Sous la Tour de Londres, de nouvelles fouilles révèlent un passé médiéval enfoui
Les fouilles auraient permis de mettre au jour certaines des premières victimes de la peste noire et nous en apprennent plus sur la vie au Moyen Âge dans la citadelle.

Les plus grands travaux de fouilles de la tour de Londres de notre génération dévoilent l’histoire médiévale de la citadelle. Parmi les découvertes, on retrouve cette fosse commune du 14e siècle qui aurait pu être le dernier lieu de repos de certaines des premières victimes de la peste noire.
La tour de Londres domine la Tamise depuis le 11e siècle. Témoin silencieux de l’Histoire, elle a vu défiler exécutions, rébellions et épidémies de peste. Certaines des personnalités les plus connues de Grande-Bretagne y ont élu domicile, et certains ne l’ont jamais quittée. La citadelle referme des secrets parmi les plus mystérieux de l'histoire de la couronne d'Angleterre la disparition de deux jeunes princes de la maison Plantagenêt, dont le sort reste aujourd’hui encore inconnu. Mais si des vies ont brutalement pris fin dans la tour, celle-ci a aussi accueilli des résidents permanents pendant presque un millier d’années, dont les gardes, les employés et leur famille.
Jusque récemment, la vie quotidienne des habitants de la tour de Londres, et son histoire plus ancienne, étaient enveloppées d’un épais mystère, on en ignorait les riches détails et les connaissances manquaient. Mais de nouveaux travaux de fouilles archéologiques, terminés il y a peu et supervisés par l’organisation britannique Historic Royal Palaces, éclairent la vie et la mort des résidents de la célèbre tour de Londres. « Il s’agit des plus gros travaux de fouilles jamais conduits dans la cour intérieure depuis au moins quarante ans, et les plus importants dans la tour de façon générale depuis vingt ou trente ans », affirme Alfred Hawkins, directeur des bâtiments historiques de la tour de Londres, qui a mené les fouilles.

La chapelle royale de Saint Pierre ad Vincula de la tour de Londres. Le bâtiment actuel a été construit à la demande de Henry VIII, mais ses fondations sont bien plus anciennes.
Les fouilles se sont concentrées sur la chapelle royale de Saint Pierre ad Vincula (qui signifie en latin « Saint Pierre enchaîné »), une paroisse pour les résidents qui travaillent dans la tour. On la connaît mieux comme le lieu de repos d’Anne Boleyn, de Catherine Howard et de Sir Thomas More, tous exécutés pour trahison sur l'ordre d'Henri VIII. La chapelle est bien plus ancienne que leur histoire sanglante. La structure actuelle a été érigée sur ordre d'Henri VIII et les travaux ont pris fin en 1520. Elle fait partie d’une histoire bien plus ancienne et sinueuse. « Son héritage remonte peut-être au 9e siècle. On sait avec certitude que certains bâtiments de la chapelle sur ce site datent du 12e siècle », explique Alfred Hawkins. Il ajoute que le « continuum » de la chapelle « pourrait être plus long que celui de la Tour Blanche elle-même ».
Les découvertes révélées par les fouilles, qui sont en cours d’examen par des experts de l’université de Cardiff, dévoilent les mystères les plus anciens de la tour de Londres. Elles peignent un tableau complet de la vie des Londoniens médiévaux au sein de la citadelle et de la relation qu’ils entretenaient avec cet édifice. On en apprend plus sur le culte des résidents observé au sein de la chapelle Saint Pierre ad Vincula, sur les habitudes d’inhumation au Moyen Âge et sur les victimes de la peste, enterrées avec hâte en dessous des fondations de la citadelle.

Une représentation de la fin du 15e siècle de la tour de Londres et de son donjon, la Tour Blanche. Elle a été bâtie à la demande de Guillaume le Conquérant, peu après sa victoire à la bataille de Hastings.
L’HISTOIRE MÉDIÉVALE DE LA TOUR DE LONDRES
La tour de Londres que les visiteurs voient aujourd’hui est quelque peu trompeuse. « Elle semble très propre et très organisée, mais il s’agit surtout du résultat de la représentation victorienne du site », déclare Alfred Hawkins. Le développement de la tour a été organique. Les bâtiments et l’espace se sont étendus et ont évolué au fil du temps, se transformant pour convenir aux nouveaux usages qui arrivaient génération après génération.
Le cœur de ce qui est à présent la tour de Londres, la très célèbre Tour Blanche, a été érigé sur ordre de Guillaume le Conquérant, peu après sa victoire historique à la bataille de Hastings, en 1066. La Tour Blanche faisait partie de ses efforts pour solidifier rapidement le contrôle normand de l’Angleterre. Des ajouts sont apparus presque immédiatement : des murs-rideaux, des tours, une somptueuse résidence royale. Elle est devenue un point de repère dans le ciel de Londres. Étant donné que la plupart des maisons du Londres médiéval ne dépassaient pas deux étages, la tour de Londres se démarquait sur son promontoire, un peu à l’extérieur de la cité, entourée de murs et de douves et difficile d’accès. « Elle ne passe pas inaperçue », affirme Katherine French, professeure d’histoire médiévale anglaise au sein de l’université du Michigan, qui n’a pas pris part aux fouilles.
La citadelle était un pur symbole de puissance royale. En outre, sa situation stratégique et son architecture imprenable en ont fait un lieu parfait pour qu’un roi s’y réfugie en cas de soulèvement. Tel a été le cas en 1381, lors de la révolte des paysans. Richard II a fui vers la tour de Londres pour s’y protéger. Elle a sauvé le roi, mais pas son Lord chancelier, haï de tous, qui, après sa capture, a été traîné à Tower Hill pour y être décapité. La tour de Londres servait également de prison pour les détenus de haut rang, dont le roi du 15e siècle Henri VI, qui a fini par mourir dans la tour, dans des circonstances pour le moins suspectes.

Une vue intérieure de la chapelle Saint Pierre ad Vincula. Bien qu’elle soit plus connue pour être le lieu de repos d’Anne Boleyn, de Catherine Howard et de Sir Thomas More, son histoire remonte au 9e siècle.
Mais à part en période de crise et de révolte sanglante, la tour de Londres servait de centre administratif pour toute l’Angleterre. Elle abritait la Royal Mint (la Monnaie royale) et la monnaie du pays y a été frappée durant des siècles. « La tour, explique Alfred Hawkins, est froide, elle est poussiéreuse et n’est pas très bien organisée. C’est pourquoi elle a souvent été utile pour l’administration du pays et le stockage, les véritables palais royaux étaient à Westminster et à Greenwich, entre autres lieux divers. »
Le site de Saint Pierre ad Vincula était un lieu de culte au cours de l’histoire tumultueuse de la citadelle, ce qui le rend assez spécial. « [La chapelle] n’a, en réalité, toujours servi qu’un seul but », affirme Alfred Hawkins. D’autres bâtiments de la tour étaient pluridisciplinaires, passant d’entrepôts à prison, à résidence et même à enclos pour éléphants. Mais la chapelle a toujours été une chapelle. « On dirait qu’elle a surtout été la paroisse de la forteresse », continue Alfred Hawkins. « Parce que la religion était si importante pour le peuple, en regardant ce bâtiment on peut voir les histoires des différents éléments du site. »
QU’ONT DÉCOUVERT LES ARCHÉOLOGUES LORS DES FOUILLES ?
Les historiens savaient que la structure des Tudors avait remplacé une chapelle construite au 13e siècle et détruite lors d’un incendie vers 1510. Mais cette chapelle du 13e siècle n’a pas été la première ; elle remplaçait certainement une chapelle plus ancienne, voire plusieurs autres. « Au cours de nos fouilles, nous avons découvert potentiellement quatre bâtiments médiévaux d’importance. Il s’agirait des anciennes chapelles, construites les unes sur les autres », explique Alfred Hawkins.
Bien qu’il soit de notoriété publique que des inhumations avaient lieu depuis des siècles à Saint Pierre ad Vincula, le site n’avait jamais été fouillé jusqu’à maintenant. C’est le besoin d’ajouter un ascenseur au bâtiment afin de rendre le site historique plus accessible qui a motivé les fouilles. Les archéologues ont creusé sur une profondeur de 3 mètres pour une surface totale de 60 mètres carrés. Il est rare de creuser à plus de 30 centimètres en de tels lieux. Dans les faits, les archéologues ont creusé jusqu’au 13e siècle. « C’est une opportunité très, très rare que d’obtenir ces informations », déclare Alfred Hawkins.


Les fondations de la chapelle remontant au règne d’Edward Ier, roi d’Angleterre de 1239 à 1306. La chapelle de la tour ne ressemble pas aux autres bâtiments de la citadelle ; elle n’a toujours été utilisée que comme un lieu de culte.
Deux jarres d’encens qui remonteraient à une période s’étendant entre 1150 et 1250, enterrées après 1240. Les jarres ont été une découverte particulièrement importante car les objets funéraires étaient rares en Grande-Bretagne.
Les archéologues, annonce Alfred Hawkins, « ont découvert des éléments qui racontent presque tous les aspects de la vie humaine », allant des bijoux aux éclats de vitraux, en passant par des fragments d’une grande rareté de linceul funéraire. Les textiles sont délicats et difficiles à préserver, même à dessein. En temps normal, ils ne survivent que dans des conditions anaérobiques. Il semblerait que les archéologues aient été chanceux : les fragments se trouvaient dans l’argile. « Ils n’auraient pas dû nous parvenir dans cet état [de conservation] », s’émerveille Alfred Hawkins. De plus amples examens nous en diront plus sur leur tissage et sur la qualité du tissu, et viendront étoffer les connaissances des pratiques funéraires de l’époque.
Alfred Hawkins ajoute que les archéologues ont également mis au jour « vingt-deux individus articulés et une quantité importante de chair » qui remonterait aux 13e ou 16e siècles. Des indices suggèrent qu’un grand nombre de ces personnes étaient de la noblesse. Beaucoup semblent avoir été enterrées dans des cercueils plutôt que dans des linceuls, qui étaient plus communs. Et il semblerait que les inhumations les plus profondes se trouvaient originellement à l’intérieur d’une ancienne version de la chapelle, ce qui indiquerait également une certaine importance sociale. « Traditionnellement, plus on était enterré près de l’église, plus on était quelqu’un d’important. Et si l’on était enterré à l’intérieur, alors on était quelqu’un de beaucoup plus important, et sous l’autel, on était la personne la plus haut placée socialement », explique Alfred Hawkins.
L’une des découvertes les plus incroyables a été faite parmi les inhumations les plus profondes, et donc les plus anciennes : deux jarres d’encens qui auraient été fabriquées entre 1150 et 1250. Une telle trouvaille est d’une exceptionnelle rareté. « Les objets funéraires ne se faisaient pas vraiment dans l’Angleterre médiévale », déclare Alfred Hawkins. Elles n’étaient tout bonnement pas une pratique culturelle courante à l’époque et de similaires « pots de tombes » n’ont été découverts que deux fois auparavant dans la région, à Oxford et en Écosse. Cette découverte suggère que l’individu serait venu du nord de la France ou du Danemark, où les objets funéraires étaient plus courants. Si les fragments de charbon contenus dans les jarres sont suffisamment gros, les Historic Royal Palaces pourraient être en mesure de demander à un archéobotaniste, spécialiste des restes de plantes anciennes, de reconstituer l’encens.
LES SECRETS DE LA VIE MÉDIÉVALE DANS LA TOUR DE LONDRES
Les documents historiques sont de riches sources d’informations sur le Londres médiéval, la tour de Londres et ses résidents. Mais l’archéologie peut venir combler d’importantes lacunes. « Nous savons ce qui était échangé et commercé à Londres, mais cela ne nous apprend pas vraiment ce que mangeaient les individus, ou sur les différences de régimes alimentaires en fonction du statut social », souligne Katherine French.
« L’histoire humaine que renferment les os manque aux connaissances que l’on a de la tour depuis un long moment, car très peu ont été mis au jour et analysés », ajoute Richard Madgwick, archéologue scientifique de l’université de Cardiff ; il fait partie de l’équipe chargée d’analyser les vestiges. « Cela nous donne un niveau de résolution assez fin en termes de provenance de ces personnes, de ce qu’elles consommaient et de leur état de santé par le passé. »
Le projet a commencé avec une tranchée test, creusée en 2019 pour évaluer le site. L’équipe a découvert les restes de deux individus, qui ont été transférés à l’université de Cardiff, où les chercheurs ont eu recours à plusieurs méthodes pour étudier les ossements. Une analyse macroscopique des os a révélé des informations comme l’âge, le sexe, et leur état de santé générale. Une analyse isotopique leur en a appris plus.
« Les analyses isotopiques sont une science complexe, mais le principe est assez simple », commence Richard Madgwick. « Ce que l’on mange, où on le mange et comment on le mange, tout cela constitue notre identité. » La nourriture et les boissons laissent des traces chimiques partout sur nous, sur nos cheveux, nos dents et nos os. Les différents paysages ont, eux aussi, différentes compositions chimiques. Londres, par exemple, contient un certain taux de soufre et de strontium. Cela permet aux archéologues de se représenter où aurait vécu un Londonien du Moyen Âge et ce qu’il aurait mangé.
L’équipe de Cardiff a découvert que l’un des individus dont la sépulture a été mise au jour était une femme âgée d’entre trente et quarante ans, morte entre 1480 et 1550. Elle était probablement assez aisée, étant donné qu’elle était enterrée dans un cercueil et avait une alimentation riche qui comportait du sucre, un ingrédient alors rare et onéreux. Les traces chimiques retrouvées dans ses dents indiquent qu’elle ne provenait pas de Londres et avait habité à au moins deux autres endroits, probablement la péninsule du Sud-Ouest de l'Angleterre, à Cornwall ou Devon, ou même au Pays de Galles.
Le deuxième individu était un jeune homme qui vivait à Londres à peu près à la même période. Il aurait été en âge d’être un apprenti et venait peut-être du Nord, mais proche de Londres, comme le comté du Kent. Les chercheurs ont trouvé des preuves de stress infantile important. Son régime n’était pas de celui des riches et il a très probablement été enterré dans un linceul. Mises bout à bout, ces découvertes suggèrent une diversité des vies présentes à la tour de Londres. Rien ne laisse croire que ces individus soient morts à la suite de violences ; ils étaient sûrement des fidèles de la paroisse.
DES TRACES DE LA PESTE NOIRE
Les travaux de fouilles effectués en 2019 n'étaient qu'une première étape. L’équipe de Cardiff devra à présent mener les mêmes examens sur les dépouilles découvertes dans les fouilles les plus récentes. « Jusqu’alors, nous avons ces deux belles biographies », déclare Richard Madgwick. « Cela nous informe sur les dynamiques de mouvements de populations et des trajectoires de vie de ceux qui étaient enterrés dans la tour. Mais ce sera réellement exaltant de voir si ces deux individus étaient des anomalies, ou si nous allons découvrir une variété de modes de vie parmi les dépouilles enterrées sous la chapelle. »
Les chercheurs tentent de déterminer d’où venaient les ouvriers de la tour de Londres. « C’est l’une de ces grandes questions : est-ce que la communauté de la tour de Londres était une communauté ? Ou était-ce un groupe de personnes qui venaient de plusieurs endroits et de partout à la fois ? » se demande Alfred Hawkins.
La composition de la communauté de la tour de Londres rend ce projet particulièrement intéressant car les chercheurs tentent essentiellement de déterminer ce qu’était une communauté de classe moyenne, avance Katie Faillace, anthropologue dentaire et bioarchéologue ; elle fait partie de l’équipe scientifique de Cardiff. Bien que plusieurs individus aient été enterrés dans des cercueils, la plupart « des personnes qui y sont enterrées ne faisaient pas partie de l’élite. Il s’agit d’une classe moyenne que nous n’avons pas souvent l’occasion d’étudier en archéologie. » Les analyses dentaires révèleront elles aussi des informations sur l’alimentation de la population. Les fouilles ont mis au jour des dépouilles de jeunes enfants, illustrant le taux brutal de mortalité infantile de l'époque, et montrant sous un nouveau jour la vie de famille à la tour de Londres.
L’un des autres points sur lesquels les analyses seront en mesure de nous en dire plus est si oui ou non certains de ces individus sont morts de la peste noire, qui a ravagé Londres au début de l’an 1348. « Nous avons une collection de sept inhumations pratiquées vers le milieu du 14e siècle qui semblent avoir été précipitées », explique Alfred Hawkins. Si les analyses ADN trouvent des traces de la bactérie yersinia pestis, cela rendra ces inhumations particulièrement intéressantes. Les Londoniens médiévaux s’étaient vite rendu compte que les morts de la peste devaient être traités différemment des autres ; les autorités ont créé des fosses communes d’urgence dédiées aux victimes. Deux d’entre elles se trouvaient près de la tour. Les personnes enterrées sous Saint Pierre ad Vincula et non dans les fosses communes de la peste revêtent un grand intérêt pour les chercheurs : elles pourraient avoir été les premières victimes de la peste noire. Si tel est le cas, cette découverte fournirait un aperçu de ce qu’était la vie londonienne au début de l’épidémie.
Les vestiges des fouilles de 2025 sont en cours de transfert vers l’université de Cardiff pour être examinés au cours des prochains mois. Les dépouilles seront ensuite réenterrées dans la crypte de Saint Pierre ad Vincula.
« Ce n’est pas un si gros trou dans le sol, qu'en pensez-vous ? » observe Richard Madgwick. « Mais il détient le potentiel de changer non seulement notre compréhension de la population et des activités menées à la tour de Londres, mais aussi sa technologie, son commerce et sa connectivité dans toute l’Angleterre, voire au-delà. C’est exaltant. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
