Selon cette ancienne malédiction, des prêtresses israélites auraient bel et bien existé

La malédiction, inscrite sur une poterie découverte en 1925, semble contredire les textes bibliques en faisant mention de l'existence de femmes prêtresses dans le temple juif d'Éléphantine, en Égypte, il y a 2 400 ans.

De Tom Metcalfe
Publication 9 nov. 2023, 15:24 CET
L'île d'Éléphantine, sur le Nil égyptien, abrite les vestiges d'un temple juif détruit à la fin ...

L'île d'Éléphantine, sur le Nil égyptien, abrite les vestiges d'un temple juif détruit à la fin du 5e siècle avant notre ère. Les archéologues y ont découvert une multitude de documents anciens écrits sur papyrus et sur poterie, dont la malédiction qui a fait l'objet d'une nouvelle étude.

PHOTOGRAPHIE DE Bildarchiv Steffens, Bridgeman Images

Une nouvelle analyse suggère qu’un message vieux de 2 400 ans inscrit sur un morceau de poterie pourrait non seulement être le premier exemple connu d’une ancienne malédiction populaire, mais aussi la première preuve directe de l’existence de femmes prêtresses dans des temples juifs.

L’inscription en douze mots, rédigée en araméen ancien, fut mise au jour en 1925 sur le site d’un ancien temple juif sur Éléphantine, une île de la vallée du Nil, dans le sud de l’Égypte.

Bien que la signification de cette inscription fasse débat depuis sa découverte il y a près de 100 ans, tous les spécialistes s’accordent à dire qu’elle semble faire référence à une tunique qui, selon certains, aurait même été un « vêtement sacré ».

L’inscription commence comme suit : « Voici ma tunique, que j’ai laissée au [temple]... »

La nouvelle interprétation suggère cependant que le message serait en réalité une malédiction appelant le châtiment divin sur la personne coupable du vol de cette fameuse tunique. Et ce n’est pas tout : le message semble également ordonner à une autorité féminine du temple de mettre la malédiction à exécution.

« C’est la première fois que nous disposons d’un élément faisant une référence directe à l’existence d’une prêtresse, une femme, au sein d’un temple juif », révèle Gad Barnea, professeur d’histoire et de pensée juives à l’Université de Haïfa, en Israël, et auteur d’une nouvelle étude centrée sur l’inscription parue récemment dans la revue Religions.

 

UNE POTERIE POÉTIQUE

L’inscription est rédigée sur une poterie brisée, appelée « ostracon » par les archéologues. Ces objets étaient souvent utilisés comme supports d’écriture avant que le papier ne devienne plus courant.

L’ostracon fut découvert dans les ruines du temple juif de l’île Éléphantine, construit au 6e siècle avant notre ère, probablement par des réfugiés fuyant les invasions assyriennes et babyloniennes des royaumes d’Israël et de Juda. Certains spécialistes qualifient ces premiers temples juifs de « yahvistes », car leur culte différait parfois des pratiques juives ultérieures.

Les mots de l’inscription créent un certain rythme, ce qui, pour Barnea, indique qu’ils étaient probablement récités à haute voix, comme une incantation rituelle dans le temple.

« Il y a là une forme poétique que personne n’avait remarquée jusqu’à présent », décrit-il. « Le fait que ce texte contienne une dimension poétique est la première chose qui m’a mis la puce à l’oreille : il ne pouvait pas s’agir de simples instructions relatives à une tunique. »

Plus important encore, l’inscription d’Éléphantine utilise la forme féminine du verbe araméen signifiant « commander », ce qui laisse supposer que le rituel était placé sous l’autorité d’une femme dans la hiérarchie du temple, et non d’un homme.

Selon Barnea, en utilisant un procédé poétique courant qui consiste à désigner Yahvé comme « le Lion », la femme anonyme ordonne à Dieu de consacrer une tunique afin que la personne coupable de sa disparition puisse être considérée comme un « voleur de temple », et non comme un simple voleur, et puisse ainsi mériter le châtiment divin pour son délit.

« Les implications de cette découverte sont immenses », reprend le professeur. « Dans la Bible, il n’y a pas de prêtresses, mais nous avons ici une preuve directe indiquant que de telles prêtresses existaient bien dans des temples juifs. »

Tawny Holm, spécialiste de l’araméen à l’Université d’État de Pennsylvanie, qui n’était pas impliquée dans cette étude, estime que cette recherche « résout le problème que représentait la compréhension de cet ostracon bien particulier ».

La spécialiste note en outre que, parmi les nombreuses inscriptions similaires découvertes sur l’île Éléphantine, beaucoup étaient des lettres, tandis que celle-ci ne comporte pas de formule de salutation. La théorie selon laquelle il s’agirait d’une malédiction rituelle est donc « séduisante et convaincante ».

 

LES PRATIQUES DU JUDAÏSME ANCIEN

D’anciennes traces écrites sur papyrus révèlent qu’une communauté juive prospéra sur l’île Éléphantine, et ce jusqu’à la destruction de son temple lors d’une révolte en 410 avant notre ère. L’existence même de ce temple va toutefois à l’encontre du principe juif traditionnel selon lequel Yahvé ne devait être vénéré qu’au sein du temple de Jérusalem, même si, selon Barnea, il est possible que de tels édifices aient existé en dehors de Jérusalem, dans des villes antiques comme Babylone.

Par ailleurs, bien que la Bible laisse entendre que seuls les hommes sont autorisés à endosser le rôle de prêtres, l’inclusion de femmes dans la direction du temple d’Éléphantine pourrait refléter une pratique courante de cette époque.

En effet, l’étude fait état de travaux antérieurs qui suggèrent que les premières formes de culte juif ressemblaient probablement davantage à celui des Juifs d’Éléphantine qu’à celui des Juifs décrits dans la Bible, qui pouvaient être considérés comme un idéal religieux. « L’exception, c’est la Bible, pas Éléphantine », écrit Barnea.

Bien qu’elle ne partage pas l’avis des autres spécialistes quant à la signification du « Lion » mentionné dans l’inscription qui, selon elle, pourrait être une référence à un prêtre subalterne plutôt qu’à Yahvé, Holm admet que « ce qui est intriguant ici, c’est que la femme fonctionnaire endosse une autorité significative ».

L’ostracon constitue désormais le troisième élément de preuve suggérant que les femmes avaient du pouvoir dans la hiérarchie du temple juif d’Éléphantine, note Holm, les autres étant un texte sur papyrus mentionnant une femme « servante de Yahvé » nommée Tapemet, et un papyrus énigmatique suggérant que les femmes prêtresses n’étaient pas inhabituelles pour les locuteurs araméens de l’Égypte antique.

Susan Ackerman, professeure de religion et d’études féminines au Dartmouth College, qui n’était pas impliquée dans l’étude, partage l’avis de Barnea : selon elle, il est possible que la représentation du judaïsme dans la Bible ne soit pas fidèle aux pratiques réelles de cette époque.

Ackerman ne s’oppose pas à l’idée selon laquelle des prêtresses existèrent bel et bien, mais précise qu’il pourrait simplement s’agir d’un exemple de l’influence de la religion égyptienne sur les pratiques juives de l’île Éléphantine.

« Éléphantine démontre à bien des égards que les normes bibliques ne sont pas nécessairement valables dans la communauté juive au sens large », développe la professeure.

 

MAUDITS SOIENT LES VOLEURS

L’ostracon d’Éléphantine ne constitue pas seulement l’une des rares preuves de l’existence de prêtresses juives, mais aussi un document historique essentiel.

La forme de l’inscription suit la formule d’une « malédiction à l’encontre des voleurs » qui permettait de consacrer un objet volé afin que Dieu puisse se charger lui-même de punir le criminel. Il s’agit non seulement du plus ancien exemple connu de ce type de malédiction, qui devint très populaire dans le monde gréco-romain, mais aussi de la seule trace d’un rituel exécuté dans un temple consacré à Yahvé, précise Barnea.

Certaines caractéristiques physiques de l’inscription suggèrent par ailleurs qu’elle fut copiée à l’avance par un scribe et conservée avec des espaces vierges qui pouvaient être remplis pour des clients ; dans ce cas, une femme nommée Slwʾh (la pratique consistant à disposer de tablettes de malédiction prêtes à l’emploi dans les temples étant en effet courante à l’époque romaine).

Le spécialiste rejette l’idée selon laquelle d’autres artefacts découverts précédemment aient pu eux aussi constituer des exemples de malédictions yahvistes : « Il s’agit ici de la plus ancienne malédiction juive jamais découverte. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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