Cette salle "secrète" renfermerait une œuvre inconnue de Michel-Ange

Des esquisses réalisées sur les murs d’une salle cachée d’une chapelle florentine seraient l’œuvre de Michel-Ange, qui y chercha peut-être refuge en 1530.

De Claudia Kalb
Publication 16 nov. 2023, 11:45 CET
On a découvert des dessins au fusain sur le mur d’un sous-sol caché sous la chapelle ...

On a découvert des dessins au fusain sur le mur d’un sous-sol caché sous la chapelle Médicis, à Florence, en Italie. Selon les spéculations de certains spécialistes, ces esquisses non signées pourraient être l’œuvre de Michel-Ange.

PHOTOGRAPHIE DE Paolo Woods

FLORENCE, ITALIE – En 1975, Paolo Dal Poggetto, alors directeur du Musée des chapelles Médicis de Florence, découvrit par hasard un trésor de la Renaissance.

Alors qu’ils cherchaient un emplacement pour créer une nouvelle sortie pour les visiteurs, Paolo Dal Poggetto et ses collègues tombèrent sur une trappe cachée sous une armoire près de la Nouvelle Sacristie, une chambre abritant les tombes ornementées des dirigeants Médicis. Sous la trappe, des marches de pierre menaient à une salle oblongue qui, à première vue, semblait n’être qu’un espace servant au stockage du charbon.

Mais sur les murs, Paolo Dal Poggetto et ses collègues découvrirent ce qu’ils croient aujourd’hui encore être des esquisses au fusain et à la craie réalisées par le célèbre Michel-Ange. Jusqu’à ce jour, la pièce est demeurée en grande partie inaccessible. Mais ce 15 novembre, elle a ouvert au public à titre expérimental ; il faudra débourser 20 euros pour y accéder. Quatre par quatre, les visiteurs, accompagnés par la sécurité du musée, sont désormais autorisés à y passer quinze minutes, pas plus.

Accessible par un escalier étroit, la salle mesure 10 mètres sur 3 et 2,40 m de hauteur. En 2017, Monica Bietti, alors directrice des chapelles Médicis, a accordé au photographe National Geographic Paolo Woods un accès rare à la pièce pour qu’il puisse en immortaliser le contenu.

Un dessin au fusain d’un dos humain apparaît sur l’un des murs de la chambre cachée. Ce contour brut pourrait être une version d’une silhouette figurant sur les peintures réalisées par Michel-Ange dans la chapelle Sixtine.

PHOTOGRAPHIE DE Paolo Woods, National Geographic

Si l’œuvre est encore visible de nos jours, c’est parce que Paolo Dal Poggetto ne prit aucun risque lorsqu’il pénétra pour la première fois dans cet espace. Étant donné qu’il s’agit de Florence, berceau de nombreux éminents artistes de la Renaissance, il se doutait que quelque chose de précieux était susceptible de se cacher sous les couches de plâtre.

« Nous avons des bâtiments très anciens, nous devons faire attention », confiait Monica Bietti à National Geographic en 2017. Étant donné que les esquisses ne sont ni signées ni datées, deux questions demeurent : qui les a dessinées ? Et quand ?

 

UN ARTISTE CLANDESTIN ?

Sous la houlette de Paolo Dal Poggetto, des spécialistes passèrent plusieurs semaines à ôter méticuleusement le plâtre à l’aide de scalpels. En s’effaçant, le revêtement laissa la place à des dizaines de dessins, dont bon nombre rappellent l’excellence du travail de Michel-Ange. Juste au-dessus de la pièce, dans la Nouvelle Sacristie, se trouve d’ailleurs, sur la tombe de Julien de Médicis, une sculpture en marbre imaginée par nul autre que Michel-Ange.

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    Coucher de soleil sur les collines de Toscane et de Florence, vues des hauteurs, avec la chapelle Médicis au premier plan. Michel-Ange a travaillé sur les sculptures exposées dans la Nouvelle Sacristie, la salle de la chapelle où se trouvent les tombes de la famille Médicis.

    PHOTOGRAPHIE DE Getty Images

    Paolo Dal Poggetto parvint à la conclusion que l’artiste s’était réfugié à l’intérieur de la pièce pendant deux mois environ en 1530 afin de se cacher de la famille Médicis. En effet, en 1527, une révolte populaire avait entraîné l’exil des Médicis, et bien qu’ils aient été les mécènes de Michel-Ange, ce dernier les avait trahis en prenant fait et cause pour ses concitoyens florentins, qui s’élevaient contre eux.

    Lorsqu’ils revinrent au pouvoir, quelques années plus tard, la vie de l’artiste de cinquante-cinq ans fut menacée. « Naturellement, Michel-Ange avait peur, fait observer Monica Bietti. Et il a décidé de loger dans cette pièce. »

    Cette esquisse grossière d’un corps masculin fait écho à un dessin à la craie représentant la résurrection du Christ réalisé par Michel-Ange plusieurs années auparavant.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Woods, National Geographic

    Dessin à la craie représentant la résurrection du Christ, attribué à Michel-Ange.

    PHOTOGRAPHIE DE Her Majesty Queen Elizabeth II, 2016

    Monica Bietti soupçonne Michel-Ange d’avoir passé ses semaines d’isolement à faire le bilan de sa vie et de son œuvre. Les dessins sur les murs représentent selon elle des œuvres qu’il avait l’intention de terminer ainsi que des chefs-d’œuvre qu’il avait achevés plusieurs années auparavant, et notamment un détail de la statue de David (terminée en 1504) et des personnages de la chapelle Sixtine (dévoilée en 1512).

    « C’était un génie porté par sa créativité sans bornes. Qu’allait-il bien pouvoir faire ici ? Eh bien, dessiner », commente-t-elle.

     

    DES DOUTES PERSISTANTS

    Comme pour toute œuvre pluriséculaire, il est impossible de confirmer les origines des dessins avec une certitude absolue. Le consensus semble être que certaines esquisses sur le mur témoignent de bien trop d’amateurisme pour être l’œuvre de Michel-Ange lui-même. Mais la provenance du reste d’entre elles est affaire d’opinion.

    Après la découverte de 1975, une autorité éminente en matière d’art de la Renaissance reconnut cette collection d’esquisses comme l’une des découvertes artistiques majeures du 20e siècle. Mais William Wallace, spécialiste de Michel-Ange de l’Université Washington à Saint-Louis, demeure sceptique.

    Gauche: Supérieur:

    Esquisse d’une silhouette humaine qui semble s’élever dans les airs retrouvée sur l’un des murs de la pièce.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Woods, National Geographic
    Droite: Fond:

    Le dessin de gauche, découvert dans la chambre, présente une ressemblance frappante avec la figure centrale de cette étude pour « La Chute de Phaéton ».

    PHOTOGRAPHIE DE National Museum of the Academia Galleries of Venice

    Selon lui, Michel-Ange était bien trop important pour se terrer dans cette pièce cachée. Il est bien plus probable qu’un de ses autres mécènes l’ait hébergé. Il soupçonne également les dessins d’avoir été réalisés plus tôt, dans les années 1520, quand Michel-Ange et ses nombreux assistants cessaient momentanément de poser des briques et de découper du marbre dans la Nouvelle Sacristie qu’ils construisaient juste au-dessus.

    Étant donné ces incertitudes, William Wallace conteste l’épithète « secret » qu’on accole à cet espace. La pièce contient un puits que Michel-Ange et ses assistants auraient pu selon lui utiliser pour mélanger le mortier et le plâtre, laver leurs outils et boire durant les mois chauds de l’été. Ils montaient et descendaient probablement ces escaliers toute la journée, ainsi qu’il le confiait à National Geographic en 2017 et ainsi qu’il l’a réaffirmé récemment par e-mail. « Ce n’était pas une salle "secrète", elle faisait partie intégrante du bâtiment. »

    Selon lui, plusieurs dessins sont susceptibles d’être des originaux de Michel-Ange, mais d’autres sont vraisemblablement des portraits réalisés par des ouvriers cherchant à trancher un dilemme artistique ou s’amusant tout simplement durant leurs pauses.

    Gauche: Supérieur:

    L’une des esquisses de la chambre semble être une image inversée d’un dessin de Michel-Ange représentant Léda et le Cygne, un mythe grec populaire.

    PHOTOGRAPHIE DE Monica Bietti
    Droite: Fond:

    Léda et le Cygne est un tableau perdu de Michel-Ange vers 1530, connu des historiens par des études préparatoires de sa main et par des copies, comme celle-ci.

    PHOTOGRAPHIE DE Royal Academy of Arts, London; Photographer: Prudence Cuming Associates Limited
    Gauche: Supérieur:

    Ce membre désincarné découvert sur un mur de la chambre semble refléter le bras de la célèbre statue de David, sculptée par Michel-Ange.

    Droite: Fond:

    L'œuvre représente David, une fronde à la main, juste avant son combat contre le géant Goliath. La célèbre statue de Michel-Ange est conservée à la Galleria dell'Accademia de Florence.

    Photographies de Paolo Woods, National Geographic

    « Il est quasiment impossible de distinguer l’un de l’autre », affirme-t-il. Toutefois, il ajoute que le mystère de l’identité de la personne ayant réalisé les dessins n’enlève rien à leur valeur, ni à l’importance de leur découverte.

    « C’est palpitant de se trouver dans cette pièce. Vous vous sentez privilégié, indique-t-il. Vous avez l’impression d’être plus près du processus de création d’un maître et plus près de ses élèves et de ses assistants. »

    La pièce suscite l’émotion chez ceux qui sont assez chanceux pour y pénétrer. À se tenir là, entre ses quatre murs faiblement éclairés par une petite fenêtre percée dans un coin, on aurait presque l’impression de regarder dans la tête de Michel-Ange, dont le talent inonde le bâtiment.

    « C’est quelqu’un qui avait une capacité infinie, fait observer William Wallace. Il a vécu jusqu’à l’âge de 89 ans et n’a jamais cessé de s’améliorer. »

    Gauche: Supérieur:

    Cette esquisse évoque la pose caractéristique de la statue d’Apollon-David, œuvre inachevée attribuée à Michel-Ange.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Woods, National Geographic
    Droite: Fond:

    Ce nu inachevé de Michel-Ange, appelé Apollon ou Apollon-David, date de 1530 environ. Cette sculpture de marbre, haute de 1.46 mètre, est conservée au musée national du Bargello, à Florence.

    PHOTOGRAPHIE DE Getty Images

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise, en avril 2017. Il a été mis à jour en novembre 2023.

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