Culture : comment est-on passé de Saint Nicolas au Père Noël ?

Connaissez-vous vraiment l’histoire de ce vieil homme rondelet et enjoué qui apporte des cadeaux ?

De Brian Handwerk
Publication 25 déc. 2023, 09:47 CET
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Le Père Noël n’a pas toujours été le vieil homme rondelet et enjoué que nous connaissons tous aujourd’hui.

PHOTOGRAPHIE DE ClassicStock, Corbis

N’importe quel enfant peut vous dire où vit le Père Noël : au Pôle nord. L’histoire de ce célèbre personnage est bien plus longue et fantastique que le voyage d’une journée qu’il entreprend chaque année autour du globe.

L’ancêtre du Père Noël moderne est né dans la région de la Méditerranée, à l’époque de l’Empire romain. Sa légende a ensuite gagné le nord de l’Europe, puis les côtes du Nouveau-Monde. Qui est l’ancêtre du Père Noël et quelles évolutions a-t-il subies au fil du temps ?

 

L’ENJOUÉ SAINT NICOLAS

Tous les ans, le 6 décembre, les catholiques célèbrent la Saint Nicolas dans le monde entier, les festivités les plus importantes ayant lieu dans les villes européennes. Nombreuses sont les représentations de Saint Nicolas, qui a vécu aux 3e et 4e siècles. Et pourtant, aucune ne le dépeint vraiment comme le vieil homme aux joues rouges et à la barbe blanche que l’on voit partout aujourd’hui. L’une des images les plus fidèles le représentant n’a pas été créée par des artistes il y a plusieurs siècles ; elle a été produite à l’aide d’une méthode scientifique moderne de reconstruction faciale.

Aujourd’hui encore, le lieu où reposerait la dépouille de l’évêque grec est source de débats parmi les spécialistes. L’histoire voudrait toutefois que les ossements de Saint Nicolas aient été volés par des marins italiens au 11e siècle et déposés dans la crypte de la Basilique de Saint Nicolas, sur la côte sud-est de l’Italie. Lors de travaux de réparation de la crypte menés dans les années 1950, le crâne et les ossements de l’évêque ont été radiographiés et mesurés sous toutes les coutures. 

Carole Wilkinson, anthropologue spécialiste des visages à l’université de Manchester, en Angleterre, s’est aidé de ces données et de simulations logicielles pour créer une reconstruction moderne du visage de l’homme. Grâce à cela, elle a pu mettre un visage sur l’homonyme original du Père Noël : un visage au nez cassé, sans doute le résultat des persécutions des Chrétiens sous l’empereur romain Dioclétien.

La Basilique de Saint Nicolas, située à Bari, en Italie, a été érigée au 11e siècle. Nombreux sont ceux qui pensent que la dépouille et les reliques sacrées de Saint Nicolas y reposent.

PHOTOGRAPHIE DE Mikhail Japaridze, TASS, Getty

Son travail est bien évidemment sujet à l’interprétation. Il a fallu déduire la taille et la forme des muscles faciaux qui recouvraient autrefois le crâne de Saint Nicolas, ainsi que recréer la forme du crâne lui-même à partir de données bidimensionnelles. Des artistes numériques sont venus peaufiner le tout, notamment en donnant un teint olivâtre (très courant chez les Grecs comme Saint Nicolas), des yeux marrons et les cheveux blancs d’un homme de 60 ans au saint.

« Nous avons sûrement perdu le niveau de détail qui aurait été obtenu si nous avions travaillé à partir de photographies, mais nous pensons que [ce portrait] est le plus réaliste possible », avait reconnu Carole Wilkinson dans le documentaire The Real Face of Santa (Le vrai visage du Père Noël) réalisé par BBC Two, qui portait sur le projet de l’anthropologue.

 

UN ÉVÊQUE QUI APPORTE DES CADEAUX

Comment Saint Nicolas est-il devenu cet habitant du Pôle nord apportant des cadeaux de Noël ? Le saint original est né en Grèce à la fin du 3e siècle après J.-C., vers l’an 280. Devenu l’évêque de Myre, une petite ville romaine située dans l’actuelle Turquie, Nicolas n’était ni rondelet ni joyeux. Il avait même acquis une réputation de fervent défenseur fougueux de la doctrine de l’Église lors de la Grande persécution en 303, époque au cours de laquelle les bibles étaient brûlées et les prêtres contraints de renoncer au christianisme s’ils ne voulaient pas être exécutés.

Faisant fi de ces édits, Nicolas a été emprisonné plusieurs années avant que l’empereur romain Constantin Ier mette un terme à la persécution des chrétiens en 313 avec l’édit de Milan. Et si sa renommée perdure depuis sa mort (le 6 décembre, vers l’an 343), c’est parce que l’homme est associé à une longue série de miracles. La vénération dont il fait encore l’objet à ce jour n’a rien à voir avec Noël.

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    Une icône religieuse représentant Saint Nicolas.

    PHOTOGRAPHIE DE ClassicStock, Corbis

    Nicolas n’est pas un saint comme les autres. Patron de divers groupes de personnes, il est le protecteur des orphelins aux marins, en passant par les prisonniers. Grâce à deux histoires, il est connu, vers l’an 1200, comme le patron des enfants, auquel il apporte des cadeaux, et comme un homme doté de pouvoirs magiques, explique Gerry Bowler, historien à l’université du Manitoba et auteur du livre intitulé Santa Claus: A Biography (Biographie du Père Noël).

    Le récit le plus connu raconte comment trois jeunes filles ont été sauvés de la prostitution grâce au jeune évêque Nicolas, qui avait secrètement déposé trois sacs remplis d’or à leur père endetté, à utiliser comme dot.

    « L’autre histoire, très connue au Moyen-Âge, ne l’est plus autant aujourd’hui », reconnaît l’historien. Elle raconte comment Nicolas, pressentant que quelque chose d’horrible s’était produit dans une auberge, est entré dans l’établissement et a ressuscité trois garçons que l’aubergiste venait de tuer, démembre, et mettre à mariner dans des tonneaux à la cave. « C’est l’une des raisons pour lesquelles il est devenu le saint patron des enfants », ajoute Gerry Bowler.

    De l’an 1200 à 1500, Saint Nicolas était le distributeur incontesté de cadeaux et la star de célébrations aux alentours du jour de sa fête, le 6 décembre. Ce personnage plutôt sévère évoque les premières divinités européennes, comme le dieu romain Saturne ou le dieu nordique Odin, dont il a repris la barbe blanche et les pouvoirs magiques, notamment la capacité à voler. Saint Nicolas veillait aussi à ce que les enfants rentrent dans le rang en récitant leurs prières et en obéissant.

    Cette illustration, réalisée en Allemagne vers 1910, est très particulière, puisqu’elle représente Saint Nicolas et le Père Noël (rarement dépeints ensemble) apportant des cadeaux à des enfants.

    PHOTOGRAPHIE DE Illustration via INTERFOTO, Alamy

    Avec la réforme protestante au 16e siècle, la popularité des saints comme Nicolas a régressé dans toute l’Europe du nord. « Cela posait problème, raconte Gerry Bowler, car les gens aimaient toujours leurs enfants, mais il n’y avait plus personne pour leur apporter des cadeaux ».

    Cette tâche est, dans de nombreux cas, revenue à l’enfant Jésus, poursuit l’historien. La date des célébrations a alors été déplacée du 6 au 25 décembre. « Mais le nourrisson ne pouvait pas porter grand-chose et il n’était pas non plus effrayant, explique Gerry Bowler. On lui a alors trouvé un assistant terrifiant pour traîner les cadeaux et menacer les enfants, quelque chose qui n’était pas approprié de la part de l’enfant Jésus ».

    Certains de ces terrifiants assistants germaniques s’inspiraient de Nicolas, mais n’avaient plus rien d’un saint : c’était notamment le cas de Ru-klaus (Nicolas le Sévère), Aschenklas (Nicolas couvert de cendres) ou encore Pelznickel (Nicolas l’hirsute). Tous devaient s’assurer que les enfants avaient été sages ; dans le cas contraire, ceux-ci étaient fouettés ou kidnappés. Aussi différents soient-ils du Père Noël, ces personnages hauts en couleur ont par la suite contribué au développement de l’homme en rouge lui-même.

     

    BIENVENUE EN AMÉRIQUE !

    Impossible pour les enfants et les familles néerlandaises de ne plus avoir Saint Nicolas pour apporter des cadeaux. Alors, ils ont emmené avec eux Sinterklaas dans les colonies du Nouveau-Monde, où les légendes des personnages germaniques effrayants et hirsutes apportant des cadeaux ont également perduré.

    À cette époque, Noël ne ressemblait en rien aux festivités que nous connaissons aujourd’hui. Il n’était pas célébré en Nouvelle-Angleterre et partout ailleurs, les Saturnales, des fêtes païennes, avaient repris leur place sur le calendrier. « C’était une sorte de gueuleton communautaire tapageur et alcoolisé qui avait lieu dans la rue, explique Gerry Bowler. En Angleterre aussi, on fêtait désormais Noël ainsi. Et il n’existait aucun personnage magique particulier pour apporter les cadeaux ».

    Tout a changé au début du 19e siècle, grâce à plusieurs poètes et écrivains qui se sont efforcés de faire de Noël une fête de famille, en faisant renaître Saint Nicolas de ses cendres.

    Dans son livre intitulé Knickerbocker’s History of New York (Une Histoire de New York racontée par Dietrich Knickerbocker), Washington Irwing dépeint pour la première fois Saint Nicolas comme un fumeur de pipe zigzaguant dans le ciel à bord d’un chariot volant pour apporter des cadeaux aux enfants sages et des triques à ce qui avaient été vilains.

    En 1821, un poème illustré anonyme intitulé « The Children’s Friend » (L’ami des enfants) va plus loin en donnant forme au Père Noël moderne et en l’associant à Noël. « Nous avons enfin quelque chose qui ressemble au Père Noël, décrit Gerry Bowler. Ils ont pris Saint Nicolas et l’ont dépouillé de tous ses signes religieux, mais ils ont conservé son pouvoir magique de distribution de cadeaux et l’ont vêtu des fourrures des personnages germaniques hirsutes ».

    Ce bonhomme apportait des cadeaux aux enfants qui avaient été sages, mais il avait aussi une baguette en bouleau, peut-on lire dans le poème, qui « ordonnait à la main d’un parent de l’utiliser si leurs fils refusaient de rester sur le chemin de la vertu ». À l’époque, seul un renne tirait le petit chariot du Père Noël, quelque chose qui n’allait pas tarder à changer.

    En 1822, Clement Clarke Moore écrit pour ses six enfants, sans la moindre intention de contribuer au phénomène du Père Noël, « A Visit from St. Nicholas », plus connu aujourd’hui sous le titre « The Night Before Christmas » (La nuit de Noël). L’année suivante, le poème est publié anonymement et depuis, le Père Noël rondelet et joyeux qui y est dépeint conduisant un traîneau tiré par huit rennes.

    « Il a fait le buzz », analyse l’historien. Mais aussi familier ce poème soit-il, il laisse beaucoup de place à l’imagination. Si bien qu’au 19e siècle, le Père Noël a porté des tenues de toutes les couleurs, a été minuscule puis gigantesque, et a changé d’apparence plus d’une fois. « J’ai cette formidable illustration du Père Noël qui ressemble à George Washington en train de voler sur un balai », confie Gerry Bowler.

    Mais ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que l’image du Père Noël devient celle que nous connaissons tous aujourd’hui : un adulte de taille normale, habillé de vêtements de couleur rouge comportant un liseré de fourrure blanche, qui quitte le Pôle nord à bord d’un traîneau tiré par des rennes et veille à ce que les enfants soient sages.

    Le visage rond bienveillant et souriant du Père Noël a été en grande partie créé par Thomas Nast, l’un des plus grands caricaturistes politiques de son époque. « Mais Nast a continué de le représenter comme un homme de petite taille portant des caleçons longs qui étaient, je trouve, plutôt indécents », observe l’historien.

    Le Père Noël, caricature de Thomas Nast datant des années 1880.

    PHOTOGRAPHIE DE Illustration by Thomas Nast, North Wind Picture Archives, Alamy

    Une fois bien implanté en Amérique du Nord, le Père Noël est retourné en Europe, remplaçant les effrayants personnages qui apportaient alors des cadeaux aux enfants. « Pour résumer, il a apprivoisé ces personnages datant du Moyen-Âge qui semblaient sortir tout droit des contes des frères Grimm », explique Gerry Bowler.

     

    UN PÈRE NOËL PROBLÉMATIQUE ?

    Malgré ses bonnes intentions, le Père Noël a suscité, et continue de susciter, la controverse.

    En Russie, le Père Noël s’est ainsi attiré les foudres de Joseph Staline. Avant la révolution russe, Ded Moroz (le Grand-père Gel) était un personnage apprécié des fêtes de Noël, qui ressemblait en certains points aux premiers Pères Noël comme le néerlandais Sinterklaas. « Lorsque l’Union soviétique s’est formée, les communistes ont aboli les fêtes de Noël et les personnages qui apportaient des cadeaux », explique Gerry Bowler.

    « Dans les années 1930, Staline, qui avait besoin du soutien de la population, a autorisé la réapparition du Grand-père Gel pour qu’il distribue des cadeaux, non pas à Noël, mais au Nouvel an », poursuit l’historien. Les tentatives de déplacer le jour de Noël en Russie ont finalement échoué, tout comme celles des Soviétiques de diffuser dans toute l’Europe une version profane du Grand-père Gel, vêtu d’un manteau bleu pour éviter toute confusion avec le Père Noël.

    « Partout où les Soviétiques allaient après la Seconde Guerre mondiale, ils essayaient de remplacer les personnages locaux qui apportaient des cadeaux, notamment en Pologne et en Bulgarie, remarque Gerry Bowler. Les locaux ont pris sur eux et à l’effondrement de l’URSS en 1989, ils ont renoué avec leurs traditions ».

    Le Père Noël reste politisé dans le monde entier. Les troupes américaines ont diffusé aux quatre coins du globe leur version de l’homme jovial dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci était généralement perçu comme un symbole de la générosité américaine dans la reconstruction des zones détruites par la guerre.

    De nos jours cependant, de nombreux pays affichent une certaine hostilité envers le Père Noël, qu’ils considèrent comme une construction profane, loin de la religion. Il arrive aussi que le Père Noël ne soit pas toléré en raison de ses origines. « Dans des endroits comme la République tchèque, les Pays-Bas, l’Autriche et l’Amérique latine, l’opposition contre le Père Noël est très forte, car les habitants essaient de préserver leurs personnages et leurs traditions de ce bonhomme venu d’Amérique du Nord », explique l’historien.

    Pas de quoi mettre un terme à l’intérêt croissant pour le Père Noël. Mais le vieil homme vêtu de rouge pourrait bien avoir quelques arrêts en moins à faire le soir de Noël.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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