Cette femme était-elle la première pharaonne d'Égypte ?

Néférousobek n’a pas la même notoriété que Cléopâtre et Hatchepsout, mais elle est peut-être la toute première femme à avoir régné sur l’ancien royaume d’Égypte.

De Kara Cooney
Publication 25 avr. 2023, 09:30 CEST
Papyrus illustrant le culte du dieu Sobek ; crocodile divin éponyme de la reine Néférousobek.

Papyrus illustrant le culte du dieu Sobek ; crocodile divin éponyme de la reine Néférousobek.

PHOTOGRAPHIE DE Egyptian National Museum, Cairo, Egypt, G. Dagli Orti, De Agostini Picture Library, Bridgeman Images

L’Égypte ancienne était essentiellement un monde d’hommes dirigé par un pharaon. Mais à certains moments de son histoire, qui s’étend sur 3 000 ans, des femmes ont régné, et six d’entre elles (Merneith, Néférousobek, Hatchepsout, Néfertiti, Taousert et Cléopâtre) atteignirent les plus hauts sommets du pouvoir et exercèrent une influence importante en Égypte ancienne, non en tant que manipulatrices d’hommes mais en tant que cheffes d’État. Parmi ces puissantes reines, Néférousobek fut la première femme à prendre le titre officiel de roi d’Égypte dans une démonstration sans précédent de pouvoir féminin. Comment réussit-elle à atteindre le sommet de cette société dominée par les hommes ?

 

RICHESSE ET ABONDANCE

Néférousobek fut issue du harem et de la pouponnière royaux de la 12e dynastie (1939-1760 avant notre ère). On ne sait pas exactement qui elle était, mais sa mère était l’une des centaines de femmes qui servaient sexuellement le roi Amenemhat III. La princesse comprit qu’afin de pérenniser sa lignée elle devrait un jour épouser son père ou, lorsque ce dernier mourrait, devrait se lier à son frère, le nouveau roi, et devenir la grande épouse royale de la plus importante lignée. D’ailleurs, la mère de Néférousobek était peut-être elle aussi la fille du roi, bien qu’aucune trace ne subsiste à ce sujet. Mais même si la vie l’avait placée sur cette trajectoire, ce ne devait pas être son destin.

Homme et femmes portaient des plastrons comme ceux-ci (vers 1878-1840 avant notre ère) ; celui de gauche porte le nom d’Amenemhat III.

PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett

 

LIGNE DE SUCCESSION

À la mort du pharaon Amenemhat III, son fils, Amenemhat IV, monta sur le trône et, comme cela était prévu, Néférousobek devint sa femme. La noblesse égyptienne accueillit cette nouvelle avec un grand soupir de soulagement, sachant que le statu quo serait maintenu pendant quelques décennies encore et que de nouveaux héritiers n’allaient pas tarder à entrer dans la lignée royale. Néférousobek était désormais reine, et fille du roi en prime. Cependant, après neuf ans de règne seulement, Amenemhat IV mourut sans avoir d’héritiers viables.

Tous les courtisans se tournèrent alors vers la famille royale pour résoudre la situation : maintenir l’équilibre de pouvoir entre les membres de l’élite afin que les richesses continuent de pleuvoir. La 12e dynastie se trouvait dans une crise de succession d’ampleur inédite. Suivante sur la liste faute de mieux, Néférousobek ne devint rien de moins que « roi » grâce à sa filiation avec le grand Amenemhat III, dont elle se servit pour légitimer son accession au pouvoir. Pour la première fois dans l’histoire humaine, une femme de la famille royale égyptienne revendiquait la plus haute fonction du pays (le poste de roi), et ce pour la simple raison qu’il n’y avait aucun homme dans la famille royale pour y prétendre.

 

UNE DÉMONSTRATION DE FÉMINITÉ

Quand Néférousobek monta sur le trône, elle passa plusieurs semaines au temple pour différentes activités, initiations, méditations et cérémonies qui l’investirent du pouvoir divin de la souveraineté (les Égyptiens s’accordaient à dire qu’elle le possédait depuis la naissance). On décréta également que « reine » n’était pas un titre convenable pour elle ; les reines étaient soumises à leur souverain. En cette qualité, elle reçut cinq noms de règne tels que « Celle qui appartient au jonc et à l’abeille, Maîtresse des Deux Terres, et Fille de Rê », une titulature royale féminisée spécialement pour elle. Elle était roi, un point c’est tout.

Devenue roi, Néférousobek s’attela aussitôt à protéger la dynastie familiale. Elle fit placer des effigies d’elle dans les temples de toute l’Égypte ; trois statues furent découvertes sur le site de Tell el-Dab’a, dans l’est du delta du Nil, parmi des vestiges de temples de la 12e dynastie. Chose frustrante, aucune des statues portant son nom n’avait conservé son visage.

L’une d’entre elles se trouve aujourd’hui au Louvre. Bien que dépourvue de tête, on aperçoit tout de même le Némès, ce couvre-chef strié que Toûtankhamon porterait bien plus tard avec son masque funéraire doré, tomber sur ses épaules. Elle est vêtue d’une robe de reine, mais elle a noué le pagne des rois par-dessus sa tenue féminine, et bien plus haut qu’un homme ne l’aurait fait : au-dessus du nombril et juste en dessous de la poitrine. Autour du cou, elle porte la même amulette percée en forme de cœur que son grand-père et que son père, un symbole de la force de la 12e dynastie et de sa filiation directe avec ces grands rois. Elle ne mentait pas à son peuple ou à ses dieux quant à son genre ; elle exposait sa féminité au vu et au su de tous. Cela ne l’empêcha pas de superposer la masculinité de ses nouvelles fonctions à sa féminité.

Buste sans tête de Néférousobek, qui serait la toute première pharaonne d’Égypte, parée de vêtements typiquement féminins et masculins. Cette statue a peut-être été modifiée pour y ajouter l’iconographie de la royauté (le pagne et le Némès) quand elle s’est emparée du trône. 

PHOTOGRAPHIE DE Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais, Georges Poncet, Art Resource

 

LA FIN D’UNE ÉPOQUE

Lors de sa troisième année de règne, le Nil connut une sécheresse qui mena l’Égypte au bord du désastre alors que les récoltes déclinaient et que la famine frappait. Néférousobek dut certainement puiser dans les importants bacs à céréales contrôlés par l’État et mobiliser la pléthore de richesses accumulées lors des années d’abondance pour nourrir les Égyptiens affamés.

Pendant ce temps, le fait que Néférousobek était la dernière de sa famille était sur toutes les lèvres, et on commençait à penser à la suite ; un changement de dynastie était proche. Celui-ci finit par se produire bien plus tôt que prévu. Après seulement trois années, dix mois et vingt-quatre jours, selon le Canon royal de Turin, le règne de Néférousobek connut une conclusion abrupte. Sa mort précipita la fin de l’une des plus grandes familles régnantes d’Égypte.

La mort de Néférousobek demeure une question ouverte. Selon certains égyptologues, elle aurait connu une fin précoce et aurait été assassinée pour avoir accédé à une fonction qui ne revenait pas légitimement à une femme. Mais le fait qu’elle se soit emparée de la souveraineté et qu’elle ait régné sans opposition pendant des années suggère le contraire. Et les Égyptiens, à leur manière, remercièrent Néférousobek pour ce qu’elle avait fait pour eux : on conserva son nom dans la plupart des canons royaux. On ne la considéra pas hérétique ou indigne à cause de son sexe. Elle protégea son pays en période trouble et, pour cela, elle fut honorée.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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