Meroë Marston Morse, la visionnaire qui a fait du Polaroid un objet culturel

Étudiante en histoire de l’art, Meroë Marston Morse a transformé la société d’appareils photo en une marque encore appréciée des photographes aujourd’hui.

De David M. Barreda
Publication 2 août 2025, 09:11 CEST
Meroë Marston Morse

Quelques semaines après avoir obtenu son diplôme du Smith College, Meroë Marston Morse a rejoint Polaroid et est rapidement devenue l’une des dirigeantes les plus visionnaires de la société. Elle est ici vue sur une photographie test prise par l’équipe du laboratoire Polaroid dans les années 1940.

PHOTOGRAPHIE DE Polaroid Corporation records, Baker Library, Harvard Business School

Le Polaroid, cet appareil photo iconique a ouvert les portes de la photographie à des millions de personnes dans les années 1940. Toutes pouvaient devenir photographes en appuyant sur un bouton et les photos se développaient sous leurs yeux.

À une époque où les innovations dans le milieu de la photographie n’étaient menées que par des hommes, Polaroid se démarquait déjà. Durant son passage relativement court au sein de la société, une jeune étudiante en histoire de l’art du nom de Meroë Marston Morse compta parmi ses plus grands visionnaires. Elle est même devenue directrice de la division spéciale de recherches photographiques, et dix-huit brevets portent son nom. 

Aujourd'hui éditeur photo senior pour National Geographic, j’ai toujours aimé la photographie. Enfant, je me souviens que je regardais les membres de ma famille se servir de Polaroid pour capturer les petits moments de notre vie en vacances, tandis que j’utilisais un appareil Nikon avec une pellicule 35 mm. Mais quand un ami photographe m’a montré comment me servir d’un cure-dents pour pousser les colorants d’un Polaroid en plein développement, donnant un résultat plus impressionniste, qui s’approchait d’une peinture, je suis devenu fan.

Je connais bien l’histoire de Polaroid et de son fondateur, Edwin Land. Mais lorsque j’ai, récemment, lu le nom de Morse, je suis devenu intrigué et j’ai voulu en savoir plus sur le rôle qu’elle a joué au cours des vingt ans qu’elle a passés dans l’entreprise.

 

UNE NOUVELLE ENTREPRISE D’APPAREILS PHOTO

Meroë Marston Morse a rejoint Polaroid en 1945, juste après avoir obtenu son diplôme du Smith College, où elle y avait étudié l’histoire de l’art auprès de Clarence Kennedy. Ami et associé d’Edwin Land, Kennedy recommandait souvent ses meilleurs élèves afin qu’ils puissent travailler au sein de l’entreprise.

Le scientifique américain et inventeur Edwin Herbert Land fait la démonstration de son appareil photo instantané ...

Le scientifique américain et inventeur Edwin Herbert Land fait la démonstration de son appareil photo instantané ou Land Camera, fabriqué par Polaroid, autour de 1947.

PHOTOGRAPHIE DE Sam Falk, The New York Times, Redux

Aux yeux de Land, Meroë Marston Morse est devenue « une âme sœur, une collègue de travail, une protectrice », écrit Victor K. Kennedy dans sa biographie d’Edwin Land, Insisting on the Impossible. Elle n’a pas eu besoin qu’on lui explique la méthode Polaroid : « émettre une hypothèse, tester l’hypothèse, modifier l’hypothèse, tester par une autre expérience, un train séquentiel à grande vitesse où plusieurs hypothèses et expériences sont proposées chaque heure », une citation d’un des inventeurs de la société, comme enregistrée par McElheny.

Quelques courts mois après son arrivée, Meroë Marston Morse était en charge de la division des pellicules noir et blanc, où elle a mené son équipe à travers les services tout au long de la journée alors que la société faisait une transition et passait des photos sépias monochromes à des pellicules noir et blanc.

Ce processus s’accompagnait de son lot de défis. Non seulement les cristaux situés dans les zones les plus sombres d’une photo réfléchissaient la lumière, mais le papier qu’ils utilisaient absorbaient les empreintes de doigts facilement. Et, peut-être le pire, certaines photos s’effaçaient après quelques mois. Chris Bonanos, dont le livre Instant documente l’histoire de l’entreprise d’appareil photo, écrit que Land décrivait la création de la pellicule noir et blanc comme une « des choses les plus compliquées qu’a réalisées Polaroid ».

Et la jeune femme se trouvait au cœur de tout, comme me l’ont confié les anciens employés de Polaroid John et Mary McCann, lors d’un entretien téléphonique récent. L’équipe de Morse analysait au fur et à mesure de minuscules variations d’une exposition standard, expliquait Mary, et Morse elle-même « avait l’œil pour déceler les différences » grâce à son enseignement en histoire de l’art. « Land et elle sont partis de ces premières expériences en laboratoire jusqu’à vendre les pellicules et récolter des milliards de dollars », ajoute John.

 

L’UNION DE LA SCIENCE ET DE L’ART

John McCann m’a confié que le temps qu’il a passé chez Polaroid lui rappelait la Renaissance, quand « les meilleurs scientifiques étaient les meilleurs peintres et qu’ils faisaient tout ». Les artistes de Polaroid valorisaient la science et les expériences et leurs perspectives comptaient tout autant que celles de chimistes entraînés.

Au sein du laboratoire de Meroë Marston Morse, les scientifiques étaient dédiés à la création de technologies qui seyaient aux artistes. Elle était l’agente de liaison entre les scientifiques et les photographes qui servaient de consultants à l’entreprise. Elle a ainsi construit des relations avec le photographe de talent Minor White, la pionnière de la photo en couleur Marie Cosindas et le photographe paysager Ansel Adams.

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    A portrait of US photographer Ansel Adams

    Le photographe Ansel Adams était un consultant pour Polaroid à plus d’un égard. Dans une lettre adressée à Morse en 1953, il se plaignait des publicités de l’entreprise, qu’il disait « servir à mettre l’accent sur l’usage amateur et relâché de l’appareil et des processus qui ont, je pense, minimisé les aspects les plus importants. La plupart des gens le considèrent presque comme un jouet. »

    PHOTOGRAPHIE DE Emmanuel Dunand, AFP, Getty Images

    Ansel Adams était déjà un photographe bien établi, adepte du format large, noir et blanc, quand il a commencé son rôle de consultant pour Polaroid en 1948. Sa photo Monolith, the Face of Half Dome, Yosemite National Park, prise en 1927 lui avait permis de se faire un nom dans le milieu de la photographie. Pourtant, Adams était très intéressé par la technologie de Polaroid, surtout par les appareils photos et les pellicules noir et blanc que Meroë Marston Morse développait. Ils étaient en contact presque constamment.

    Ansel Adams a aidé à établir un processus que les photographes sur le terrain utilisaient afin de s’évaluer, bien avant l’avènement de l’appareil photo numérique. Il prenait un cliché grâce à un Polaroid pour tester la composition et l’exposition d’une image avant de la capturer sur pellicule.

     

    UN HÉRITAGE

    Morse a succombé à un cancer en 1969, alors âgée de quarante-six ans, avant que Polaroid ne devienne une marque internationale et un élément culturel d’importance, avant la folie de l’appareil jetable et bien avant que Polaroid ne dépose le bilan en 2001.

    Dans une note adressée à toute la société pour annoncer son décès, le directeur de Polaroid, Richard Young a écrit : « À ceux qui ont connu et aimé Meroë, nos vies s’en sont trouvées enrichies et agrandies. Sa gentillesse, sa sensibilité et son intérêt pour tous n’avaient d’égal que sa générosité. »

    Dans les années 1970 et 1980, d’autres entreprises d’appareils photo ont commencé à imiter l’approche de photographie immédiate et l’esthétique de Polaroid. À la fin des années 2000, les photographes du monde entier ont dû faire leur deuil quand les dernières pellicules de Polaroid ont expiré après la faillite de la société.

    « 9-Part Self Portrait » (Autoportrait en neuf parties) un collage de photos Polapan grand format de l’artiste ...

    « 9-Part Self Portrait » (Autoportrait en neuf parties) un collage de photos Polapan grand format de l’artiste Chuck Close, est exposé à Sotheby’s durant un aperçu de la collection Polaroid, une collection splendide de photographes que Land a lancée dans les années 1940. Morse a été la clé pour établir les relations de la société avec les artistes de la collection.

    PHOTOGRAPHIE DE Emmanuel Dunand, AFP, Getty Images

    Mais au début de l’année 2008, alors que les dernières usines fermaient, les fans de Polaroid, Florian « Doc » Kaps et André Bosman ont récolté plus d’un million de dollars pour sauver les usines, les pellicules et, plus important que tout, les connaissances en chimie de la société. Ils sont finalement parvenus à ramener Polaroid sur le marché.

    Aujourd’hui, dans un monde où la photographie numérique est reine, l’esprit que Meroë Marston Morse et les autres ont insufflé dans la société perdure chez les photographes du monde entier.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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