Nativité : les Rois mages étaient-ils seulement trois ?

Les sources chrétiennes anciennes divergent quant au nombre de mages ayant rendu visite à l’enfant Jésus, et même quant au fait qu’ils aient été des rois.

De Candida Moss
Publication 29 déc. 2025, 09:06 CET
« Le Voyage des mages » de James Tissot. La tradition a retenu le nombre de ...

« Le Voyage des mages » de James Tissot. La tradition a retenu le nombre de trois rois mages pour le récit de la Nativité, mais des sources chrétiennes anciennes et médiévales en mentionnent entre deux et douze, venus d’Orient.

PHOTOGRAPHIE DE James Tissot, Alamy

Peu de scènes de l’imaginaire chrétien sont aussi emblématiques que celle des trois voyageurs agenouillés devant l’enfant Jésus, leurs chameaux attendant patiemment tandis qu’ils offrent de l’or, de l’encens et de la myrrhe au nouveau-né. Pourtant, ces visiteurs, appelés tour à tour sages, astrologues ou rois, demeurent parmi les figures les plus mystérieuses du monde biblique.

L’Évangile selon Saint Matthieu, seule source canonique à les mentionner, donne très peu de détails sur leur identité ou sur ce qui les a poussés à entreprendre un si long voyage vers l’ouest. Au fil des siècles, conteurs, théologiens et artistes ont comblé ces silences. De ce fait, les mages comptent parmi les figures les plus élaborées de la tradition chrétienne, inspirant aussi bien des drames liturgiques médiévaux que des peintures de la Renaissance.

 

QUI SONT LES MAGES... ET QUE DIT RÉELLEMENT LA BIBLE ?

Saint Matthieu désigne les trois hommes qui rendent visite à Jésus comme des mages (en grec magoi). Des siècles auparavant, l’historien grec Hérodote utilisait ce terme pour désigner une caste sacerdotale perse chargée de l’interprétation des rêves. Des auteurs classiques comme Xénophon et Strabon l’employaient pour décrire des experts religieux. Le terme était régulièrement associé au zoroastrisme et, au Ier siècle de notre ère, le monde méditerranéen de langue grecque l’utilisait aussi plus largement pour désigner des astrologues ou des praticiens de savoirs ésotériques.

Dans l’Évangile selon Saint Matthieu, des mages « venus d’Orient » arrivent à Jérusalem après avoir observé l’apparition d’une étoile annonçant la naissance d’un nouveau roi. Cette référence à l’étoile suggère fortement que Saint Matthieu les considérait comme des astrologues. Les mages consultent le roi Hérode, troublé par la nouvelle, puis suivent l’étoile jusqu’à Bethléem. Là, ils trouvent l’enfant Jésus, à qui ils présentent de l'or, de l’encens et de la myrrhe, et repartent « par un autre chemin » après avoir reçu un avertissement en songe.

Il est notable que Saint Matthieu ne précise ni la patrie des mages, ni qu’ils étaient des rois, ni leur mode de transport, ni même leur nombre. La tradition chrétienne ultérieure a déduit qu’ils étaient trois en raison des trois présents. Mais dans les premières interprétations chrétiennes qui nous sont parvenues, les mages pouvaient être aussi bien deux que douze.

 

LES PREMIERS RÉCITS CHRÉTIENS DES « SAGES »

Parce que le récit biblique est si succinct, les premiers chrétiens ont cherché à développer l’identité de ces visiteurs énigmatiques. L’une des sources les plus riches est la Révélation des mages, un texte apocryphe conservé dans un manuscrit syriaque du 8ᵉ siècle et traduit en anglais en 2010. Dans cette version, les mages viennent d’une contrée lointaine appelée « Shir », un lieu que certains interprètes relient à des régions situées à l’est de la Perse, voire jusqu’à la Chine. Ils sont décrits comme des descendants du patriarche biblique Seth, le troisième et le moins connu des enfants nommés d’Adam et Ève, lequel aurait confié à sa descendance une prophétie secrète annonçant qu’une étoile de lumière divine apparaîtrait un jour pour révéler le Sauveur du monde. Dans ce récit, raconté du point de vue des mages, l’étoile devient un petit être lumineux qui leur parle et les guide, transformant le voyage en un pèlerinage visionnaire plutôt qu’en une simple traversée physique. Les mages finissent par rentrer chez eux, où ils partagent la nouvelle de la naissance de Jésus.

Brent Landau, auteur de la première traduction anglaise de la Révélation des mages et professeur associé d’études religieuses à l’Université du Texas à Austin, explique que ce texte « n’est pas simplement une “fan fiction” créée pour le divertissement. L’auteur semble croire que, puisque Jésus peut apparaître à quiconque, en tout lieu et à toute époque, cela signifie que potentiellement toutes les révélations religieuses de l’humanité reposent sur des apparitions de Jésus. L’auteur adopte donc une perspective relativement inhabituelle sur les religions non chrétiennes, comparée à d’autres écrits chrétiens anciens, qui tendent à être beaucoup plus négatifs à l’égard des religions des autres peuples. »

Par ailleurs, La Légende d’Aphroditianus, un texte du 3ᵉ siècle, transforme les mages en ambassadeurs royaux qui non seulement rendent visite à l’enfant Jésus, mais rapportent aussi son portrait dans un temple d’Héra, en Perse.

 

TROIS ROIS… OU DEUX… OU DOUZE ?

La plupart des détails aujourd’hui associés aux mages ont progressivement été ajoutés au fil des siècles.

Selon Raymond Brown, auteur de La Naissance du Messie, l’idée que les mages étaient des rois provient probablement de lectures chrétiennes anciennes d’Isaïe 60:3-6 (« Des nations marchent à ta lumière, Et des rois à la clarté de tes rayons ») et du Psaume 72:10 (« Les rois de Séba et de Saba offriront des présents »). S’appuyant sur d’autres passages de la Bible hébraïque, l’écrivain chrétien nord-africain Tertullien affirmait que « l’Orient considérait généralement les mages comme des rois », transformant ainsi les astrologues en monarques. Au 6ᵉ siècle, il était tenu pour acquis dans l’ensemble du monde chrétien que les mages étaient des rois.

Le nombre de mages variait également selon les régions. Deux mages seulement apparaissent dans la plus ancienne représentation connue, dans les catacombes de Saint Pierre et Saint Marcellin ; quatre sont représentés dans une fresque du 3ᵉ siècle mise au jour dans les catacombes de Domitille ; et douze sont mentionnés dans des textes syriaques du 13ᵉ siècle, le Livre de l’Abeille et la Révélation des mages. Le nombre fut fixé à trois par l’Église d’Occident au 6ᵉ siècle, à la fois parce que Matthieu mentionne trois présents et parce que la structure ternaire s’accordait bien avec l’importance croissante accordée à la Trinité et aux nombres symboliques.

Les noms Melchior, Gaspard et Balthazar apparaissent dans des textes latins de l’Occident chrétien, la première référence se trouvant dans les Excerpta Latina Barbari du haut Moyen Âge. Avant cela, les sources chrétiennes les plus anciennes, écrit Brown, les nommaient Hormizdah, roi de Perse ; Yazdegerd, roi de Saba ; et Perozadh, roi de Sheba (les chercheurs ayant tendance à considérer Saba et Sheba comme un même lieu). Un texte chrétien éthiopien, connu sous le nom de Livre d’Adam et Ève, les appelle Hor, roi des Perses ; Bassanater, roi de Saba ; et Karusudan, roi de l’Orient.

Leurs compagnons animaux, généralement des chameaux, sont entrés dans le récit par le biais des conventions artistiques et des réalités du commerce antique. Les représentations romaines d’ambassades orientales montraient souvent des chameaux, car, comme l’a écrit Sarah Bond, ils étaient couramment utilisés pour le transport et même à des fins militaires. Des vestiges ostéoarchéologiques de chameaux ont d'ailleurs été retrouvés jusqu’en Bretagne romaine. Les premiers artistes chrétiens, familiers de ces modèles et s’appuyant sur une référence aux chameaux dans le Livre d'Isaïe 60:6, ont ainsi visuellement associé les mages à des envoyés diplomatiques venus d’Arabie ou de Perse.

Collectivement, ces élaborations montrent comment les communautés chrétiennes ont façonné un récit répondant à leurs propres espoirs et préoccupations. Pour certains, les mages étaient des « incarnations de la royauté mondiale », explique l'auteur Eric Vanden Eykel. Pour d’autres, des astrologues dont l’expertise scientifique atteste de la révélation divine. Pour d’autres encore, des saints missionnaires dont la foi précède celle des apôtres.

Les mages demeurent fascinants parce qu’ils sont des chercheurs de sens. Dans le récit épuré de Matthieu, ils observent un signe dans le ciel, l’interprètent et se mettent en route vers une terre lointaine en quête de sens. Dans les traditions ultérieures, ils deviennent rois, sages, mystiques, missionnaires, voire visionnaires, rencontrant la lumière divine d’une manière qui dépasse l’expérience humaine ordinaire.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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