À quoi ressemblaient les pharmacies au Moyen Âge ?

On les trouva d’abord dans les monastères et les couvents. Les apothicaires s'organisèrent plus tard en guildes pour servir le grand public. Et leurs remèdes étaient bien différents de ceux que l’on connaît aujourd’hui...

De Martina Tommasi
Publication 19 août 2025, 10:38 CEST
Cette fresque montre l’intérieur de la boutique d’un apothicaire dans le nord-ouest de l’Italie au 15e siècle. ...

Cette fresque montre l’intérieur de la boutique d’un apothicaire dans le nord-ouest de l’Italie au 15e siècle. Le pharmacien, habillé de vêtements séculaires, tient une balance de précision devant une cliente élégamment vêtue. À droite, dans des frusques et ne portant qu’une chaussure, l’homme qui écrase des composants à l’aide d’un mortier et d’un pilon aurait été employé pour effectuer des tâches simples dans la pharmacie, contre le gîte et le couvert. Tout à gauche de cette scène, un moine écrit sur un bout de papier, faisant sûrement les comptes de la boutique.

PHOTOGRAPHIE DE Scala, Florence

Les épidémies de peste et les maladies n’étaient pas étrangères aux Européens du Moyen Âge. Lorsqu’ils souffraient de problèmes de santé, ils se comportaient de la même manière que nous le faisons aujourd’hui. Ils se tournaient vers la médecine pour un remède ou, du moins, pour apaiser leur douleur. Ils achetaient, ingéraient ou appliquaient des soins qui nous sont encore familiers : potions, onguents et autres pilules.

La chimie de tels médicaments était cependant très différente. Ils étaient faits à partir de substances naturelles que l’on pensait dotées de propriétés curatives, voire miraculeuses. On retrouvait parmi elles des pierres précieuses ; l’agate était un remède pour les maladies oculaires et le jaspe permettait de lutter contre les hémorroïdes. Les produits dérivés d’animaux ou d’humains étaient populaires : ongles, urine, sang. Mais, par-dessus tout, une grande variété de plantes.

La pharmacopée écrite par le médecin grec Dioscoride, De Materia Medica, circulait largement dans le monde occidental ainsi que dans les mondes arabes et musulmans du Moyen-âge. On y retrouvait les descriptions botaniques et les applications médicinales de centaines de plantes. Certaines étaient associées à une grande variété de propriétés curatives. Selon Dioscoride, les plantes de la famille des cyclamens pouvaient être transformées en potions pour traiter tous les maux, de la jaunisse et des maux de tête jusqu’à la constipation, les engelures, l’acné et l’alopécie. Les épiciers (spezialii en italien) entretenaient une étroite relation avec les apothicaires car on pensait que certaines des épices qu’ils échangeaient avec l’Orient avaient des vertus médicinales. La cannelle et l’anis, par exemple, étaient utilisées pour traiter la mauvaise haleine.

Les lotions, potions et cataplasmes étaient parfois préparés par des guérisseurs itinérants qui vendaient leurs produits dans les rues ou en faisant du porte-à-porte. Il existait cependant aussi des boutiques d’apothicaires (du mot grec signifiant « entrepôt »), des sortes de dispensaires, précurseurs de nos pharmacies et drogueries modernes.

 

L'HÔPITAL DES MOINES

L’origine de ces apothicaires est intimement liée aux couvents, aux monastères et aux abbayes. Les fondations monastiques comprenaient des lieux où ils pouvaient offrir l’hospitalité aux pèlerins et aux pauvres. Beaucoup de ceux qui résidaient en ces lieux, que l'on appelait hôpitaux, étaient malades et les moines traitaient leurs maux. C’est ainsi que le mot « hôpital » acquit son sens moderne. Les moines recevaient une formation médicale, ils avaient accès aux ouvrages scientifiques qui se trouvaient dans leurs bibliothèques, tels que le traité de Dioscoride, et beaucoup d’autres textes qui circulaient dans l’Europe médiévale et le monde musulman. Ils détenaient aussi les ressources physiques. Selon leur niveau de connaissances, les moines savaient quelles plantes médicinales cultiver dans les jardins de leur monastère.

De cette manière, les premières pharmacies étaient établies dans des pièces ou des espaces distincts. À Camaldoli, à l’est de Florence, un moine du 11e siècle du nom de Romuald, fonda une communauté de moines bénédictins qui dirigeaient un hôpital pour les pauvres. On citait la pharmacie de Camaldoli dès 1048. Des sources du 16e siècle décrivaient la profusion d’herbes médicinales qui provenaient des jardins botaniques bien entretenus et fournis.

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    FROM THE GARDEN TO THE APOTHECARY'S SHOP

    Cette miniature du 15e siècle réalisée par un artiste inconnu se trouvait dans le manuscrit enluminé d’un collectorium chirurgicum, le terme latin d’une collection chirurgicale. Conservée à la Bibliothèque nationale de France, cette image montre (de droite à gauche) un herboriste rassemblant des herbes médicinales, un médecin et un apothicaire préparant un médicament.

    PHOTOGRAPHIE DE White Images, Scala, Florence

    Un autre exemple, là encore en Italie, est le couvent dominicain bâti en 1221 à Florence, près de la Basilique Sainte-Marie-Nouvelle, érigée plus tard. Quand les religieux soignèrent un riche marchand florentin, la célébrité de leur pharmacie se répandit et le grand public finit par affluer à ses portes, faisant de Sainte-Marie-Nouvelle un précurseur de nos pharmacies modernes.

    La division entre le rôle d’apothicaire et de médecin commença à se faire plus stricte au 13e siècle. Cette scission coïncidait avec la montée en puissance de guildes de médecins. Ils considéraient que la préparation de médicaments était indigne d’eux, aussi les apothicaires reprirent cette tâche. Les constitutions de Melfi furent promulguées en Sicile en 1231 par l’empereur Frédéric II du Saint-Empire romain. Elles établirent que les médecins ne devaient pas préparer les remèdes, seulement les prescrire. Et inversement : les apothicaires n’étaient pas autorisés à prescrire les remèdes, ils ne pouvaient que les confectionner, et toujours sous la supervision d’un médecin.

    À cette époque, les apothicaires poussèrent les limites de leur pratique. À Paris, en 1281, la Faculté de Médecine prit des mesures à l’encontre des apothicaires et leur interdit de se rendre au chevet des malades ou de vendre un médicament sans l’ordonnance d’un médecin.

     

    L’ÂGE DES GUILDES

    L’essor des guildes soumit le travail des apothicaires à une régulation régie par la loi. En 1353, les décrets royaux gouvernant la guilde des épiciers-apothicaires de Paris établirent que personne ne pouvait exercer la profession d’apothicaire « s’il ne savait pas comment lire les prescriptions et n’avait personne pour le faire ». La vente de « médicaments empoisonnés ou dangereux » était proscrite et il devint obligatoire d’étiqueter les bouteilles avec l’année et le mois de préparation du remède. De plus, les apothicaires étaient fortement encouragés à vendre leurs produits « à un prix loyal, honnête et modéré ». Pour s’assurer que tous se pliaient aux règles, un maître des apothicaires fut désigné et, assisté par deux médecins nommés par le doyen de la Faculté de Médecine, il inspectait chaque boutique d’apothicaires au moins deux fois par an, « examinant avec attention toutes les substances qu’on y trouvait ».

    La boutique d’herbologie à Sainte-Marie-Nouvelle, à Florence, est la plus vieille pharmacie du monde encore en ...

    La boutique d’herbologie à Sainte-Marie-Nouvelle, à Florence, est la plus vieille pharmacie du monde encore en activité.

    PHOTOGRAPHIE DE Scala, Florence

     

    LES FEMMES DANS LA MÉDECINE

    Malgré toutes les preuves de femmes médecins dans l’Antiquité, l’idée qu’une femme gère une droguerie, une pharmacie ou pratique la médecine était source d’hostilité en Europe et au sein des guildes largement dominées par les hommes. Des tentatives furent faites pour restreindre le rôle des femmes dans la médecine à celui de sage-femme.

    Néanmoins, le rôle traditionnel des femmes en tant que soignante leur permit d’obtenir les connaissances requises pour être guérisseuses. Dans l’Angleterre du 17e siècle, il devint à la mode pour les femmes de rédiger des livres de recettes apprenant à concocter des remèdes pour traiter une variété de maux. Ce n’est que plus tard que les recettes furent associées à la nourriture. Cette mode concordait avec un essor de l’alphabétisation chez les femmes. L’une des autrices les plus connues de tels ouvrages était Hannah Woolley, au 17e siècle en Angleterre. Dans The Gentlewoman’s Companion (Le guide de la gente dame), Woolley associait le travail de pharmacien et de médecin à une mobilité sociale verticale et encourageait les femmes à acquérir de solides compétences en « médecine et chirurgie » afin d’atteindre l’« utilité sociale ».

    Parmi les colons quakers qui firent voile vers l’Amérique depuis l’Angleterre avec William Penn en 1682 se trouvaient des femmes médecins et guérisseuses. Les connaissances qu’elles transmirent à leurs compagnons colons s’avérèrent cruciales au service public du quotidien de la colonie qui devint la Pennsylvanie.

    Cet article a initialement paru dans le numéro de juillet/août 2025 du magazine National Geographic History en langue anglaise.

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