Les astronomes du NRAO ne s’attendaient pas à découvrir ce nuage moléculaire géant
Mi-juillet, une équipe du National Radio Astronomy Observatory a annoncé la découverte d’un nuage moléculaire géant dans une zone encore peu explorée de la Voie lactée.

Illustration d’un nuage de poussière au centre de la Voie lactée.
Principalement composé d’hydrogène moléculaire, le nuage a été identifié grâce à des observations radio effectuées avec le télescope de Green Bank. Selon une étude publiée en juillet dans The Astrophysical Journal, les travaux des astronomes du NRAO révèlent que cette structure gigantesque faite de gaz et de poussière s’étend sur près de 200 années-lumière et possède une masse équivalente à 160 000 fois celle de notre Soleil.
Surnommé « Midpoint Cloud » (ou M4.7–0.8), le nuage se situe à environ 23 000 années-lumière de la Terre, dans la zone de transition entre le disque galactique et la zone moléculaire centrale. « Personne n’avait la moindre idée de l’existence de ce nuage jusqu’à ce que nous scrutions cette portion du ciel et découvrions un gaz d’une densité inattendue », a déclaré Natalie Butterfield, responsable de l’équipe et chercheuse au NRAO, dans le communiqué du Green Bank Observatory.
Grâce à leurs observations, les astronomes ont identifié, à l’intérieur du nuage, des zones dynamiques comprenant plusieurs sites potentiels de formation stellaire, ainsi que de denses voies poussiéreuses susceptibles d’acheminer de la matière vers le cœur de notre galaxie.
LE TRANSPORT DE MATIÈRE VERS LE CENTRE
Patrick Hennebelle, astrophysicien et directeur de recherche au CEA Paris-Saclay, s’est penché pour National Geographic sur la découverte des chercheurs du NRAO. Il rappelle que « la question de la distribution des nuages moléculaires dans les galaxies, et du rôle souvent particulier du centre galactique, est intéressante et [se pose] depuis longtemps. […] On s'attend à ce qu'il y ait des nuages moléculaires partout dans la galaxie ». Ce qui retient son attention, c’est que ce nuage géant se situe « dans une zone de transition entre le disque, [appelé] anneau moléculaire, et le centre galactique », au point médian des bandes de poussière de la barre galactique, « et qu’il va peut-être finir par tomber dans la zone moléculaire centrale ».
Natalie Butterfield explique que « la barre galactique est un environnement unique dans la Voie lactée. La zone moléculaire centrale et le disque galactique sont depuis longtemps connus pour présenter des environnements très différents ». En effet, cette zone centrale possède des propriétés extrêmes (température du gaz, turbulence et densité), environ dix fois supérieures à celles des nuages du disque. « On ne sait pas pourquoi ses propriétés sont aussi élevées », souligne la chercheuse.
Les larges bandes de poussière observées dans le nuage permettraient de comprendre comment la matière circule du disque de la Voie lactée jusqu’à son centre. Selon Patrick Hennebelle, il s’agit en réalité de « filaments de gaz concentré qui s’écoulent vers le centre galactique ». Le chercheur tient à éviter toute confusion : ces voies denses et poussiéreuses « ne sont pas des routes préexistantes, mais plutôt [la forme que prend] la matière lorsqu’elle est acheminée » sous l’effet de différents processus.
« Le centre galactique est en train d’accréter de la matière sous forme de filaments ; c’est un processus assez connu », souligne l’astrophysicien. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : « la gravité, notamment la force gravitationnelle et l'autogravité, la turbulence et le champ magnétique ont tous tendance à former des filaments, des structures étirées ». Dans le communiqué, Natalie Butterfield estime que la découverte du nuage Midpoint constitue « une opportunité unique d’étudier les conditions initiales du gaz avant son accumulation au centre ».
Selon elle, « en astronomie, nous n’avons en réalité qu’un seul “aperçu” du cosmos ; il est donc très difficile de connaître l’état du gaz ou des nuages avant nos observations. Ainsi, en comprenant le gaz dans la barre galactique, nous pouvons commencer à mieux cerner les propriétés du gaz dans les nuages avant qu’ils ne soient accrétés vers le centre, où le feedback et la formation stellaire peuvent modifier considérablement ces propriétés ». La chercheuse souligne que « les bandes de poussière et, par extension, le nuage moléculaire géant Midpoint, apportent des informations sur ce “maillon manquant” ».

Le nuage moléculaire géant de Rho Ophiuchi est la pouponnière d’étoiles la plus proche de la Terre. Une cinquantaine d’étoiles y naissent dans des cocons de gaz et de poussière, la plupart de masse similaire au Soleil. En bas, une étoile plus puissante crée une cavité géante.
Les données recueillies par l’équipe du NRAO suggèrent que le gaz contenu dans le nuage est dans un état de turbulence comparable à celui observé au centre de notre galaxie. « Il ne faut pas penser [ces nuages moléculaires géants] comme séparés de la turbulence ambiante : ils en sont le produit », explique Patrick Hennebelle. Cette turbulence, probablement provoquée par l’afflux de matière le long des bandes de poussière ou par des collisions avec d’autres nuages, joue un rôle crucial dans la dynamique du gaz et la formation des étoiles.
« Le gaz dans la galaxie se trouve dans un état qu'on qualifie souvent de gravoturbulent, c'est-à-dire qu'il est affecté d'une part par la gravité et d'autre part par la turbulence du fluide », précise le chercheur. En effet, « le fluide dans la galaxie est soumis à la gravité des étoiles mais aussi à l'autogravité. [Par exemple,] le gaz, lorsqu’il devient suffisamment compact et dense, il commence à s'effondrer sur lui-même ».
Cette interaction entre gravité et turbulences est essentielle pour comprendre la formation et l’évolution des nuages moléculaires géants. Au sein de la communauté scientifique, « il y a un consensus assez large pour dire que les nuages moléculaires géants sont le fruit de cette gravoturbulence », souligne Patrick Hennebelle.
DES PREUVES DE NAISSANCE D’ÉTOILES…
À l’intérieur du nuage Midpoint, les chercheurs ont détecté deux zones potentielles de formation stellaire, nommées “Nexus” et “Filament”, où des amas denses de gaz et de poussière semblent sur le point de donner naissance à de nouvelles étoiles. L’un d’eux, nommé Knot E, apparait comme un petit nuage compact en cours d’érosion, sous l’effet du rayonnement intense des étoiles voisines.
Une source naturelle inédite de rayonnement micro-ondes intense, appelée maser, a également été découverte par les astronomes et constitue une preuve supplémentaire de formation stellaire active. « La première chose que nous souhaiterions faire est de confirmer la présence et l’association des sites de formation stellaire potentiels avec le nuage moléculaire géant », avance Natalie Butterfield.
« La formation d’étoiles dans les barres galactiques reste un mystère », affirme le scientifique Larry Morgan dans le communiqué du Green Bank Observatory. « Les forces intenses à l’œuvre dans ces régions peuvent freiner la formation stellaire. Cependant, les bords avant de ces barres, comme celui où se trouve le nuage Midpoint, peuvent accumuler du gaz dense et déclencher la naissance de nouvelles étoiles », précise-t-il.
L’astrophysicien Patrick Hennebelle explique que la formation stellaire joue un rôle clé dans l’évolution de l’univers. « Aujourd’hui, notre univers est très structuré […] mais à ses débuts, il était très ennuyeux et uniforme, avec de toutes petites fluctuations de densité […] et aucun élément chimique. En l’espace d’un milliard d’années, l’univers s’est fortement structuré, notamment grâce la création d’éléments lourds comme le carbone, l’oxygène, etc. », souligne-t-il.
Le chercheur explique que la présence de ces éléments lourds a permis à la matière de libérer son énergie, favorisant la formation de molécules et, par conséquent, l’apparition de la vie. « Les étoiles sont un peu le moteur principal de [toute cette évolution], car ce sont elles qui assurent l’essentiel de la synthèse cosmique » et de la production des éléments de l’univers. Ainsi, Patrick Hennebelle estime que « comprendre la formation des étoiles est très important pour comprendre l'univers en lui-même ».
« Dans le centre galactique, on trouve des nuages moléculaires très massifs et denses. Pourtant, proportionnellement à leur masse, ils forment encore moins d’étoiles que dans le reste de la galaxie », observe-t-il. Pour lui, la découverte de ce nuage moléculaire géant soulève des questions auxquelles il est encore trop tôt pour apporter des réponses : « ce nuage forme-t-il des étoiles de façon comparable aux autres nuages moléculaires de la galaxie ? Ou ressemble-t-il davantage [aux structures déjà observées] au centre galactique ? ». La prochaine étape consistera à « identifier précisément les aspects spécifiques de la formation d’étoiles dans cet objet », conclut le spécialiste.
… ET DE LEUR MORT
Les chercheurs n’ont pas seulement observé des signes de naissance stellaire, mais ont également détecté une structure en forme de coquille, qui semble avoir été créée par des explosions de supernovas en fin de vie. « Les étoiles, au moment de leur formation, et puis de leur mort, dégagent d’importantes quantités d'énergie », explique Patrick Hennebelle. Une supernova marque la fin de vie des étoiles les plus massives, dont la masse est au moins huit fois supérieure à celle du Soleil.
À sa mort, « l’étoile s’effondre, elle n’a plus de carburant, elle a brûlé, au sens nucléaire du terme, c’est-à-dire qu’elle a converti tout son hydrogène en éléments plus lourds. Et donc, il n’y a plus rien pour s’opposer à l’effondrement gravitationnel. Le cœur de l’étoile se contracte de façon très violente, et il y a une sorte de rebond qui se produit ; toute l’énergie gravitationnelle accumulée dans le cœur est alors libérée. C’est ça qui fait une supernova », précise le chercheur.
« On sait que ces étoiles-là vivent typiquement quarante, cinquante ou cent millions d’années, et que les plus massives d’entre elles ne vivent que quelques millions d’années, ce qui est très court à l’échelle cosmique », souligne Patrick Hennebelle. Ainsi, « dès l’instant qu’un [nuage] forme plusieurs milliers de masses solaires en étoiles, on sait assez rapidement qu’une supernova va exploser. […] De ce point de vue-là, ce qu'on voit [dans l’étude] est attendu. ».
Selon le chercheur, l’enjeu de cette découverte sera de « relier la présence des supernovas à ce nuage de façon précise », afin de déterminer le nombre d’étoiles massives qu’il renferme et la période de leur formation. En effet, Patrick Hennebelle précise que la présence de supernovas correspond à « une sorte de phase naturelle de la vie d'un nuage moléculaire », révélant à quel point il a été actif et depuis combien de temps.
« À l’heure actuelle, on a quand même atteint une certaine maturité dans la compréhension de notre galaxie », observe l’astrophysicien. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une révolution, « ce type de découverte est important car il apporte de nouvelles données et permet de mieux comprendre cette zone de transition ». En étudiant cette région, les astronomes espèrent mieux comprendre comment les galaxies construisent leurs structures centrales et forment de nouvelles étoiles dans des environnements extrêmes.

