Comment les Hommes ont-ils découvert le fer ? Il est tombé du ciel...

Avant que les Hommes apprennent à fondre le fer, les premières cultures utilisaient celui des météorites pour fabriquer armes et ornements.

De Jay Bennett
illustrations de Owen Freeman, Paolo Verzone
Dans la Chine ancienne, les artisans fabriquaient une arme unique, le ge – une hache-poignard fixée ...

Dans la Chine ancienne, les artisans fabriquaient une arme unique, le ge – une hache-poignard fixée à une hampe. Certains ge créés à partir de fer météoritique auraient été gardés précieusement par la royauté à des fins cérémonielles. On ignore si les Chinois avaient compris que ce métal tombait du ciel, mais ils étaient très attentifs aux phénomènes célestes.

ILLUSTRATION DE Owen Freeman

Retrouvez cet article dans le numéro 285 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

À l'intérieur d'une tombe royale vieille de 4 400 ans, en Égypte, j'examine les murs à la recherche d'un symbole bien précis. 

Des vautours, des chouettes, des yeux et des pieds, des serpents et des demi-cercles : les formes de l’un des plus anciens systèmes d’écriture sont gravées dans le calcaire en colonnes bien ordonnées. Des traces de pigment d’un bleu brillant, ornement très prisé dans l’Ancien Empire, tapissent encore les incisions des hiéroglyphes. 

Le symbole que j’essaie de trouver ressemble à un bol avec une ligne horizontale juste sous le bord, comme s’il était rempli d’eau. Au sol, des lampes fluorescentes éclairent l’anti-chambre, projetant sur les textes les ombres des touristes et des guides de passage. Des rangées d’étoiles sculptées à cinq branches couvrent le plafond voûté.

L’égyptologue Victoria Almansa-Villatoro scrute elle aussi les hiéroglyphes, en les suivant du doigt. Spécialiste des textes de l’Ancien Empire au sein de la Harvard Society of Fellows, elle a accepté de me faire visiter la nécropole de Saqqarah, à environ 25 km au sud du Caire. Cette sépulture est celle d’Ounas, dernier souverain de la Ve dynastie, au XXIVe siècle av. J.-C. Les formules magiques inscrites sur les murs étaient destinées à guider le roi défunt à travers les périls de l’au-delà. Ce sont les plus anciens écrits de ce type, connus sous le nom de « Textes des Pyramides ». Les doigts de Victoria Almansa-Villatoro s’arrêtent net sur une colonne de symboles près du passage menant au sarcophage d’Ounas. « Le voilà », murmure-t-elle avec enthousiasme, pointant la marque en forme de U. Les recherches de l’égyptologue suggèrent que ce symbole était utilisé pour désigner le fer – chose remarquable pour des scribes égyptiens de l’époque, car il faudrait attendre environ mille ans de plus avant que l’homme apprenne à fondre le fer de façon efficace. Mais il existait une autre source du métal : les météorites.

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    Un ge à la lame en fer météoritique montée sur du bronze a été trouvé dans la tombe d’un souverain du VIIIe ou du IXe siècle av. J.-C. Il témoigne d’une
    innovation : l’association d’une lame en fer de météorite à une autre pièce coulée en bronze. Des armes similaires, mais en fer obtenu par la fonte, suggèrent que le métal météoritique a pu influencer les débuts de la métallurgie.
     

    PHOTOGRAPHIE DE ZHAO ANG, MUSÉE DE L’ÉTAT DE GUO, SANMENXIA, CHINE, Owen Freeman

    Au cours de la dernière décennie, des études portant sur divers artefacts ont confirmé que certaines civilisations ont utilisé le fer des météorites pour fabriquer des objets avant l’avènement des techniques de fonte du fer. Dans le cimetière de Gerzeh, sur le Nil, daté d’environ 5 200 ans, les archéologues ont découvert neuf perles en métal météoritique. Une dague polie superbement réalisée et d’autres objets en fer météoritique faisaient aussi partie des trésors scellés dans la tombe de Toutankhamon, il y a 3 300 ans environ. Des armes et des bijoux anciens façonnés dans ce matériau rare ont également été découverts dans d’autres parties du monde : des perles en Amérique du Nord, des haches en Chine et un poignard en Turquie.

    La plupart du temps, on ignore si les cultures  concernées comprenaient l’origine des météorites. Dans la tombe d’Ounas, les textes funéraires parlent de métal dans le ciel, ce qui suggère que les Égyptiens auraient non seulement reconnu le phénomène de la chute du fer, mais l’auraient également intégré dans leurs croyances mystiques.

    « Ounas saisit – empoigne – le ciel et fend son fer », traduit Victoria Almansa-Villatoro depuis le pan de mur. Ce passage décrit le périple -d’Ounas dans le royaume divin du ciel. Sa signification est obscure, mais, selon l’égyptologue, il reflète une croyance selon laquelle le ciel est un grand bassin de fer rempli d’eau d’où tombent parfois la pluie et le métal. Pour atteindre l’au-delà, nous disent les Textes des Pyramides, le roi doit naviguer à travers ce domaine céleste. 

    Les inscriptions gravées dans les tombes de souverains ultérieurs contiennent d’autres références tout aussi obscures. « La porte de fer du ciel étoilé est ouverte », peut-on ainsi lire dans une traduction de Victoria Almansa-Villatoro. 

     

    MÉTÉORITES : DU MYTHE À LA RÉALITÉ

    Des roches et des métaux pleuvent sur la Terre depuis son origine, principalement sous forme de fragments de corps planétaires pulvérisés lors de collisions. Chaque année, environ 17 600 météorites pesant plus de 50 g atteignent notre planète. La plupart sont principalement composées de pierres, mais environ 4 % sont constituées d’alliages de fer et de nickel distincts du fer terrestre. Et, en général, elles passent totalement inaperçues.

    Le premier récit daté d’une possible chute de météorite apparaît dans les écrits des Grecs et des Romains de l’Antiquité. Aristote, Plutarque et Pline l’Ancien, entre autres, signalent une pierre tombée en 467 ou 466 av. J.-C. dans ce qui constitue aujourd’hui la Turquie. « Il ne fait aucun doute que des pierres tombent fréquemment », fait ainsi observer Pline. Plutarque, quant à lui, évoque un engagement militaire romain qui aurait été interrompu par une météorite, au Ier siècle av. J.-C. 

    En 861, près d’un sanctuaire à Nogata, au Japon, « une grande détonation s’est produite », « un éclair a été aperçu » et « une pierre noire a été trouvée au fond d’un trou nouvellement fait dans le sol », selon des récits transmis oralement, compilés en 1927. En 1983, des scientifiques japonais ont étudié la météorite, conservée dans une vieille boîte en bois portant l’inscription de l’année de sa chute. Après avoir daté le contenant au carbone, ils en ont conclu que la pierre était sans doute tombée tel que cela avait été décrit.

    En Europe, cependant, la plupart des scientifiques restèrent sceptiques quant à la réalité du phénomène des météorites jusqu’au début du XIXe siècle. En avril 1794, la publication par le scientifique allemand Ernst Chladni d’un livre réunissant des rapports sur les pierres et le fer tombant du ciel lui valut d’être ridiculisé.

    Puis le cosmos est intervenu. En juin 1794, des témoins ont vu une pluie de pierres s’abattre près de Sienne, en Italie. L’année suivante, un caillou de 25 kg est tombé à Wold Cottage, en Angleterre. Le chimiste anglais Edward C. Howard et le minéralogiste français Jacques-Louis de Bournon ont alors collecté des échantillons des « corps tombés ». Leurs analyses, publiées en 1802, ont montré que quatre météorites pierreuses présentaient des compositions et des structures - différentes des roches terrestres.

    En 1751, une météorite s’est écrasée à Hrašćina, en Croatie. Des témoins ont rapporté avoir vu une explosion et une boule de feu dans le ciel – affirmations considérées ensuite comme des légendes. Le plus gros morceau de cette pierre, d’un poids de 40 kg, est exposé au Musée d’histoire naturelle de Vienne, en Autriche.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

    Mais ce n’est qu’en 1803 que la communauté scientifique européenne a fini par valider la thèse avancée par Pline l’Ancien. Cette année-là, en effet, la ville de L’Aigle, en Normandie, a été bombardée d’une pluie d’environ 3 000 météorites. L’intérêt scientifique pour ces pierres s’est ainsi accru. Le naturaliste anglais James Sowerby en a réuni toute une collection dans son musée personnel, dont la météorite de Wold Cottage.  

     

    MÉTAL RARE, OBJETS PRÉCIEUX

    Qu'ils eurent ou non conscience qu’il venait du ciel, les peuples anciens appréciaient le fer météoritique. Le cuivre, l’argent et l’or existent sous forme de métal et peuvent être extraits et travaillés, mais, sur Terre, le fer est presque toujours lié à d’autres éléments, comme l’oxygène, dans des minerais. Les plus anciens objets connus façonnés en métal spatial étaient des ornements, comme les perles de Gerzeh, dont certaines étaient réunies à de l’or et à des pierres précieuses – lapis-lazuli, cornaline et agate.

    « Au début, il était utilisé pour des objets précieux, des perles et des objets symboliques, parce qu’il était si exotique, explique Katja Broschat, restauratrice d’objets anciens au Centre d’archéologie Leibniz de Mayence, en Allemagne. Il a fallu un certain temps pour que la technique de fabrication […] soit assez bonne pour produire une arme ou un outil. »

    Lorsque la dague de Toutankhamon a été façonnée, à la fin de l’âge du bronze, les artisans avaient appris à meuler et à polir le métal météoritique pour en faire une lame fine. « Elle est très tranchante, indique Katja Broschat, qui l’a étudiée. Je suis sûre que l’on peut tuer un animal avec, peut-être même un homme. » Dotée d’un manche en or avec des incrustations de pierre et de verre, un pommeau en cristal de roche et un fourreau en or avec de riches motifs, elle a été trouvée dans les bandelettes autour de la cuisse droite de la momie. C’était à la fois « un objet dont il aurait besoin dans l’au-delà pour lutter contre les démons ou tout autre danger », explique Victoria Almansa-Villatoro, mais « aussi un marqueur de statut social ».

    La dague de Toutankhamon est l’un des objets en fer météoritique les plus savamment ouvragés connus, mais des preuves de l’utilisation du matériau par d’anciennes cultures ont été trouvées ailleurs dans la région et dans le monde. Ainsi, un poignard provenant d’une tombe royale d’Alaca Höyük, en Turquie, est antérieur d’un millier d’années à la dague trouvée aux côtés de Toutankhamon. En Chine, un couteau et un ge – une hache--poignard emmanchée sur une hampe – munis de lames en fer météoritique ont été découverts dans les tombes de deux hommes, peut-être des frères, qui ont régné sur l’État de Guo au VIIIe ou IXe siècle av. J.-C. Les armes étaient sans doute cérémonielles, comme celles, contemporaines, pourvues de lames en jade, explique Kunlong Chen, professeur à l’université des sciences et technologies de Pékin.

    Des objets similaires – un ge et une hache de combat avec des lames en fer météoritique – ont été acquis par la Smithsonian Institution en 1934. Ils provenaient apparemment de la province du Henan, où se trouvent des sites de la dynastie Zhou. La hache à large lame a probablement été fabriquée sous la dynastie Shang et a pu être transmise comme un objet précieux. Ce type d’arme a été utilisé à l’époque où l’État de Zhou a renversé les rois Shang et institué le mandat du Ciel, la philosophie selon laquelle le roi régnait par décret divin.

    Ces souverains savaient-ils que les armes étaient faites de métal céleste ? Aucune référence aux météorites datant de l’époque n’a été découverte, mais les textes chinois évoquent éclipses et comètes : « L’astronomie était déjà très développée à ce moment-là, explique Keith Wilson, conservateur au Musée national d’art asiatique de la Smithsonian Institution. Il se peut fort bien qu’il y ait eu des astronomes à la cour, qui observaient le ciel. » 

    En Amérique du Nord, des dizaines de perles, des bouchons d’oreille, de petites lames et d’autres objets en fer météoritique ont été exhumés dans les tumulus de Hopewell, un vaste réseau de cultures qui faisaient le commerce de matériaux exotiques. Dans l’Illinois, près de l’actuelle Havana, vingt-deux perles tubulaires autrefois associées à des coquillages ont été trouvées dans une tombe datée de 300 ans av. J.-C. environ. Une équipe de chercheurs a établi qu’elles avaient été fabriquées à partir de fer provenant d’une pluie de météorites qui s’était abattue à quelque 650 km au nord, près de la ville actuelle d’Anoka, dans le Minnesota. Le métal brut de la météorite d’Anoka a probablement été vendu à Havana, où il a été façonné en perles.

    La dague en fer de Toutankhamon se distingue par son excellente facture. L’archéologue Howard Carter, qui a dirigé les fouilles de la tombe du pharaon, a décrit une lame «très tranchante». Des incrustations de pierres et de verres colorés ornent le manche en or. Les filigranes et les motifs en relief sont eux aussi en or. Le pommeau a été taillé dans du cristal de roche. Les chercheurs pensent que le manche n’est peut-être pas d’origine, car la soie de la lame n’est pas complètement insérée dans la poignée. Cette dague, l’une des deux trouvées sur la momie, était clairement un objet de valeur.
     

    PHOTOGRAPHIE DE Sandro Vannini, Arrière plan Owen Freeman

    En l’absence d’écrits, impossible de dire si ces peuples comprenaient que le métal venait du ciel. « Nous en savons beaucoup sur leur culture matérielle, note Tim McCoy, du Muséum d’histoire naturelle de la Smithsonian Institution, mais très peu sur leur système de croyances. »

    Ailleurs, les météorites fournissent des indices sur les interactions entre l’homme et le métal extraterrestre. En Argentine, une pluie de météorites de fer a créé un champ de cratères d’impact à environ 800 km au nord-ouest de Buenos Aires, il y a à peu près 4 500 ans. Au XVIe siècle, le gouverneur espagnol de la province de Tucumán a entendu des autochtones parler de morceaux de métal tombés du ciel. Des guides ont alors conduit les soldats espagnols dans la région, appelée « Piguem Nonraltá » par les populations indigènes et dont le nom fut traduit par « Campo del Cielo » (« Champ du ciel »). Les militaires y ont trouvé un grand bloc de fer, mais ont refusé de croire les récits affirmant qu’il venait des cieux. D’après les rapports espagnols, les Amérindiens ont fabriqué des armes avec ce métal, mais aucune n’a été retrouvée.

    Campo del Cielo compte au moins vingt-six cratères d’impact. Plus de 100 t de fer ont été récupérées dans la région, dont deux des plus grands fragments de météorite du monde – l’un, pesant plus de 30 t et nommé Gancedo, n’a été découvert qu’en 2016. Des chercheurs de l’université nationale de La Plata, en Argentine, ont récemment voulu savoir si les récits indigènes de cataclysmes pouvaient correspondre à des descriptions de l’impact. S’ils n’ont pas trouvé de preuve décisive, ils ont noté que certains récits font état de feu ou de pierres tombant du ciel. Ils ont aussi conclu que la pluie de météorites « était d’une telle ampleur qu’elle a dû profondément marquer les cultures de la région ».

     

    TROUVER DU MÉTAL MÉTÉORITIQUE

    La fréquence à laquelle les hommes ont utilisé le métal céleste s’avère difficile à déterminer. Des centaines d’objets en fer provenant de sites de l’âge du bronze ont été répertoriés par l’archéologie, mais la plupart n’ont pas été analysés et beaucoup ne sont guère plus que de petits morceaux de métal rouillé – probablement des épingles ou des anneaux.

    Un prêtre portant un masque d’Anubis, le dieu de la momification, dépose une dague en fer météoritique auprès de Toutankhamon. Protection pour le voyage vers l’au-delà, l’arme pouvait s’avérer utile si le pharaon devait affronter le serpent géant Apophis. Les anciens Égyptiens ont peut-être compris que les météorites tombaient du ciel et intégré ce savoir dans leurs croyances.

    ILLUSTRATION DE Owen Freeman

    « Si l’on considère ce qui a déjà été fouillé et le peu qui a été étudié, c’est un scandale », regrette Thilo Rehren, archéologue à l’Institut de Chypre. Comme beaucoup de ses confrères, il s’emploie à distinguer le fer météoritique du fer produit par la fonte, moins pour découvrir un métal céleste que pour comprendre comment et à quel endroit l’âge du fer a commencé. 

    Les civilisations d’Asie occidentale et du Caucase ont commencé à fabriquer du bronze dès le quatrième millénaire avant notre ère. Mais la plupart des experts pensent que les hommes n’ont pas appris à extraire le fer du minerai de manière fiable avant la fin du deuxième millénaire av. J.-C. La fonte du fer nécessite des températures d’environ 1 200 °C. 

    « Lorsqu’on commence à fondre du minerai de fer, c’est une activité importante, qui permet de réaliser des armes dont la fabrication n’est pas coûteuse », explique Albert Jambon, professeur émérite à Sorbonne-Université, à Paris. « Cela marque le passage d’une ancienne à une nouvelle économie. » Ce géochimiste a passé les douze dernières années à rechercher des objets en fer de l’âge du bronze et à les analyser. Ses recherches l’ont conduit à Alep, en Syrie, où il a examiné un pendentif sphérique en fer trouvé dans l’ancienne cité d’Umm el-Marra, dans une tombe datée de 2300 av. J.-C. Il faisait partie du mobilier funéraire d’une femme, qui comprenait des perles d’or et de pierre ainsi qu’un morceau de lapis-lazuli sculpté en forme de chèvre. L’ensemble était peut-être suspendu à un collier. Le musée d’Alep possède aussi une tête de hache en cuivre avec une lame en fer, datée d’environ 1400 av. J.-C., découverte dans les ruines de la ville portuaire d’Ougarit. L’analyse de la composition chimique de ces deux objets, qu’il a réalisée à l’aide d’un spectromètre à fluorescence X portable, a permis à Albert Jambon de conclure que le fer était météoritique.

    C’est à Nicosie, à Chypre, que je rencontre le géochimiste. Il est en train d’étudier la vaste collection des premiers artefacts en fer de l’île, qui remontent à environ 1200 ans av. J.-C. La datation interpelle, dans la mesure où l’île ne possède pas de minerais de fer caractéristiques, comme la magnétite et l’hématite.

    Dans une réserve poussiéreuse du musée de Chypre, Albert Jambon utilise son pistolet à rayons X et une petite loupe pour examiner des dizaines d’objets en fer. Il est peu probable que ceux-ci se retrouvent un jour dans des vitrines : le fer rouille lorsqu’il est exposé à l’oxygène, contrairement au bronze, qui prend une patine verte, ou à l’or, qui ne s’oxyde pas du tout. À côté de trésors bien conservés, du métal qui se corrode n’a donc rien d’exceptionnel. Et il semble qu’aucun de ces objets n’ait été fabriqué en métal météoritique. La plupart sont des couteaux, mais un anneau en spirale et une broche rappellent que, même après le début de la fonte du fer, le métal était considéré comme précieux.

    La météorite de Hoba, près de Grootfontein, en Namibie, qui doit son nom à la ferme où elle a été trouvée, est la plus grande connue dans le monde – son poids estimé dépasse 60 t. Elle est restée à l’endroit où elle s’est écrasée, il y a moins de 80 000 ans, selon une datation par radioactivité. Des gradins ont été construits tout autour, afin d’en permettre l’observation.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

     

    INTERPRÉTER LES TEXTES ANCIENS

    Les artefacts qui pourraient aider à reconstituer le puzzle des origines de l’âge du fer s’abîment peu à peu, mais des indices supplémentaires continuent à être découverts dans les textes anciens. Entre le XXe et le XVIIIe siècle av. J.-C., la cité-État assyrienne d’Assour, située dans l’Irak moderne, a établi des comptoirs commerciaux dans ce qui est aujourd’hui la Turquie. Quelque 20 000 tablettes cunéiformes trouvées à Kültepe (Kanesh), le site de son principal avant-poste, révèlent les détails de ce commerce. Les documents contiennent de nombreux termes liés au fer, comme le mot akkadien parzillum, aussi utilisé à des époques ultérieures. L’un des plus courants, cependant, est le terme amūtum, qui apparaît avec des signes cunéiformes pouvant signifier « métal » et « ciel ». 

    Ce terme se réfère-t-il explicitement au fer météoritique ? Ce n’est pas clair. « Quoi qu’il en soit, il était extrêmement cher », souligne Gojko Barjamovic, assyriologue à l’université Harvard. Les archives de Kültepe (Kanesh) montrent que la valeur d’échange de ce métal pouvait atteindre quarante fois le prix de l’argent.

    Le mot parzillum apparaît à nouveau dans deux tablettes cunéiformes envoyées en Égypte au XIVe siècle av. J.-C. Ces tablettes, qui figurent parmi les 382 trouvées dans l’ancienne capitale égyptienne d’Amarna, décrivent trois poignards à lame de fer, ainsi que des bracelets de fer et une masse de fer recouverte d’or.

    Ces objets figurent sur des listes de cadeaux envoyés par Tushratta, le souverain du royaume de Mitanni, qui occupait une région aujourd’hui à cheval sur la Syrie et la Turquie, au pharaon égyptien Amenhotep III. Celui-ci étant tenu pour être le grand-père de uisent que la dague en fer trouvée dans le tombeau de ce dernier pourrait être l’une de celles mentionnées dans les listes, peut-être transmise en héritage.

    Au début du XIXe siècle, les scientifiques européens débattaient encore de l’existence des météorites. En 1803, l’une d’elles a explosé dans le ciel, faisant pleuvoir environ 3 000 pierres sur la commune de L’Aigle, en Normandie. Certaines d’entre elles sont exposées au Musée d’histoire naturelle de Vienne.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

    D’autres mots désignant le fer apparaissent dans les documents de l’Empire hittite, qui devint la puissance dominante dans une grande partie de la Turquie et de la Syrie actuelles vers le XIVe siècle av. J.-C. Parmi eux, figurent « bon fer », « fer noir » et peut-être « fer blanc », qui ont pu être utilisés pour désigner différents types de métal. Un rituel dont plusieurs textes gardent la trace décrit la construction d’un temple par les dieux. Une phrase figurant dans l’un de ces écrits – « Ils ont apporté le fer noir du ciel » – pourrait faire référence à la croûte noire qui recouvre les météorites après leur plongée brûlante dans l’atmosphère. « Ce genre de détail indique qu’ils semblaient savoir que cela venait du ciel », fait remarquer Mark Weeden, spécialiste des textes hittites à l’University College de Londres.

    Les inventaires hittites mentionnent des centaines d’objets en fer, dont des lames, des bijoux, des statuettes et une bassine. Les quantités évoquées, ainsi que les descriptions de personnes travaillant le matériau, ont conduit certains chercheurs à conclure que les Hittites avaient peut-être développé la fonte du fer à cette époque. Mais seulement une vingtaine d’artefacts en fer rouillé ont été découverts sur des sites appartenant à cette civilisation, et ils n’ont pas été analysés pour déterminer leur éventuelle origine météoritique. L’importance du travail du fer à cette époque reste donc un mystère.

     

    LE BON ORDRE DES CHOSES 

    Au musée égytien du Caire, j’ai admiré deux objets en fer trouvés avec les restes momifiés de Toutankhamon. Leur origine météoritique a récemment été confirmée. L’un d’eux est un pendentif représentant l’œil d’Horus suspendu à un bracelet en alliage d’or, découvert dans les bandelettes recouvrant le pharaon, près du côté droit de sa cage thoracique. Ce symbole est l’un des plus reconnaissables de l’Égypte ancienne. Utilisé continuellement depuis plus de 2 000 ans, il provient d’un mythe égyptien relatant l’affrontement entre Horus, le dieu de l’ordre, et Seth, le dieu du chaos. Seth arrache l’œil d’Horus, qui est ensuite guéri. Le symbole représente un retour au bon ordre des choses. L’autre objet est une amulette en forme d’appuie-tête, semblable à ceux en bois que les Égyptiens utilisaient pour dormir. Elle a été retrouvée à l’arrière du masque funéraire de Toutankhamon. Ces amulettes constituaient des symboles de la renaissance. L’image d’une tête ronde sur un appuie-tête incurvé évoquait le soleil levant, le dieu Rê, né chaque matin de la déesse du ciel, Nout, et avalé par elle chaque nuit.

    Je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si ceux qui fabriquaient ces talismans savaient d’où provenait ce matériau d’un autre monde. Tout en traçant avec précision la ligne du sourcil d’Horus, l’artisan a-t-il pensé à la façon dont ce métal était arrivé entre ses mains depuis le royaume des dieux ? 

    Ces deux perles de fer, trouvées dans un tumulus de l’Illinois, sont conservées au Muséum d’histoire naturelle de la Smithsonian Institution. Elles sont posées sur une coupe transversale de la météorite à partir de laquelle les populations Hopewell les ont fabriquées. Les cristaux entrecroisés de fer et de nickel forment un motif de Widmanstätten, résultat d’un lent refroidissement au cœur d’un corps planétaire.
     

    PHOTOGRAPHIE DE Mark Thiessen

    Nous ne le saurons jamais, mais ce que nous savons en revanche, c’est que les descriptions de métal dans le ciel ont perduré dans les écrits égyptiens pendant des milliers d’années. Les formules funéraires des Textes des Pyramides sont devenues les Textes des Sarcophages, lesquels étaient peints à l’intérieur et à l’extérieur des cercueils. « Je connais ce Champ des Roseaux de Rê », peut-on lire sur plusieurs d’entre eux, en référence à une région du ciel. « Le mur qui l’entoure est de fer. »

    Au XIIIe siècle av. J.-C., une manière plus directe d’écrire « métal du ciel » a fait son apparition. Les textes funéraires étaient à l’époque couchés sur des papyrus. Ils sont aujourd’hui connus sous le nom de « Livre des morts ». L’une des formules qui y figure décrit un grand filet de pêche, un obstacle que les défunts doivent franchir au cours de leur voyage vers l’au-delà. « Sais-tu que je connais le nom de ses lests ? », est-il écrit dans le Livre des morts. « C’est le fer au beau milieu du ciel. » 

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