Archéologie : où mener les prochaines fouilles ? L'intelligence artificielle a peut-être la réponse

Bon nombre de sites archéologiques, comme ceux de l’Amazonie, disparaissent plus vite qu’on ne les (re)découvre. L’intelligence artificielle peut-elle permettre d’inverser la tendance ?

De Mohana Ravindranath
Publication 30 août 2025, 13:18 CEST
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Vue aérienne de la jungle amazonienne prise lors d’un vol de La Paz à Rurrenbaque, en 2014. OpenAI a annoncé le nom des lauréats de son concours « OpenAI to Z Challenge » dont le but est d’aider les archéologues à couper à travers la forêt amazonienne non avec des machettes, mais grâce à l’apprentissage automatique.

PHOTOGRAPHIE DE Matthieu Paley, Nat Geo Image Collection

Enfouis au cœur des millions de kilomètres carrés couverts par la dense forêt amazonienne gisent peut-être des milliers de sites archéologiques cachés dont les outils en pierre et les peintures rupestres sont susceptibles de témoigner de l’existence de civilisations pouvant dater de près de 13 000 ans.

Mais cette forêt tentaculaire qui s’étire sur neuf pays et abrite des centaines de peuples autochtones est trop vaste et souvent trop difficile d’accès pour que les archéologues puissent y chercher physiquement des sites cachés. De plus en plus, des chercheurs se tournent vers des nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique pour les aider.

Pour cette même raison, deux archéologues ont récemment collaboré avec OpenAI, l’entreprise derrière ChatGPT. Leur mission : juger un concours public invitant des férus de technologie à explorer de larges ensembles d’images satellites et de données issues de capteurs à distance à la recherche de signes trahissant la présence de sites archéologiques encore inconnus.

L’équipe de trois personnes lauréate de l’« OpenAI to Z Challenge », annoncée jeudi, a mis en évidence soixante-sept zones distinctes à travers l’Amazonie mesurant chacune 2,6 km2 et susceptibles d’abriter, selon les vainqueurs, des sites anciens à la valeur historique inestimable et de fournir de potentiels points de départ pour des fouilles futures. Parmi les juges figuraient notamment l’égyptologue Sarah Parcak et l’archéologue spécialiste de la Mésopotamie Chris Fisher.

« Black Bean », l’équipe lauréate, a entraîné des modèles d’apprentissage profond sur plusieurs ensembles de données publics, parmi lesquels des données obtenues par télédétection LiDAR et des images satellites tirées du Google Earth Engine ainsi que de modèles numériques d’élévation de la NASA, entre autres. L’équipe explique avoir ensuite utilisé le modèle GPT-4o d’OpenAI pour qu’il apprenne la disposition caractéristique de sites archéologiques connus de la forêt amazonienne et les compare à des pans inexplorés de l’Amazonie, principalement au Brésil. L’algorithme a ainsi mis en évidence des dizaines de coordonnées géographiques à aller inspecter.

Bon nombre de ces zones semblent regroupées autour d’étendues d’eau.

« Nos résultats sont en fait logiques, à un niveau qui relève du bon sens même », affirme Yao Zhao, membre de l’équipe lauréate qui travaille actuellement comme ingénieur logiciel chez Meta et qui s’était mis en disponibilité durant la compétition pour se familiariser avec les applications de l’IA. Les civilisations anciennes avaient, après tout, tendance à prospérer à proximité de sources d’eau accessibles.

Le fait de pouvoir passer rapidement au crible des données géographiques couvrant des millions de kilomètres carrés pourrait faciliter la tâche aux archéologues en leur permettant notamment de déceler des motifs récurrents sans devoir d’abord s’appuyer sur un travail de terrain, ainsi que le précise l’ingénieur. Les lauréats ont reçu un prix de 215 000 euros environ ainsi que des crédits à utiliser dans les produits premium d’OpenAI.

 

AJOUTER L’IA À LA BOÎTE À OUTILS DES ARCHÉOLOGUES

L’apprentissage automatique n’est pas un outil complètement nouveau pour les explorateurs du monde ancien. Sarah Parcak, archéologue de l’Université d’Alabama à Birmingham, utilise depuis quelques dizaines d’années déjà l’imagerie satellite, l’imagerie thermique et le LiDAR, méthode qui consiste à émettre des impulsions depuis des avions ou des drones et à observer leur retour, dans ses expéditions en Égypte, en Tunisie et dans d’autres pays.

Ces outils et techniques d’imagerie, combinés à des algorithmes entraînés à déceler des motifs récurrents dans des ensembles de données, l’ont aidée à mettre au jour des milliers d’édifices et de tombes inconnus sur des sites archéologiques répertoriés. Mais, ajoute-t-elle, de nouveaux modèles d’IA pourraient s’appuyer sur ces utilisations, regarder au-delà des cibles archéologiques établies et mettre en évidence de toutes nouvelles zones à inspecter.

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Image satellite LiDAR montrant le Rio Negro, l’un des plus grands affluents du fleuve Amazone. Les lauréats du concours archéologique d’OpenAI ont identifié soixante-sept zones distinctes de 2,6 km2 chacune qu’ils recommandent aux explorateurs de fouiller afin d’y dénicher de potentiels sites anciens. Beaucoup se trouvent près d’étendues d’eau.

PHOTOGRAPHIE DE Matthew Hurst, JAXA, SCIENCE PHOTO LIBRARY

De nombreux sites sont en train de disparaître dans le monde à mesure que le niveau des mers augmente, que la végétation gagne du terrain ou en perd et que les humains construisent et migrent, détruisant ou abandonnant ainsi de précieux vestiges historiques.

« Nous disposons de très peu de temps pour documenter la Terre et tout ce qui existe sous sa forme actuelle avant qu’elle ne change fondamentalement », prévient Chris Fisher, archéologue de l’Université d’État du Colorado.

Selon Sarah Parcak et Chris Fisher, les juges ont choisi l’équipe Black Bean car leur approche était facile à répliquer, mais également en raison de sa méthode créative consistant à combiner plusieurs ensembles de données dans son analyse.

« On pourrait presque soumettre leurs aperçus PDF au Journal of Archaeological Science, s’étonne Sarah Parcak. Leur processus a fini par ressembler de très près à celui des spécialistes de la télédétection. »

 

DÉFIS ÉTHIQUES ET SOUCI DES PEUPLES AUTOCHTONES

Si Sarah Parcak et Chris Fisher pensent que des compétitions telles que celle-ci ont le pouvoir de démocratiser l’archéologie, de permettre à des non-spécialistes du monde entier d’aider à préserver l’histoire, d’autres experts mettent en garde quant aux risques d’exploitation.

Après l’annonce du défi par OpenAI plus tôt cette année, des critiques ont attiré l’attention sur le fait que l’entreprise n’avait pas consulté les groupes autochtones amazoniens vivant près des zones ciblées qui pourraient avoir des opinions différentes concernant le traitement à réserver à leurs sites archéologues et à leur patrimoine. Ces individus pourraient également s’opposer au fait que des techniciens non formés explorent en détail des données géographiques concernant leurs habitations, leurs communautés et leur histoire.

OpenAI avait déjà été critiquée pour avoir popularisé l’IA générative, une forme d’intelligence artificielle capable de créer son propre contenu qui a soulevé des questions plus larges concernant les normes éthiques dans ce secteur d’activité. Les parents d’un adolescent de 16 ans qui utilisait la version gratuite de ChatGPT comme confident avant de se suicider ont intenté un procès à OpenAI pour mise en danger « de mineurs et d’autres usagers vulnérables sans mise en œuvre de dispositifs de sécurité », ainsi qu’on peut le lire dans la plainte. (OpenAI a réagi à ce drame dans une note de blog dans laquelle l’entreprise annonce constituer un groupe consultatif dédié à la santé mentale et « améliorer en continu la façon dont [ses] modèles répondent aux interactions sensibles »).

À l’annonce de la compétition, le ministère brésilien des Peuples autochtones a exigé qu’OpenAI suspende la compétition jusqu’à ce que ses objectifs soient clarifiés, selon Science. Un porte-parole d’OpenAI a confié à National Geographic que l’entreprise continuait de se conformer aux lois locales et à dialoguer avec les institutions du pays et que toutes les données utilisées par les participants étaient déjà publiques. Sarah Parcak a ajouté que les ensembles de données proposés aux concurrents ne concernaient aucune zone connue pour abriter des groupes autochtones.

L’équipe lauréate a annoncé à National Geographic qu’elle prévoyait de partager son travail avec des archéologues et des géologues afin d’affiner son modèle prédictif, mais qu’elle ne prévoyait pas d’envoyer des humains visiter en personne les soixante-sept sites couverts. « Avant de faire quoi que ce soit, nous réfléchirions consciencieusement à la façon de ne pas perturber les humains présents dans la zone », affirme Yao Zhao.

Sarah Parcak et Chris Fisher disent s’attendre à voir davantage d’entreprises privées, notamment celles des domaines de l’IA et de l’apprentissage automatique, lancer des compétitions similaires alors que les financements fédéraux pour l’archéologie s’assèchent.

« Notre discipline doit se poser des questions qui ne font pas plaisir sur l’endroit où elle est prête à aller pour obtenir des financements », même si cela implique de collaborer avec des géants technologiques de la Silicon Valley.

Malgré tout, Sarah Parcak ne pense pas que l’IA va remplacer les archéologues. « Il s’agit de développer à l’échelle ce que les scientifiques spécialistes de la télédétection utilisent depuis cinquante ans. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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