États-Unis : pourquoi le Jour de Christophe Colomb est une fête contestée

Si ce sont des Italiens qui commencèrent à célébrer le Jour de Christophe Colomb en réaction à la persécution qu’ils subissaient aux États-Unis, cette fête est aujourd’hui un symbole de la colonisation et de l’oppression des peuples amérindiens.

De Erin Blakemore
Publication 10 oct. 2022, 18:35 CEST
The First (U.S.) Indigenous Peoples Day

Le Jour des peuples autochtones est une alternative au Jour de Christophe Colomb, célébration contre laquelle protestent les Amérindiens parce qu’elle honore un homme qui ouvert la voie à leur colonisation et à leur assimilation forcée. Une des premières célébrations de cette fête alternative a eu lieu le 10 octobre 1992, à Berkeley, en Californie.

 

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE PAUL SAKUMA, AP, AP

Christophe Colomb était-il un explorateur héroïque ou un assassin infâme ? Cela dépend à qui on pose la question. La querelle quant à la façon dont les États-Unis devraient commémorer le débarquement du navigateur italien en Amérique en 1492 alimente les controverses depuis des générations.

Journée fériée célébrée dans tout le pays le deuxième lundi d’octobre, le Jour de Christophe Colomb fut créé à la fin du 19e siècle par un mouvement cherchant à honorer l’héritage italien en Amérique alors que les immigrés italiens faisaient l’objet d’une persécution généralisée.

Ce jour férié est toutefois critiqué, car il constitue selon certains un hommage à un homme dont l’arrivée en Amérique a préfiguré l’oppression d’un autre groupe de personnes : les Amérindiens. Ces dernières décennies, de nombreuses villes et plusieurs États l’ont remplacé par un Jour des peuples autochtones. (En Amérique du Nord, les peuples autochtones réaffirment leur souveraineté.)

Christophe Colomb a pris la mer en 1492 avec une flotte de trois navires : la Niña, la Pinta et la Santa Maria. S’il cherchait à l’origine un passage occidental vers les Indes, il atteignit en fait les Amériques. Cela inaugura une ère d’exploration et de colonisation européennes.

 

PHOTOGRAPHIE DE COLOR LITHOGRAPH VIA BRIDGEMAN IMAGES

En 2021, les États-Unis ont pour la première fois officiellement fêté ce Jour des peuples autochtones. Joe Biden, lors d’un discours prononcé pour l’occasion, avait déclaré que cette journée servait à honorer leur « histoire diverse et les peuples autochtones qui contribuent au façonnement de cette nation ». Le président américain a dans la foulée effectué une proclamation concernant le Jour de Christophe Colomb pour reconnaître les contributions des Italo-Américains ainsi que « l’histoire douloureuse faite d’injustices et d’atrocités » qui a résulté de l’exploration européenne du continent. Cet article retrace les origines du Jour de Christophe Colomb et revient sur l’histoire de la lutte pour le remplacer.

En arrivant aux Bahamas, Christophe Colomb croyait avoir atteint les Indes et appela donc « Indiens » le peuple autochtone qu’il découvrit. Cette carte créée en 1507 par Martin Waldseemüller fur la première à représenter le nouveau continent qu’était l’Amérique, qui doit son nom au navigateur italien Amerigo Vespucci.

 

PHOTOGRAPHIE DE LITHOGAPHIE DE MARTIN WALDSEEMÜLLER VIA BRIDGEMAN IMAGES

En 1500, le roi Ferdinand d’Espagne fait emprisonner Christophe Colomb et le démet de ses fonctions de gouverneur d’Hispaniola (actuelles République dominicaine et Haïti) pour les traitements brutaux qu’il a infligés aux autochtones comme aux colons.

 

PHOTOGRAPHIE DE GRAVURE VIA BRIDGEMAN IMAGES

Cette illustration représente des autochtones effrayés sautant dans l’eau après que des Européens ont fait détoner un canon. Les autochtones vivaient sous la menace constante des enlèvements, de l’asservissement et des viols perpétrés par les colonisateurs.

 

PHOTOGRAPHIE DE LITHOGRAPHIE VIA BRIDGEMAN IMAGES

LES ORIGINES DU JOUR DE CHRISTOPHE COLOMB

Le 12 octobre 1492, après un périple de dix semaines, Christophe Colomb et son équipage aperçoivent le Nouveau Monde. Les trois navires du navigateur italien, qui voguent sous le pavillon de la monarchie espagnole, ne tardent pas à accoster sur une île que ses habitants, les Lucayens, nomment Guanahani. Christophe Colomb la baptise San Salvador.

C’est l’avènement d’une nouvelle ère dans l’histoire de l’hémisphère occidental ; un événement commémoré aux États-Unis depuis leur création en 1776. Avant la fin du 19e siècle, les célébrations se limitent cependant aux enclaves catholiques et italo-américaines de la côte est où l’on voit alors Christophe Colomb comme un explorateur intrépide incarnant le progrès et la bravoure. Pour ces personnes, ce dernier représente une contribution ineffaçable de leur part à une société qui voit les catholiques et les Italo-Américains d’un œil suspect.

Cet hommage à Christophe Colomb prend de l’ampleur lorsque l’immigration italienne, qui n’était qu’un petit ruisseau, devient une grande rivière. Dès le début du 19e siècle, des immigrés italiens arrivent en masse aux États-Unis en quête d’opportunités et d’une meilleure vie. Cependant, ces nouvelles arrivées ne sont pas bien accueillies du tout. Dépeints comme des êtres sinistres et criminels, les immigrés italiens font l’objet d’une haine croissante.

En 1890, le sentiment anti-italien déborde à la Nouvelle-Orléans après que le chef de la police, David Hennessey, réputé pour ses arrestations d’Italo-Américains, est assassiné. À la suite de cela, plus d’une centaine d’immigrés originaires de Sicile sont arrêtés. Lorsque neufs d’entre eux sont acquittés lors de leur procès au mois de mars 1891, une foule furieuse se soulève et entre par effraction dans la prison de la ville où elle bat, abat et pend au moins onze prisonniers italo-américains. Aucun des émeutiers n’ayant pris part à ce lynchage ne sera traduit en justice. Cela demeure aujourd’hui encore l’un des plus importants lynchages de masse de l’histoire des États-Unis.

En 1890, une foule s’est rassemblée sous la statue d’Henry Clay sur Canal Street, à la Nouvelle-Orléans, où elle a décidé de se venger de l’assassinat du chef de la police David Hennesy en lynchant collectivement des prisonniers italo-américains. Ce massacre a obligé le pays à reconnaître la persécution des immigrés italiens et est à l’origine de la fête américaine commémorant Christophe Colomb.

 

PHOTOGRAPHIE DE LITHOGRAPHIES VIA HULTON ARCHIVE / UNIVERSAL IMAGES GROUP, GETTY IMAGES , Getty Images (left); Universal Images Group, Getty Images (right)

UNE FÊTE NATIONALE

Ce massacre brutal entraîne des tensions entre les États-Unis et l’Italie qui cherchent à se rendre la monnaie de leur pièce. L’Italie demande réparation pour les meurtres mais se voit opposer un refus. Elle rappelle donc son ambassadeur et rompt les rapports diplomatiques. Les États-Unis font de même.

En 1892, lors du 400e anniversaire de l’arrivée de Christophe Colomb, dans le but d’apaiser l’Italie et de reconnaître l’héritage italo-américain, le président américain Benjamin Harrison proclame un « Jour de la découverte » et salue Christophe Colomb comme « le pionnier du progrès et des Lumières ». Les deux pays finissent par se réconcilier et les États-Unis paient 25 000 dollars de l’époque en réparation (environ 850 000 euros aujourd’hui).

Dans les décennies qui suivent ce lynchage de masse, les défenseurs de la cause italo-américaine arguent en faveur d’un jour férié national que les États commencent lentement à adopter. En 1934, Franklin D. Roosevelt en fait un jour de fête nationale. En 1971, le Congrès change la date de l’événement du 12 octobre au deuxième lundi d’octobre. Selon l’historienne Bénédicte Deschamps, ce jour férié « a permis aux Italo-Américains de célébrer à la fois leur identité italienne, leur spécificité en tant que groupe italo-américain et leur allégeance à l’Amérique. »

 

LA LUTTE EN FAVEUR D’UN JOUR OFFICIEL DES PEUPLES AUTOCHTONES

Les Italiens avaient donc leur Jour de Christophe Colomb. Mais pour de nombreux descendants d’Amérindiens, ce fut un affront ; une célébration de l’invasion, de la dépossession, de la brutalité et de la colonisation. Christophe Colomb et son équipage ouvrirent en effet la voie à des siècles d’enlèvements, de réduction en esclavage, d’assimilation forcée, de viols et de sévices sexuels sur les peuples amérindiens, y compris sur des enfants, en perpétrant de tels actes eux-mêmes ; les populations amérindiennes ont diminué de moitié environ au contact des Européens. Pour les Amérindiens, ce débarquement célébré par certains comme un jour de découverte triomphale marque le début d’une incursion sur des terres qui leur appartenaient. (Red Power, le combat des Amérindiens contre l’oppression.)

Un homme se tient à l’extérieur d’un tipi sur l’île d’Alcatraz. Le pont du Golden Gate traverse la baie de San Francisco en arrière-plan. À la fin des années 1960, des activistes de l’American Indian Movement (AIM) occupèrent ce pénitencier fédéral pour protester contre des siècles de colonisation et de marginalisation.

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Dans les années 1960 et 1970, sous l’effet de mouvements comme le panindianisme ou le Red Power, des Amérindiens s’unissent et commencent à attirer l’attention sur l’histoire sordide de ce héros national. En 1970, en amont des célébrations du Jour de Christophe Colomb, des contestataires anonymes barbouillent de slogans du Red Power la statue du navigateur qui se trouve à Columbus Circle, à New York. Pour le New Yorker, qui rapporte l’incident, c’est « un sujet sur lequel plaisanter sans risque » pour les politiciens blancs assistant aux festivités en tribune officielle ; le chemin pour faire évoluer l’opinion au sujet de Christophe Colomb était encore très long.

Dans les années 1980 et 1990, les manifestations contre ce jour férié prennent de l’ampleur. En amont du 100e anniversaire du massacre de Wounded Knee lors duquel les États-Unis massacrèrent environ 300 Lakotas, l’éditeur amérindien Tim Giago presse le gouverneur du Dakota du Sud de faire de l’année 1990 une année de réconciliation et de supprimer la Jour de Christophe Colomb au profit d’un Jour des Amérindiens. Le gouverneur, George S. Mickelson, accepte. Depuis lors, dans cet État, cette fête remplace le Jour de Christophe Colomb. (Wounded Knee : 130 ans après, la vérité sur le massacre de centaines d’Amérindiens.)

Au Costa Rica, le Jour de Christophe Colomb est appelé Jour de la rencontre des cultures. Sur cette image prise en octobre 2006, des enfants de l’école élémentaire d’Alajuela sont déguisés en Amérindiens pour célébrer l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique.

 

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Deux ans plus tard, à l’approche du 500e anniversaire du débarquement de Christophe Colomb, des groupes amérindiens font pression sur les pays membres des Nations unies et sur les gouvernements locaux pour qu’ils ne participent pas aux célébrations internationales prévues. Un groupe nommé « Resistance 500 » se forme alors dans la région de la baie de San Francisco en réaction à ces projets, et notamment pour s’opposer à un événement lors duquel des répliques des navires de Christophe Colomb doivent parader dans le port de San Francisco. Le conseil municipal de la ville de Berkeley reconnaît « Resistance 500 » comme un groupe de travail et adopte à l’unanimité sa suggestion de remplacer le Jour de Christophe Colomb par un Jour de la solidarité avec les peuples indigènes. Les activistes amérindiens remportent ensuite une autre victoire lorsque le voyage des navires est annulé face à la pression grandissante.

 

COMMENT CES DEUX COMMÉMORATIONS COHABITENT AUJOURDH’HUI

Des groupes italo-américains protestent alors contre cette décision. Mais cela ne fait que renforcer un activisme tenace chez les Amérindiens. Dans les années 2010, le Jour des peuples autochtones (que certains appellent Jour des Amérindiens) gagne en popularité à mesure que des villes et des États de l’ensemble du pays l’adoptent. Certains États fêtent à la fois le Jour de Christophe Colomb et celui des peuples autochtones lors de ce congé payé, tandis que d’autres l’ont simplement renommé.

Le 12 octobre 1998, Andrian Esquino Lisco, un Cacique, brûlait de l’encens lors d’une cérémonie prenant place à San Salvador en l’honneur des milliers d’autochtones qui trouvèrent la mort après l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE LUIS ROMERO, AP, AP

Pour de nombreuses personnes, Thanksgiving est une autre fête qui tente de dissimuler l’histoire coloniale du pays. Chaque année, certaines personnes préfèrent plutôt se rassembler sur l’île d’Alcatraz pour la Cérémonie du lever de Soleil du peuple autochtone (également appelée le Non-Thanksgiving).

 

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE LIU GUANGUAN, CHINA NEWS SERVICE / VCG VIA GETTY IMAGES, China News Service, VCG via Getty Images

D’ailleurs, de nombreux États ont tout bonnement arrêté de fêter cette date. Selon Pew Research, en 2021, seuls vingt-et-un États ont offert une journée de congé payé à leurs fonctionnaires le deuxième lundi d’octobre.

Même Columbus, dans l’Ohio, plus grande ville à porter le nom du célèbre navigateur, a changé d’avis : en 2018, elle a arrêté de fêter le Jour de Christophe Colomb et en 2020, elle a fait du 12 octobre le Jour des peuples autochtones. « Il est impossible d’envisager un avenir plus juste sans reconnaître ces péchés originels commis par le passé », aurait déclaré Shannon Hardin, président du conseil municipal de Columbus, lors de la réunion.

Dans un état d’esprit similaire, en avril 2019, la maire de la Nouvelle-Orléans LaToya Cantrell a présenté des excuses pour les lynchages d’Italo-Américains survenus en 1891, plus d’un siècle après les événements. « Certaines personnes ne voulaient pas que je présente ces excuses aujourd’hui, déclarait-elle. Mais […] il m’incombe de ne pas éluder ce qui se présente à moi, et de parler avec honnêteté des défis auxquels nous faisons face, ceux qui façonnent notre histoire et, de manière plus importante, notre avenir. »

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