Gilgamesh, le premier super-héros de l'Histoire

Un érudit autodidacte a découvert le premier mythe épique au monde caché dans les tablettes d'argile conservées au British Museum.

De Francisco del Rio Sanchez

Le héros Gilgamesh dompte sans effort un lion dans cette statue du VIIIe siècle av. J.-C. découverte en Irak.

PHOTOGRAPHIE DE Dagli Orti, Aurimages

Mises au jour à la fin du 19e siècle près de Ninive, ancienne ville de l'Assyrie, dans le Nord de la Mésopotamie, des tablettes d'argile recouvertes d'une écriture indéchiffrable contenaient l'un des plus grands trésors du monde. L'épopée de Gilgamesh, désormais considérée par beaucoup comme le plus ancien poème épique du monde, avait été glissée dans ces écrits en secret, pour échapper à la censure des érudits de l'époque. L'histoire du demi-dieu Gilgamesh aurait pu être perdue mille fois. C'était sans compter sur la curiosité insatiable de George Smith.

Changer de statut social dans l'Angleterre victorienne était ardu. Pour beaucoup, la perspective d'une carrière au prestigieux British Museum était impensable, mais George Smith a surmonté bien des obstacles pour y parvenir. Né en 1840 dans une modeste famille londonienne, George Smith est non seulement devenu un expert de l'écriture cunéiforme de l'ancienne Mésopotamie, mais a également fait une découverte qui a bouleversé les notions contemporaines de l'Histoire ancienne.

George Smith, érudit autodidacte, a reconstitué l'Épopée de Gilgamesh à partir de fragments de tablettes conservés au British Museum.
PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

L'AKKADIEN EN AUTODIDACTE

À l'âge de 14 ans, Smith quitte les bancs de l'école et devient apprenti dans une maison d'édition spécialisée dans les gravures de billets de banque. Ce travail exigeait une attention particulière aux détails visuels et aux modèles, une compétence particulièrement essentielle à la suite de sa carrière.

Son lieu de travail est situé sur Fleet Street, près du British Museum, dans le quartier de Bloomsbury. En 1860, Smith commence à y passer ses déjeuners pour nourrir son insatiable curiosité pour la Mésopotamie. Les découvertes qu'Austen Henry Layard et d'autres archéologues avaient faites récemment sur le site de Ninive le passionnent. Smith passe des heures au musée à étudier les tablettes d'argile et à apprendre à les déchiffrer.

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    Reconstruite au XXe siècle, la Porte Nergal fut construite à Ninive au VIIe siècle avant JC. Parmi les autres monuments érigés à l'apogée de la ville, on trouve la bibliothèque d'Ashurbanipal, où les tablettes de Gilgamesh furent entreposées.
    PHOTOGRAPHIE DE JANE SWEENEY/GETTY IMAGES

    Les tablettes étaient en akkadien, une langue ancienne à l'écriture cunéiforme. Ses caractères sont formés à partir de traits en forme de coins - ce que désigne la racine latine du terme « cunéiforme », cuneo. Déchiffrer l'akkadien exige dévouement et patience. Au fil du temps, les chercheurs travaillant au département des antiquités, qui croisent régulièrement George Smith, comprennent que ce dernier peut l'interpréter.

    Ils ont informé Sir Henry Rawlinson, le plus grand érudit cunéiforme de l'époque, de l'existence de leur talentueux visiteur. Rawlinson, qui avait travaillé avec Layard à Ninive, a rencontré Smith et n'a pas manqué d'être impressionné par ses aptitudes hors-normes. Smith s'est montré particulièrement habile à repérer le fragment placé devant des tablettes d'argile brisées.

    En 1861, Rawlinson convainc le musée d'embaucher Smith, initialement à temps partiel, pour trier le grand nombre de tablettes de sa collection. Les milliers de tablettes venaient pour la plupart de la bibliothèque de Ninive, construite par le roi assyrien Ashurbanipal au VIIe siècle av. J.-C. Fabriquées lorsque l'empire néo-assyrien s'étendait de l'Égypte à la Turquie, les tablettes ont été mises au jour dans les années 1850 par Hormuzd Rassam, un protégé de Layard. Comme les experts en écriture akkadienne étaient rares, la plupart des objets étaient simplement conservés au musée. Au cours de la décennie suivante, Smith les a étudié, perfectionnant sa compréhension des langues anciennes dont il est rapidement devenu un expert.

    La grande bibliothèque du roi assyrien Assurbanipal au VIIe siècle av. J.-C., illustrée dans cette illustration de 1910, a été mise au jour à Ninive dans les années 1850. Des milliers de tablettes y ont été mises au jour avant d'être emportées au British Museum. Parmi celles-ci figurait la tablette du déluge, déchiffrée par George Smith en 1872, prémices de l'existence de l'épopée de Gilgamesh.
    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

    Des révélations singulières ont ponctué ses longues journées de travail au British Museum. Les dix premières années, Smith a réussi à trier les tablettes par dates correspondant à des événements israélites, aidant à retracer des parties de la chronologie biblique. Smith espérait se rendre au Moyen-Orient pour mettre au jour de nouvelles tablettes, mais le musée a préféré qu'il reste à Londres pour continuer de déchiffrer les tablettes déjà en sa possession.

     

    LE RÉCIT D'UN DÉLUGE

    Le grand espoir de Smith était que son travail puisse démontrer des liens avec des récits bibliques. En novembre 1872, un fragment de Ninive attire son attention. Pour un profane, cette pièce (maintenant connue sous le nom de tablette K.3375) ne semble pas très différente des autres. Mais des mots intriguent Smith. Une grande partie du lettrage, cependant, est obscurcie par une couche de crasse. Smith, tout anxieux qu'il est, doit attendre plusieurs jours avant que la tablette lui soit retournée nettoyée.

    Quand la tablette restaurée est placée devant lui, il déchiffre les caractères et confirme son intuition - ils font partie d'une histoire narrant une grande inondation, dont beaucoup d'éléments clés font résonance à la Genèse et au déluge. Ces tablettes étaient cependant beaucoup plus anciennes que les premières versions de la Bible.

    L'une des tablettes de Gilgamesh, semblable à celle récemment restituée au peuple irakien. Ici, la Tablette narrant l'inondation.

    PHOTOGRAPHIE DE British Museum, Scala, Florence

    La découverte de Smith fait sensation, non seulement dans le milieu universitaire mais aussi auprès du grand public. En échange de l'exclusivité, le London Daily Telegraph offre le financement d'une fouille menée par George Smith au Moyen-Orient. Il a pour mission de trouver les pièces manquantes de l'histoire commencée par ses traductions initiales.

    La carrière de Smith évolue ensuite rapidement. Après seulement quelques jours d'excavation à Ninive, il met au jour les fragments manquants à l'histoire de Gilgamesh. Quelques mois plus tard cette même année, il découvre d'autres fragments qui lui permettent de recomposer le récit.

    Alors que Smith réunit ces nouveaux artefacts, un poème commence à naître sous ses yeux. Désormais connu comme l'Épopée de Gilgamesh, cet écrit était alors inconnu des chercheurs. Vraisemblablement composé vers 1800 avant J.-C., c'est l'un des plus anciens poèmes épiques. 

    Composée au IIe millénaire avant notre ère, L'épopée de Gilgamesh raconte la quête de son héros éponyme, cinquième roi (peut-être légendaire) de la première dynastie d’Uruk, pour atteindre l'immortalité. En cours de route, il rencontre des dieux et des monstres, et entend le récit d'une inondation étonnamment similaire à un récit biblique :

    « Je mis à l'abris tout ce que j'avais d'or et de vivant, ma famille, mes parents, les bêtes des champs... Pendant six jours et six nuits la tempête faisait rage et inondait l'horizon. À l'orée du septième jour, la tempête s'est calmée... J'ai regardé la face du monde mais n'ai entendu que le silence, toute l'humanité avait été transformée en argile... »

     

    UN SUPER-HÉROS ANTIQUE

    Selon la légende, Gilgamesh, roi de la ville d'Uruk, exerçait son pouvoir avec cruauté. À la demande de ses sujets, terrifiés, la déesse Aruru a confectionné avec de l’argile un « double » de Gilgamesh, Enkidu, pour le remettre dans le droit chemin.

    Personnifié à l'image d'Anu le dieu du ciel, et de Ninurta, le dieu de la guerre, cet homme fait d'argile est d'une force exceptionnelle. Il a pour destinée de devenir le miroir de Gilgamesh, son rival. Mais les deux hommes se lient d'amitié.

    À la différence de Gilgamesh, il est bon, il vit en harmonie avec la nature et les animaux, déjouant les pièges des chasseurs. Il est parfois représenté sous la forme d'un homme taureau.

    Les deux personnages s'affrontent en duel mais aucun des deux n'en sort vainqueur. Au terme du combat, tous deux comprennent leur complémentarité et s’allient pour accomplir de grands exploits.

    Mais Enkidu meurt et Gilgamesh, au comble du désespoir, part à la recherche du secret de l’immortalité auprès d’Outa-Napishtî, unique survivant du déluge. Au moment de partir, il lui révèle l’existence d’une source de jouvence : une plante miraculeuse.

    À peine Gilgamesh a-t-il pu se procurer la plante qu’il se la fait dérober par un serpent. Il comprend alors qu’il n’est pas dans la nature de l’Homme d'être immortel. Une telle quête est vaine et l’on doit profiter des plaisirs qu’offre la vie présente. L'histoire raconte qu'il régna ensuite avec bonté et sagesse.

    Dans les années 1870, George Smith a publié ses traductions de l'Épopée en plusieurs tomes, communément connues sous le titre de The Chaldean Account of Genesis.

     

    UN RÊVE BRISÉ

    La carrière de Smith a été de courte durée. Malgré son fort désir de découvrir les sites antiques au Moyen-Orient, il n'était physiquement pas préparé pour résister aux fortes chaleurs. Au cours de ses fouilles, il a été constamment malade.

    En août 1876, alors qu'il effectuait son troisième voyage dans la région, Smith fut victime de dysenterie en Syrie. Son assistant lui prépara une civière tirée par un mulet pour l'emmener à Alep, mais l'aide médicale dont il avait si désespérément besoin arriva trop tard. L'homme dont l'érudition tranquille avait révolutionné l'Assyriologie et les études bibliques, et dont les découvertes ont dicté les grandes fouilles archéologiques du siècle suivant, est mort dans la ville syrienne à l'âge de 36 ans.

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