États-Unis : Les études afro-américaines, une discipline controversée mais nécessaire

Depuis sa création grâce à la lutte acharnée des militants afro-américains dans les années 1960, cette discipline s'est progressivement développée, et fait désormais partie intégrante du cursus universitaire américain. Mais le combat n'est pas terminé.

De Erin Blakemore
Publication 22 févr. 2023, 10:50 CET
Des élèves traversent un couloir dans un lycée de Pasadena, en Californie. Les études afro-américaines sont ...

Des élèves traversent un couloir dans un lycée de Pasadena, en Californie. Les études afro-américaines sont largement adoptées dans les établissements d'enseignement supérieur américains, mais leur instauration dans les classes du secondaire continue de faire débat.

PHOTOGRAPHIE DE Damon Winter, The New York Times, Redux

Pour la première fois, dans de nombreux lycées américains, il est désormais possible de suivre un cours d’études afro-américaines de niveau universitaire, qui aborde « les contributions et expériences vitales des personnes afro-américaines ».

Ce nouveau programme pilote visant à instaurer cette discipline essentielle au cursus de l’enseignement secondaire a cependant fait l’objet de nombreuses critiques. L’organisation College Board a réagi à ces dernières en révisant le cours pour exclure des sujets modernes tels que le mouvement Black Lives Matter et les inégalités dans les taux d’incarcération.

Cette controverse reflète l’histoire mouvementée entre l’enseignement américain et de nombreuses disciplines universitaires qui, comme les études afro-américaines, se concentrent sur la vie des communautés marginalisées. Cependant, malgré tous les défis auxquels il dut faire face depuis sa création, ce domaine fait désormais partie intégrante de l’enseignement supérieur américain actuel.

 

LES ÉTUDES AFRO-AMÉRICAINES : QU’EST-CE QUE C’EST ?

L’objectif des études afro-américaines, ou African-Americain studies, est d’explorer l’histoire des personnes afro-descendantes, mais aussi l’héritage de l’esclavage et les conséquences du racisme sur les structures sociales américaines (telles que l’économie et le droit).

« Toute bonne institution possèdera un programme ou un centre d’études noires », indique l’historien Stefan Bradley, professeur d’études noires à l’Amherst College.

Proposée dans plus de 1 200 établissements d’enseignement supérieur aujourd’hui, cette discipline se compose de cours sur la vie, la culture et la pensée intellectuelle afro-américaines. Les étudiant.es examinent le passé et le présent du point de vue de l’expérience des personnes noires, et ce au travers de cours qui couvrent de nombreux domaines, de la philosophie aux sciences sociales en passant par la littérature, le théâtre et les sciences politiques.

Cette discipline universitaire existe depuis la fin des années 1960, et vit le jour aux côtés d’autres domaines visant à explorer les expériences des groupes historiquement marginalisés, tels que les études asio-américaines, les études amérindiennes et les études de genre.

L’instauration de ces différents domaines était une mesure plus que nécessaire, puisqu’elle arrivait après des siècles d’enseignement supérieur inaccessible, pour ne pas dire hostile, aux personnes racisées et aux femmes.

 

LES DÉBUTS

Aux 19e et 20e siècles, la plupart des universités étaient inaccessibles aux étudiant.es racisé.es. Les communautés afro-américaines s’appuyaient donc sur des efforts informels, comme les traditions orales et les groupes religieux et communautaires, pour transmettre des informations sur leur histoire et leur culture.

La situation commença à changer en 1964, lorsque le titre 6 du Civil Rights Act, la loi sur les droits civils, interdit la discrimination raciale dans les programmes d’enseignement qui reçoivent des financements fédéraux. Le nombre d’étudiant.es racisé.es fréquentant des universités historiquement blanches commença alors doucement à augmenter.

Cependant, une fois arrivés sur les campus, les étudiant.es se virent proposer des cours centrés sur les préoccupations et les perspectives des personnes blanches. Les cours de littérature célébraient les œuvres d’auteurs blancs, mais négligeaient les travaux pionniers des poètes, essayistes et romanciers noirs. Les cours d’histoire de l’art négligeaient ou dénigraient l’art produit par les personnes noires, le qualifiant de « primitif » et d’indigne d’être étudié. Les cours d’histoire déformaient (ou niaient) le racisme, et représentaient le monde du point de vue des personnes blanches.

Encouragés par les mouvements des droits civiques et Black Power, les étudiant.es noir.es commencèrent à se demander pourquoi ces cours ne leur semblaient pas pertinents. Et ils n’étaient pas les seuls. Les manifestations contre la guerre du Vietnam secouaient les campus universitaires dans tout le pays, et les militant.es exigeaient des changements dans différents aspects de leur propre éducation.

 

LES PREMIERS PROGRAMMES D’ÉTUDES ETHNIQUES

En 1968, ces forces convergèrent à l’Université d’État de San Francisco.

« Bien sûr, tout commença à San Francisco », affirme Bradley, qui cite l’influence du Black Panther Party, du mouvement Black Power, et du mouvement contre la guerre du Vietnam.

L’université avait commencé à dispenser quelques cours dans ce qu’elle appelait les Black studies, « études noires », mais il n’était pas possible d’obtenir un diplôme dans ce domaine. Frustré.es, les étudiant.es estimaient que les actions de l’université ne suffisaient pas pour répondre aux besoins de son corps étudiant de plus en plus diversifié ; ils décidèrent alors de créer leurs propres cours d’études afro-américaines, et commencèrent à exiger une analyse plus formelle de leur vie et leur culture.

Les tensions sur le campus prirent une autre ampleur en novembre 1968, conduisant divers groupes d’étudiant.es à se mettre en grève. L’école ferma ses portes pendant cinq mois, ce qui en fit la plus longue grève étudiante de l’histoire américaine. La police arrêta des centaines de manifestant.es lors de confrontations parfois violentes. La grève ne prit fin que lorsque l’école accepta enfin d’ouvrir un département d’études ethniques.

Par la suite, la pression exercée pour la création de programmes d’études ethniques dans d’autres universités du pays ne manqua pas de susciter de nouvelles réactions négatives, une partie non négligeable de l’opposition à ces programmes étant ouvertement raciste. Henry E. Garett écrivit que l’histoire des personnes noires était « maigre », et attribua la volonté d’instaurer des cours d’études afro-américaines à l’intelligence inférieure des étudiant.es noir.es. Des personnes noires conservatrices s’opposèrent même à cette idée. En 1969, Roy Wilkins, le chef de la NAACP (l’association nationale pour la promotion des Afro-Américains), menaça de poursuivre en justice toute école qui créerait un programme d’études noires, estimant que ces écoles incarnaient de nouvelles formes de ségrégation.

Malgré tout, le barrage était en train de céder. En 1970, l’historien Ibram Kendi écrivit que « près de 1 000 facultés avaient mis en place des cours, des programmes ou des départements d’études noires ».

Cela marqua le début d’une nouvelle phase pour la discipline, avec la création de revues, l’embauche de professeur.es, et une augmentation du nombre de bourses accordées.

 

LES ÉTUDES AFRO-AMÉRICAINES, AUJOURD’HUI

Ces nouveaux champs d’études révolutionnèrent le monde universitaire. « C’était l’occasion de voir les personnes noires d’un nouveau point de vue », affirme Bradley. En se concentrant sur ces dernières, les programmes d’études afro-américaines remettent en question le statu quo des institutions historiquement blanches, tout en examinant la vie des Afro-Américains sous un angle académique rigoureux.

Au fil des ans, le domaine gagna en maturité. « Les études noires sont désormais une véritable discipline dotée d’un cadre théorique. » L’historien soulève toutefois que de nombreux départements d’études afro-américaines doivent encore se battre pour obtenir des financements et sont appelés à effectuer un travail sur la diversité et l’inclusion sur le campus, en particulier à la suite d’incidents très médiatisés de violences policières, comme le meurtre de George Floyd en 2020.

Bien que ce soit majoritairement le cas dans l’enseignement supérieur, les études afro-américaines sont encore loin d’être acceptées dans l’enseignement primaire et secondaire. En 2010, la loi arizonienne a interdit les cours qui « encouragent le ressentiment envers une race ou une classe de personnes » ou « prônent la solidarité ethnique ». Cette loi a toutefois suscité sa propre controverse, donnant naissance à un mouvement de plus en plus fort en faveur de la création de cours d’études ethniques dans les écoles primaires et secondaires du pays.

Mais pourquoi les études afro-américaines suscitent-elles encore autant de controverse, plus de cinquante ans après leur création ?

« On ne peut pas demander des droits gentiment. On doit les exiger », soutient Bradley. L’existence des études afro-américaines remet en question la vision dominante et eurocentrique de l’Histoire, et ose déclarer haut et fort la valeur des citoyennes et citoyens noirs, poursuit l’historien.

Malgré les débats qui semblent inhérents à l’instauration de ces programmes dans le pays, les analystes affirment que leur valeur ne fait aucun doute. Selon une analyse réalisée en 2020 par la National Education Association, les élèves du primaire, du secondaire et du supérieur qui participent à des études ethniques « sont plus impliqués sur le plan scolaire, développent un plus grand sentiment d’efficacité personnelle, sont plus confiants, et obtiennent de meilleurs résultats scolaires et de meilleurs diplômes ».

Une étude plus récente, réalisée en 2021, a révélé que les élèves de troisième qui avaient suivi un cours d’études ethniques avaient beaucoup plus de chances d’obtenir leur diplôme de fin d’études secondaires et de rester impliqué.es dans leur expérience scolaire.

Ainsi, malgré les générations entières de controverses auxquelles les études afro-américaines et ethniques ont été confrontées, leurs défenseur.ses soutiennent que cette discipline ne disparaîtra pas de sitôt.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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