Une étude dévoile la vie jusqu’alors inconnue des femmes de la Grèce antique

Ces découvertes lèvent le voile sur le rôle complexe que jouaient les femmes dans la Grèce antique, qu’elles fussent mères, prêtresses ou savantes.

De María José Noain
Publication 3 oct. 2022, 18:20 CEST

Une femme place sa tunique dans un coffre au cinquième siècle avant notre ère. Relief grec.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Pendant des siècles, on a cru que la vie des filles et des femmes de la Grèce antique se cantonnait à un rôle limité et discret. Les femmes étaient maintenues à l’écart de la sphère publique, ne pouvaient exercer leur citoyenneté et n’occupaient aucun rang juridique ou politique. Exclues de la polis, femmes, mères et filles étaient reléguées à l’oikos (la maison).

Cette impression vient en grande partie de sources écrites datant de l’époque classique (de 480 av. J.-C. à 323 av. J.-C.). Xénophon, Platon et Thucydide prônent tous trois l’infériorité des femmes par rapport aux hommes. Au quatrième siècle avant notre ère, Aristote écrivait dans sa Politique que « d’autre part, le rapport des sexes est analogue ; l’un est supérieur à l’autre : celui-là est fait pour commander, et celui-ci, pour obéir. » Nombre de ces textes provenaient d’Athènes, qui faisait preuve des attitudes les plus restrictives à l’égard des femmes. Dans d’autres cités-États, comme Sparte, les femmes étaient plus libres et étaient encouragées à faire de l’exercice et à apprendre.

De même qu’il y avait des différences selon l’endroit où l’on vivait, il y avait des disparités entre les classes sociales. Les femmes pauvres et réduites en esclavage étaient blanchisseuses, tisserandes, vendeuses, nourrices et sages-femmes. Des céramiques décorées dépeignent d’ailleurs des scènes de femmes esclaves au marché ou en train de puiser de l’eau.

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    Une mère et son enfant passent un moment tranquille sur cette stèle funéraire athénienne du cinquième siècle avant notre ère.

     

    PHOTOGRAPHIE DE BRIDGEMAN / ACI, ACI

    Mais par-delà les témoignages écrits, les hellénistes ont découvert davantage de complexité dans le domaine de la religion. Le panthéon grec est rempli de puissantes déesses comme Athéna, déesse de la guerre et de la sagesse et patronne protectrice d’Athènes ou Artémis, déesse de la chasse et de la nature. Les archéologues sont en train de s’apercevoir que la vie de prêtresse octroyait aux femmes davantage de libertés et d’estime que ce que l’on croyait. Loin de tout monolithisme, les rôles des femmes dans la Grèce antique étaient multiples.

     

    JEUNES FILLES ET MARIÉES

    Pour la plupart des femmes aisées, la vie s’articulait généralement en trois étapes : elles étaient d’abord kore (jeune fille), puis nymphe (mariée jusqu’à la naissance du premier enfant) et enfin gyne (femme). L’âge adulte commençait alors habituellement au début ou au milieu de l’adolescence, période à laquelle une fille se mariait et quittait officiellement la maison de son père pour aller s’installer dans celle de son mari. La plupart des mariées avaient une dot à laquelle leur mari n’avait pas accès. Si toutefois le mariage échouait, l’argent retournait au père de la mariée.

    Le « Peintre de Cadmos », une amphore de 425 av. J.-C. environ, représente une scène festive. Une mariée couronnée (deuxième en partant de la gauche) est entourée de suivantes qui la préparent pour son mariage. Éros, dieu ailé de l’amour, se tient en arrière-plan. De l’autre côté de l’amphore, un jeune homme courtise une femme à gauche, tandis qu’une autre femme fuit à droite.

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    Le jour du mariage, les invitées avaient coutume de préparer un bain purifiant dont l’eau était transportée dans un loutrophoros, un vase élancé avec deux anses et un goulot étroit généralement orné de scènes de mariage. Des archéologues ont mis au jour des loutrophores laissés en offrande dans plusieurs temples, notamment dans le Sanctuaire de la Nymphe, sur l’Acropole, à Athènes.

    Les invitées s’habillaient et couronnaient la mariée dans la maison de son père où la cérémonie avait également lieu. Après le mariage, la garde et la protection de la mariée étaient officiellement transférées du père au mari. Une procession festive accompagnait alors les jeunes époux dans leur nouveau foyer. Les célébrations se poursuivaient jusqu’au jour suivant et la mariée recevait des présents de la part de sa famille et de ses amis.

     

    UNE CHAMBRE À SOI

    Au sein de la maison, les femmes habitaient le gynécée, un appartement qui leur était exclusivement réservé. Certains gynécées sont représentés sur des stèles et des céramiques funéraires. Les femmes étaient en charge de la sphère domestique et l’une de leurs principales tâches était de filer et de tisser. De nombreuses maisons étaient équipées de leur propre métier à tisser. Une des plus célèbres tisserandes de la mythologie grecque est la femme d’Ulysse, Pénélope, modèle de maternité et de fidélité. Pendant les vingt années d’exil de son mari qui partit en guerre à Troie et s’égara sur le chemin du retour, Pénélope dut repousser les assauts de prétendants cupides qui cherchaient à la séduire pour prendre le contrôle d’Ithaque. Pour gagner du temps, Pénélope rusa et décida de passer ses journées à tisser un voile pour son beau-père qu’elle défaisait chaque soir dans l’espoir que son mari soit revenu à la maison entre-temps.

    Dans la Grèce antique, plusieurs tâches incombaient aux femmes, notamment la fabrication de textile. Dans L’Odyssée, le métier à tisser est associé à Pénélope, femme loyale d’Ulysse qui tisse en attendant son retour. Elle est ici représentée sur la reproduction d’une tasse en céramique fabriquée en 440 av. J.-C.

     

    PHOTOGRAPHIE DE AKG, Album

    Les archéologues ont mis au jour un grand nombre d’épinétrons, des jambières que portaient les femmes quand elles travaillaient la laine. Les femmes posaient ce morceau de bois ou de céramique semi-cylindrique sur une jambe pour éviter de tacher leurs vêtements avec la lanoline issue du cardage de la laine. Les épinétrons somptueusement décorés constituaient des cadeaux de mariage populaires ; de nombreux épinétrons étaient à l’effigie d’Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté.

    Les femmes de la maison devaient également s’occuper des enfants. L’éducation des filles et des jeunes garçons incombait aux femmes, quoique l’éducation de ces derniers étaient ensuite confiée à un pédagogue passé un certain âge. La musique, l’apprentissage de la lyre notamment, faisait partie de l’éducation des filles. Les femmes jouaient également un rôle fondamental dans les rituels funéraires de leur famille. Elles préparaient les corps en les oignant et en les habillant avant de prendre part aux processions funéraires.

    Certaines femmes ayant reçu une éducation ont par la suite contribué de manière remarquable aux arts et aux sciences. Vers 350 avant notre ère, Axiothée de Phlionte étudia la philosophie avec Platon. Selon certaines sources, elle se serait grimée en homme pour pouvoir le faire. Au sixième siècle de notre ère, la prêtresse delphique Thémistocléa (ou Aristoclea) fut philosophe à part entière et possiblement professeure du célèbre Pythagore.

     

    VIE SAINTE

    Les femmes qui prenaient part aux cultes religieux et aux rites sacrés en tant que prêtresses avaient une vie en dehors de la sphère domestique. Grâce au travail de l’archéologue Joan Breton Connelly, on sait que dans le monde grec, « s’il y avait bien un domaine dans lequel les femmes avaient un statut égal et comparable à celui des hommes, c’était la fonction religieuse ».

    Les filles pouvaient prendre part à cette vie religieuse. Il y avait par exemple les arrephoroi, de jeunes acolytes qui s’occupaient de diverses tâches rituelles comme le tissage du péplos, une tunique qu’on dédiait chaque année à la déesse Athéna. De l’âge de cinq ans à l’adolescence, les filles pouvaient être sélectionnées pour jouer les « petits ours » des rituels dédiés à la déesse Artémis dans son sanctuaire de Brauron (situé à environ 39 kilomètres au sud-est d’Athènes).

    Dans la Grèce antique, il incombait souvent aux femmes de préparer les dépouilles avant les funérailles. Sur cette céramique du quatrième siècle avant notre ère, on voit une femme placer un voile sur le jeune Opheltès (ou Archémore), tué par un serpent.

     

    PHOTOGRAPHIE DE BRIDGEMAN / ACI, ACI

    Le fait d’être prêtresse était la garantie pour les femmes d’obtenir un statut très élevé. À Athènes, la fonction religieuse la plus importante était peut-être celle de la grande prêtresse de l’Athena Polias qui pouvait se voir conférer des droits et des honneurs dont les autres femmes pouvaient seulement rêver. Au deuxième siècle avant notre ère, la ville de Delphes accorda à une prêtresse d’Athéna le droit de ne pas payer d’impôts, le droit de propriété, ainsi que d’autre prérogatives. Les noms des prêtresses étaient assez connus pour que les historiens de l’Antiquité s’en servent pour mettre en contexte des événements importants. L’historien Thucydide, en caractérisant les débuts de la guerre du Péloponnèse, mentionne le nom de Chrysis, prêtresse de la déesse Héra à Argos vers 423, aux côtés de ceux de représentants athéniens et spartiates.

    Une autre figure féminine hautement importante dans la religion grecque était la Pythie, la grande prêtresse d’Apollon du temple de Delphes. Également appelée Oracle de Delphes, elle occupait une des fonctions les plus prestigieuses de la Grèce antique. Des hommes de l’ensemble du monde antique venaient la consulter, car ils croyaient qu’Apollon s’exprimait à travers sa bouche.

    Les prêtresses jouaient un rôle important dans les festivals sacrés qui, pour certains, étaient principalement, voire exclusivement, féminins. Bon nombre d’entre eux étaient associés aux récoltes. Lors de la fête des Thesmophories, les femmes se réunissaient pour vénérer Déméter, déesse de l’agriculture, ainsi que sa fille, Perséphone. Lors de la fête dionysiaque des Lénéennes, des ménades (des « délirantes » selon l’étymologie du mot) s’adonnaient à des rituels orgiaques en l’honneur de Dionysos, le dieu du vin.

    Les hellénistes de la période classique ne cessent de lever le voile sur les complexités de la vie jusqu’alors cachée des femmes de la Grèce antique. C’est une image plus exhaustive de cette culture qui se révèle, le portrait d’un quotidien féminin plus riche et plus varié que ce que l’on pensait.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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