Hamnet Shakespeare : ce que les historiens savent de son triste destin

Bien que l’on en sache peu sur la vie de l’unique fils de William Shakespeare, les historiens affirment que sa mort prématurée aurait forgé les œuvres les plus connues du dramaturge.

De Parissa DJangi
Publication 1 déc. 2025, 16:11 CET
Cette illustration montre William Shakespeare qui récite sa pièce, Hamlet, pour sa famille. Son fils, Hamnet, ...

Cette illustration montre William Shakespeare qui récite sa pièce, Hamlet, pour sa famille. Son fils, Hamnet, se tient au-dessus de son épaule gauche et écoute. La pièce n’a cependant été écrite qu’après sa mort.

PHOTOGRAPHIE DE history_docu_photo, Alamy Stock Photo

Roméo et Juliette, Le Roi Lear, Hamlet, William Shakespeare a écrit certaines des plus belles tragédies de l'histoire de la littérature. Sa vie a elle aussi été marquée par un drame : la mort de son fils âgé de onze ans, Hamnet.

Il n’existe que peu de traces écrites sur son fils. « On connaît trois faits simples sur Hamnet », explique Edel Semple, maître de conférences et spécialiste de Shakespeare au sein de l’université publique irlandaise University College Cork. « Il a été baptisé le 2 février 1585, avait une sœur jumelle, et a été enterré le 11 août 1596. »

En revanche, entre 1585 et 1596, Hamnet Shakespeare a vécu de façon brève et ordinaire. Qu’ont donc conclu les experts sur Hamnet, selon les connaissances qu’ils avaient de la famille Shakespeare et des conditions de vie de l’époque ?

Peinture de Stratford-upon-Avon montrant l’église de William Shakespeare, l’église de la Sainte-Trinité, en arrière-plan.

Peinture de Stratford-upon-Avon montrant l’église de William Shakespeare, l’église de la Sainte-Trinité, en arrière-plan.

PHOTOGRAPHIE DE Look and Learn, Valerie Jackson Harris Collection, Bridgeman Images

 

QUE SAIT-ON DE LA VIE D’HAMNET ?

Anne Shakespeare, la femme de William Shakespeare, a donné naissance à Hamnet et à sa sœur jumelle, Judith, quelque temps avant le 2 février 1585, jour de leur baptême en l’église de la Sainte-Trinité de Stratford-upon-Avon, en Angleterre.

La date de naissance précise des jumeaux n’apparaît dans aucun document qui nous soit parvenu. Daniel Swift, professeur associé d’anglais de l’université Northeastern London, explique que c’est « complètement normal pour l’ère élisabéthaine », qui considérait les baptêmes comme étant « plus importants » que les naissances.

Le pâtissier Hamnet Sadler, ami d’enfance de Shakespeare, et sa femme, Judith, étaient des voisins de la famille. Les experts pensent que le prénom du fils du dramaturge serait un hommage à cet ami de longue date.

Les jumeaux, ainsi que leur sœur aînée, Susanna, habitaient la maison familiale de Henley Street, maison natale de Shakespeare, aujourd’hui ouverte au public. « La demeure aurait été animée », commente Daniel Swift, avec trois enfants, leur mère, leur tante et leurs grands-parents.

Dans le quotidien de la famille, une personne manquait bien souvent à l’appel : William Shakespeare semblait se trouver fréquemment à Londres, à près de 160 kilomètres de Straford.

Anne Shakespeare était beaucoup plus présente dans la vie de ses enfants. C’est elle qui « aurait été avec [Hamnet] pendant toute sa vie à Stratford », atteste Katherine Scheil, professeure d’anglais de l’université du Minnesota et grande spécialiste de la vie d’Anne Shakespeare.

« Nous avons de nombreuses traces de la vie d’Anne Shakespeare en tant que mère », ajoute-t-elle. Elle prend pour exemple l’épitaphe en latin que ses enfants encore en vie ont fait graver sur sa tombe et qui la désignait comme un « don du ciel ».

Katherine Scheil et Daniel Swift pensent qu’Hamnet aurait suivi des cours à la King’s New School, l’école de grammaire gratuite de Stratford, dès ses sept ans. Les historiens n’ont toutefois découvert aucun document le prouvant. Et pourtant, beaucoup pensent qu’il s’agirait également de la même école où le jeune William Shakespeare aurait été scolarisé. Et la position de la famille Shakespeare dans la société rendait probable une telle éducation pour Hamnet.

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    Peinture à l’huile de 1842 de l’artiste irlandais Daniel Maclise, montrant une scène de la pièce de Hamlet.

    PHOTOGRAPHIE DE Roy Miles Fine Paintings, Bridgeman Images

     

    COMMENT EST MORT HAMNET SHAKESPEARE ?

    Les experts savent, grâce aux actes d’inhumation de l’église de la Sainte-Trinité, qu’Hamnet est mort au cours de l’été 1596. Les causes de sa mort demeurent toutefois un mystère. Cela n’a pas empêché les experts et les personnes à l’imagination débordante de combler ce que Katherine Scheil appelle le « vide biographique » de la vie d’Hamnet.

    Daniel Swift pense que le jeune garçon serait mort « de la peste [bubonique] », étant donné que les pestes en Angleterre étaient plus virulentes à la fin de l’été, à peu près au moment de sa mort. Cette théorie est soutenue par celle de Stephen Greenblatt, spécialiste de Shakespeare, qui pense qu’une maladie aurait pu avoir raison de l’unique fils du dramaturge. Stephen Greenblatt fait partie des plus grands spécialistes de Shakespeare du monde, et est l’un des principaux experts de son œuvre et de la littérature de la Renaissance. Ce n’est d’ailleurs pas une théorie si improbable, car les maladies étaient les premières causes de morts infantiles au 16e siècle.

    Le jeune Hamnet pourrait toutefois avoir été victime d’un accident, comme le suggère le scénariste Ben Elton dans son film de 2018, All Is True, dans lequel il imagine sa mort par noyade.

    Le film All Is True et Hamnet, un roman écrit par Maggie O’Farrell, dans lequel Hamnet meurt cette fois-ci de maladie, comblent les lacunes de la vie de Shakespeare grâce à l’imagination et à l’interprétation de son œuvre, relève Edel Semple.

    Les funérailles d’Hamnet eurent lieu le 11 août 1596 en l’église de la Sainte-Trinité. Selon les pratiques de l’époque, les experts pensent qu’Hamnet n’aurait pas été enterré dans un cercueil. C’était un luxe réservé aux familles riches.

    Aucune trace ne montre que William Shakespeare ait été présent aux funérailles. Dans son ouvrage paru en 2005, le spécialiste de Shakespeare, James Shapiro, écrit qu’il aurait reçu la nouvelle de la mort de son fils trop tard pour se rendre à Stratford à temps pour son enterrement. En effet, la troupe de Shakespeare était en tournée cet été-là.

    Daniel Swift, à l’inverse, admet qu’« il est possible que Shakespeare ait été présent » aux funérailles, car les théâtres de Londres étaient fermés de juillet à octobre 1596 à cause d’une épidémie de peste.

    « Shakespeare », selon l’école anglaise de peinture.
    Hamlet, prince du Danemark, se tient dans un cimetière. Il a dans sa main le crâne ...
    Gauche: Supérieur:

    « Shakespeare », selon l’école anglaise de peinture.

    PHOTOGRAPHIE DE Look and Learn, Bridgeman Images
    Droite: Fond:

    Hamlet, prince du Danemark, se tient dans un cimetière. Il a dans sa main le crâne de Yorick, le fou du roi décédé. Dans cette fameuse scène d’exhumation de la pièce de William Shakespeare, Hamlet, Hamlet songe à la mort avec Horatio.

    PHOTOGRAPHIE DE Stock Montage, Getty Images

     

    COMMENT SHAKESPEARE A-T-IL FAIT LE DEUIL DE SON FILS ?

    Sans preuve concrète, Edel Sempel déclare qu’« on ne peut que spéculer » sur les conséquences qu’a eu la mort d’Hamnet sur la famille Shakespeare.

    Selon Katherine Scheil, « on a des difficultés à concevoir qu’un auteur aussi habile à saisir le spectre des émotions humaines ait pu rester insensible à la perte de son seul fils ».

    James Shapiro rejoint cet avis. Dans son ouvrage A Year in the Life of William Shakespeare: 1599, qui n’a pas été traduit en français, il écrit : « Shakespeare ne connaissait peut-être que très peu son fils, mais cela ne veut pas dire que sa mort ne l’a pas profondément affecté ».

    Dans The Private Life of William Shakespeare, qui n’a pas été traduit en français, l’experte Lena Cowen Orlin pense que le testament du dramaturge portait possiblement « la marque d’un deuil silencieux ». Certaines de ses possessions, comme une épée, auraient pu aller à Hamnet s’il avait survécu à son père.

    On s’attendait à ce que Shakespeare affiche son deuil, mais sans trop en faire. Selon l’historien Ralph Anthony Houlbrooke, les Anglais de l’époque élisabéthaine percevaient le deuil excessif comme une « expression débridée des émotions ». Cela révélait chez la personne un « manque de foi, de raison et de maîtrise de soi, ou même d’une indiscipline perverse ».

    Mais ce que nous savons avec certitude, c’est que la vie de la famille Shakespeare a continué. Les sœurs d’Hamnet ont grandi et ont elles-mêmes fondé une famille. Sa mère est morte à l’âge de soixante-sept ans, et son père a écrit quelques-unes de ses œuvres les plus célèbres.

     

    LA MORT D’HAMNET A-T-ELLE INFLUENCÉ L’ŒUVRE DE SON PÈRE ?

    Katherine Scheil aborde la question avec précaution : « Nous n’avons aucun moyen de savoir à quel moment la vie personnelle de Shakespeare se déversait dans ses œuvres littéraires, et à quel moment il usait de son imagination. »

    Pourtant, il n’est pas difficile de voir une forte similitude entre le nom « Hamnet » et le prince éponyme de la pièce Hamlet. Pour Stephen Greenblatt, les deux noms étaient « virtuellement interchangeables » à l’époque. Selon la Folger Shakespeare Library, le dramaturge aurait écrit sa tragédie Hamlet entre 1599 et 1601. La pièce, écrite environ trois à cinq ans après la mort d’Hamnet, ne traite certes pas de la mort d’un fils, mais les thèmes de la mort et du deuil y apparaissent.

    Stephen Greenblatt, lui, interprète la fameuse réplique de la pièce, « Être ou ne pas être », comme une fenêtre s’ouvrant sur le deuil de Shakespeare. Cela suggérerait que « ces pensées suicidaires, engendrées par la mort d’un être cher, se trouvent au cœur de la tragédie de Shakespeare » et « pourraient très bien avoir été à l’origine du propre mal-être de l’auteur ».

    Les experts ont également interprété un passage du Roi Jean, que Shakespeare écrivait juste au moment de la mort de son fils. Ils y voyaient une preuve de son déchirement. Une mère qui a perdu son fils s’exclame : « La douleur occupe la place de mon fils absent ».

    Edel Sempel va plus loin et avance que « le traumatisme de la perte d’un enfant est un élément central des quatre romances de Shakespeare », qui incluent La Tempête, Périclès, prince de Tyr, Le Conte d’hiver et Cymbeline.

    « Dans ses romances, Shakespeare imagine encore et encore des familles qui ont vécu la perte, la souffrance et des années de séparation. À la fin, elles sont réunies, réconciliées et vivent une joie renouvelée, tout en regardant l’avenir avec espoir », déclare Edel Sempel.

    Une réunion de la sorte attendait Shakespeare. Après avoir pris sa retraite en 1613, il est retourné à Stratford, où sa femme et ses filles vivaient encore, et où son fils reposait. À sa mort, le 25 avril 1616, William Shakespeare a été enterré dans la même église qu’Hamnet.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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