Ce que l’on sait sur le meurtre de la jeune fille d’Yde

Assassinée dans une tourbière des Pays-Bas, le corps de la fille d’Yde a été retrouvé des milliers d'années plus tard, dans un état de conservation remarquable. Mais malgré des années de recherches, les circonstances de sa mort restent un mystère…

De Morgane Joulin
Publication 10 avr. 2024, 14:14 CEST
Une partie de l'œuvre d'art Broken Circle (2010, Derk den Boer) au sud du village Drenthe, ...

Une partie de l'œuvre d'art Broken Circle (2010, Derk den Boer) au sud du village Drenthe, Pays-Bas, réalisée à la mémoire de la jeune fille d'Yde. La mystérieuse histoire de son meurtre est retracée dans l’épisode 6 de « Légendes macabres : les secrets du passé », disponible tous les dimanches à partir de 21 heures sur National Geographic. 

PHOTOGRAPHIE DE Marc Venema / Alamy Banque D'Images

Les momies des tourbières ont la particularité d’être souvent très bien conservées, ce qui permet aux experts d’entrer plus facilement dans leurs histoires. C’est le cas de l’homme de Tollund, disparu il y a plus de 2 400 ans et dont on distingue encore les plis du visage. La Doncella en est aussi un exemple probant, jeune inca enterrée vivante à plus de 6 000 mètres d’altitude il y a plus de 500 ans lors d'un sacrifice rituel dans la cordillère des Andes, son état de conservation est particulièrement remarquable. 

Parmi ces momies spectaculaires, on trouve la jeune fille d’Yde. Découverte le 12 mai 1897 par deux ouvriers, Hendrik Barkhof et Willem Emmens, elle est exhumée près du village éponyme situé dans la province de Drenthe aux Pays-Bas. Ce qui frappe au premier regard, c’est son état quasi parfait de conservation et notamment ses cheveux blond vénitien sur lesquels le temps semble ne pas avoir eu de prise. Pourtant, avant d’être officiellement mise au jour, plusieurs parties de la momie ont été dépouillées par des villageois aux alentours. Ongles, cheveux ou encore des dents ont ainsi été dérobés. Pour eux, c’était presque comme des « souvenirs », explique Roy van Beek, archéologue spécialisé dans les zones rurales et intervenant dans l’épisode six de la série « Légendes macabres : les secrets du passé », série inédite diffusée tous les dimanches à partir de 21h sur National Geographic.

D’après les tests au carbone 14, la jeune fille d’Yde serait morte entre -20 et 120 de notre ère, à l’âge de seize ans. Elle aurait donc vécu plus ou moins à la fin de l’âge de fer et au début de la période romaine. Sa peau a été remarquablement bien conservée grâce à l’action de l’acide tannique, un puissant anticorrosif présent dans la tourbe. En 1994, une reconstitution des traits de son visage grâce à des techniques de chirurgie esthétique et de pathologie est réalisée par le professeur Richard Neave de l'Université de Manchester. Aujourd’hui, la fille d’Yde et la photo de sa reconstitution sont exposées au Musée régional de Drenthe à Assen, aux Pays-Bas.

 

Reconstitution du visage de la jeune fille d’Yde par le professeur Richard Neave.

PHOTOGRAPHIE DE Domaine Public

LES CIRCONSTANCES DU MEURTRE

Si les chercheurs n’ont pas encore tranché sur les modalités exactes du meurtre, ils sont néanmoins unanimes sur le fait qu’elle n’est pas morte d'une manière accidentelle. « Elle a été délibérément tuée et a été laissée à un endroit précis », assène Roy van Beek. Elle portait un nœud coulant enroulé trois fois autour de son cou, et a reçu un coup de poignard à la clavicule. Mais à ce propos, l’archéologue explique qu’il n’est « pas certain » qu’elle ait été poignardée, et que cela pourrait être lié à « l'histoire de la découpe du corps » après un pillage par exemple.

Le motif rituel n’est pas à exclure, mais ce n’est pas la piste principale suivie par l’archéologue, qui estime qu’il est « très difficile de faire une distinction très claire entre les meurtres rituels et les autres types de meurtres. » L’interprétation à laquelle il croit le plus est que « certaines personnes ne s'intégraient pas vraiment dans la communauté de l'époque, ou ne répondaient pas aux normes sociales, avaient un comportement inapproprié, ou étaient simplement des criminels. Ce type de personnes pourrait être responsables du meurtre de la fille d’Yde ». Un assassinat donc. 

Ce qui confirme cette hypothèse, c’est que la fillette n’a a priori pas connu de sépulture. Son corps a été retrouvé à plusieurs kilomètres des habitations de l’époque, dans la tourbe. De fait, « une sépulture normale ne se trouverait jamais dans un marécage à ces périodes, elle serait toujours souterraine, et pourrait même être une incinération. » Les défunts « étaient laissés dans une urne, ou sans urne, et enterrés dans des cimetières très simples. En général, ils n’étaient pas très éloignés des lieux d’habitation. » Pour les chercheurs, il est certain qu’elle a été tuée, et que son assassin n’a pas souhaité lui faire de sépulture. 

Au sujet de l’identité du meurtrier, les interrogations demeurent. « S’agissait-il d'une habitante du village ou d’une personne venue d'ailleurs ? Nous n'en savons rien. » L’expert estime que pour répondre à cette question, il faudrait « des données isotopiques ou des données ADN ». Or aujourd’hui, faute de moyens, de telles analyses n’ont pas encore été effectuées sur la jeune fille. 

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    LE CONTEXTE

    Roy van Beek s’est particulièrement intéressé à l’environnement historique, social, économique et culturel autour de l’histoire de la jeune fille d’Yde. « Aux Pays-Bas, nous n'avions pas de grandes villes ou de villages à l’époque. C'était vraiment ce qu'on pourrait appeler un hameau, avec deux ou trois fermes au maximum. » Le paysage avait déjà été en partie transformé par l’homme en Europe du Nord, notamment avec l’agriculture. « Au cours de la préhistoire, il y avait des forêts vierges qui couvraient densément tout le nord de l'Europe. À la fin de l'âge du fer et au début de l'empire romain, ce n'est plus le cas. Les gens ont donc déjà créé un véritable paysage culturel, où l'on trouve encore des vestiges de forêts, mais aussi des terres cultivées, des champs arables et de petits hameaux disséminés dans le paysage. »

    En ce qui concerne le contexte historique et culturel, Roy van Beek explique que seule la partie méridionale des Pays-Bas était intégrée à l'Empire romain : « ils ont conquis jusqu'aux grands fleuves qui ne se trouvent pas au centre, jusqu'au Rhin principalement. » La dépouille de la jeune fille d’Yde a été retrouvée assez loin de cette frontière romaine. « Les Romains sont entrés aux Pays-Bas vers 19 avant JC. […] Il est donc possible qu'elle ait vécu à une époque où l'Empire romain s'étendait aux Pays-Bas ». 

    La jeune fille d’Yde a été retrouvée enveloppée de deux morceaux d'une couverture, d’une ceinture en laine et d’un nœud coulant autour de son cou.

    PHOTOGRAPHIE DE Domaine Public

    Pour la religion, l’expert indique qu’il n’y avait « pas d’église » et ainsi « pas de religion chrétienne ». Pour autant, il y a des preuves que les habitants de l’époque exerçaient une forme de spiritualité. « Des offrandes rituelles ont parfois été faites, de sorte que vous pouvez voir des objets importants ou spéciaux qui sont délibérément laissés là. C'est quelque chose qui se produit déjà au cours de la préhistoire, dès le Néolithique […] mais aussi à l'âge du fer, lorsqu'elle vivait. » Souvent, les offrandes étaient laissées dans des lieux naturels « considérés comme des endroits spéciaux où l'on pouvait communiquer avec des forces surnaturelles. » L’archéologue pense qu’il existe des preuves archéologiques solides, qui viennent attester du caractère mystique de ces offrandes, car « parfois ces objets sont si grands, spéciaux et rares que l’on ne peut pas penser qu'ils ont simplement été perdus. Ils ont été placés là délibérément. »

    Enfin, au niveau de l’organisation politique, l’archéologue précise qu’il est important de ne pas interpréter le contexte de l’époque avec nos normes actuelles. « Si vous regardez les données sur les sépultures et les cimetières que nous connaissons dans cette région, vous ne voyez pas vraiment une grande classe dirigeante de personnes qui seraient plus importantes que d'autres. » La société de la jeune fille d’Yde était « très rurale et égalitaire » selon lui. 

    Mais le grand mystère qui entoure encore aujourd’hui l'hitoire de la jeune fille d’Yde, c'est justement de savoir si elle était une locale, ou si sa dépouille a été déplacée par son meurtrier. « A-t-elle vraiment grandi dans le village le plus proche ? Nous ne le savons pas, et ça reste un grand débat », conclut Roy van Beek. Des centaines d’années après son décès, la jeune fille n’a donc pas livré l’entièreté de ses secrets. 

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