, l’énergie solaire pourrait fournir 40 % de l’énergie des États-Unis, et Walston affirme que les analyses effectuées par les scientifiques d’Argonne ont montré que le pays dispose de suffisamment de terres déjà développées pour fournir suffisamment d’énergie solaire, et ce sans nécessité de construire davantage sur des terrains intacts.

« Les terrains perturbés sont déjà là. Il s’agit juste de convaincre l’industrie [de les utiliser] », ajoute-t-il.

 

DEUX CRISES QUI SE CHEVAUCHENT

Tous les écologistes n’estiment pas que l’expansion des énergies renouvelables est une menace majeure pour la biodiversité.

« Je pense que l’échelle à laquelle le développement se produit actuellement n’est pas du tout proche du point à partir duquel nous pourrions parler d’extinction liée à ce développement », déclare Helen O’Shea, experte en développement durable des énergies renouvelables au Natural Resources Defense Council. « Je souhaite simplement insister sur le fait qu’il s’agit d’un exercice d’équilibre, et les exercices d’équilibre sont difficiles. »

Elle note que la mise en place d’énergies renouvelables sur des structures telles que les parkings ou l’installation de panneaux solaires sur les maisons n’est pas assez rapide pour atteindre les objectifs en matière de changement climatique.

« Le rythme [de ces installations] est incroyablement lent », déclare O’Shea. « Il y a énormément de travail à faire sur la production décentralisée, mais je ne pense pas que cela résoudra tous nos besoins énergétiques dans le laps de temps dont nous disposons pour combattre le changement climatique. »

Et si la construction sur des habitats importants est une menace directe pour la biodiversité, cette dernière est également menacée par les changements climatiques causés par les émissions de combustibles fossiles, explique Lori Bird, directrice du programme énergétique américain à l’Institut des ressources mondiales (WRI).

« Nous allons devoir assainir le secteur de l’électricité pour stopper le changement climatique, qui a de nombreuses conséquences sur la biodiversité et la sécheresse », explique Bird. « Si nous ne nous attaquons pas aux émissions de gaz à effet de serre, nous rencontrerons d’autres problèmes. »

Cependant, au Nevada, les opposants prennent des mesures pour protéger le désert intact.

En réponse à une pétition du Center for Biological Diversity, le FWS a proposé d’inscrire le sarrasin de Tiehm sur la liste des espèces menacées et de définir 370 hectares de Rhyolite Ridge comme habitat essentiel. Cela correspondrait aux 4 hectares sur lesquels vit réellement la plante, et une grande zone tampon pour soutenir ses insectes pollinisateurs. La décision finale est en attente. Ioneer, la compagnie minière, a déclaré dans un communiqué que cette désignation n’aurait « aucun impact matériel » sur ses activités minières.

Basin and Range Watch, quant à elle, intente une action en justice pour empêcher la construction de la mine de lithium de Thacker Pass dans le nord-ouest du Nevada. Si cette dernière est construite, il s’agirait de la plus grande mine de lithium des États-Unis, à une époque où la majeure partie du lithium mondial provient d’Australie, du Chili et de Chine. Mais les opposants affirment que la mine pourrait mettre en danger les populations de tétras des armoises.

Cunningham et Emmerich tentent également de rallier l’opposition aux projets solaires des Mojaves, ainsi qu’au projet Greenlink West : une ligne de transmission à haute tension qui s’étendrait sur plus de 360 kilomètres entre Reno et Las Vegas, et relierait tous les nouveaux projets au réseau.

« On nous a traités de "complices du pétrole" », dit Cunningham, par rapport à leur opposition à l’implantation d’énergies renouvelables dans le désert.

Elle explique toutefois que si les projets énergétiques étaient des oléoducs ou des centrales au charbon, Emmerich et elle agiraient de la même manière. Il se trouve juste que le type d’énergie qu’ils dénoncent vise à lutter contre le changement climatique plutôt qu’à le provoquer.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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