Une ancienne branche du Nil aurait autrefois longé les pyramides égyptiennes

Disparue depuis des millénaires, la "branche d'Ahramat" aurait été utilisée par les Égyptiens pour transporter les matériaux nécessaires à la construction des pyramides, et pourrait ainsi expliquer le choix de l'emplacement de ces monuments antiques.

De Tom Metcalfe
Publication 21 mai 2024, 11:14 CEST
Des enfants promènent à dos d'âne près de la pyramide à degrés de Djéser à Saqqarah, ...

Des enfants promènent à dos d'âne près de la pyramide à degrés de Djéser à Saqqarah, en Égypte. Construite vers 2650 avant notre ère, à une époque où le Nil était suffisamment « calme » pour permettre la navigation, cette dernière est considérée comme la plus ancienne pyramide d'Égypte.

PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, Nat Geo Image Collection

De nos jours, les pyramides de Gizeh se dressent au milieu d’un paysage désertique, rempli de sable et de roche, à des kilomètres des rives luxuriantes du plus long fleuve du monde.

Bien que leur emplacement actuel, isolé du reste de l’Égypte, renforce leur image de reliques majestueuses d’un royaume disparu, il n’en a en réalité pas toujours été ainsi. En effet, selon une nouvelle étude, ces monuments emblématiques se trouvaient autrefois tout près d’une branche importante du Nil, très utilisée par les bateaux pour le transport de matériaux de construction.

« Nous pensons qu’il s’agissait de l’équivalent d’une autoroute en Égypte antique », explique la géomorphologue Eman Ghoneim, professeure à l’Université de Caroline du Nord à Wilmington.

 

LA BRANCHE DISPARUE DU NIL

Trente-et-une pyramides construites entre les 27e et 18e siècles avant notre ère, soit sur une période de près de 1 000 ans, se tiennent aujourd’hui le long du plateau du désert occidental de l’Égypte. Les chercheurs pensent depuis longtemps que, lors de leur construction, ces édifices se trouvaient tout près d’une branche désormais asséchée du Nil, et des études antérieures avaient permis de révéler des preuves de la présence d’un ancien cours d’eau sur différents sites.

Le géomorphologue Eman Ghoneim étudie la topographie de surface de la section de la branche d'Ahramat située en face des pyramides et du Sphinx de Gizeh.

PHOTOGRAPHIE DE Eman Ghoneim

Ghoneim et ses collègues sont toutefois les premiers à cartographier une partie du cours de cette branche, un travail qui leur a permis de découvrir que celle-ci était bien plus imposante qu’ils ne le pensaient.

Leur étude, publiée ce jeudi 16 mai dans la revue Communications Earth & Environment, décrit la découverte, grâce à l’œil aguerri de Ghoneim, de la branche sur des photographies satellites, ainsi que la vérification géophysique de son cours.

Ce travail d’experts a donné lieu à la conception d’une carte représentant une portion de 65 kilomètres de la branche disparue, s’étendant de la cité de Licht, située à environ 50 kilomètres au sud du Caire, au site des pyramides de Gizeh.

Seul un petit morceau subsiste encore aujourd’hui, connu sous le nom de canal de Bahr el-Libeini, près des pyramides d’Abousir. Pourtant, cette branche du Nil mesurait autrefois près de 1 kilomètre de large par endroits, et atteignait parfois les 25 mètres de profondeur. L’équipe à l’origine de l’étude a décidé de la baptiser « branche d’Ahramat », en référence au mot arabe signifiant « pyramides ».

 

DONNÉES SATELLITAIRES

C’est il y a environ deux ans que Ghoneim, qui a grandi en Égypte, a observé pour la première fois des traces de la branche d’Ahramat sur des photographies satellites multispectrales, qui permettent de capturer des données dans des longueurs d’onde invisibles à l’œil nu. Elle a également examiné des modèles numériques d’élévation extraits des données radar satellitaires afin de déterminer l’altitude des éléments du paysage et d’identifier des anomalies.

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    L'équipe de recherche organise les échantillons de sol prélevés dans la branche « perdue » du Nil.

    PHOTOGRAPHIE DE Eman Ghoneim

    Grâce à sa formation en géomorphologie, l’étude des processus qui façonnent et transforment les paysages, Ghoneim a pu identifier les signes du cours d’eau disparu, désormais recouvert par les sables du désert et par plusieurs siècles de développement agricole.

    Les données satellitaires comme celles-ci étant relativement récentes, il semblerait que ce soit la première fois qu’une portion significative de la branche disparue du fleuve est identifiée.

    « La branche elle-même, et donc sa largeur, sa profondeur, sa longueur et sa proximité avec les champs de pyramides, est une découverte inédite », commente Ghoneim.

     

    LE NIL SAUVAGE

    Les égyptologues ont établi une chronologie approximative des premiers développements humains dans la vallée du Nil.

    Il y a environ 12 000 ans, en raison de l’élévation du niveau de la mer après la dernière phase de la dernière période glaciaire, les déserts de la région se transformèrent en environnements comparables à des savanes.

    Il y a entre 12 000 et 5 000 ans, une période parfois qualifiée de « Nil sauvage », une grande partie de la vallée du Nil était devenue inhospitalière du fait du niveau élevé des eaux et de l’environnement marécageux, révèle Judith Bunbury, géoarchéologue à l’Université de Cambridge, qui n’était pas impliquée dans la dernière étude.

    Ce n’est qu’après cette période que les humains commencèrent à pénétrer dans la vallée du Nil, peut-être pour pêcher, selon l’experte. Vers 2700 avant notre ère, les différentes branches du Nil étaient devenues suffisamment calmes et utilisables pour permettre la fondation de l’Ancien Empire égyptien, même si des inondations généralisées étaient encore fréquentes.

     

    LA CONSTRUCTION DE PYRAMIDES

    Selon Ghoneim, la branche d’Ahramat était probablement une voie navigable importante à l’époque de l’Ancien Empire, jusqu’à environ 2200 avant notre ère ; en savoir plus sur son cours devrait aider les archéologues à cibler et à protéger certains sites culturels importants.

    Cette branche du Nil aurait permis aux bateaux de transporter les matériaux nécessaires à la construction des nombreuses pyramides qui virent le jour à cette époque. « Les anciens Égyptiens avaient besoin d’une grande voie navigable pour transporter les matériaux de construction très lourds et les ouvriers vers les sites des pyramides », explique Ghoneim. « Ils utilisèrent donc cette branche comme une autoroute. »

    Ce relief en pierre de l'Égypte antique représente deux pêcheurs et leur prise. Les poissons pêchés dans le Nil permettaient peut-être de nourrir les ouvriers travaillant sur la construction des pyramides.

    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, Nat Geo Image Collection

    Dans certains cas, la branche d’Ahramat ne passait qu’à quelques centaines de mètres des pyramides elles-mêmes, dont un grand nombre étaient reliées par des chaussées à des temples situés sur les rives de l’ancien affluent, qui servaient peut-être de ports.

    L’étendue de la branche d’Ahramat, révélée au fil des mois de prospections géophysiques et d’échantillonnages de sol réalisés à des endroits précis, a pour le moins surpris les chercheurs.

    En moyenne, elle dépassait les 400 mètres de largeur, et comme l’étude le suggère, s'élargissait peut-être à l’extrémité nord pour former un bras de mer non loin de Gizeh.

    « C’est une grande branche, d’une largeur similaire à celle du Nil actuel », décrit Ghoneim. « Et sa proximité avec les sites des pyramides indique qu’elle constituait une voie navigable fonctionnelle et très importante durant l’Égypte antique. »

     

    UNE VOIE À DOUBLE SENS

    La quasi-totalité de la branche d’Ahramat a désormais disparu. Selon l’étude, elle aurait commencé à se déplacer vers l’est et à s’ensabler vers 2000 avant notre ère, peut-être à cause de l’activité géologique, mais aussi des vents, qui transportaient le sable depuis le désert occidental.

    Les chercheurs ont constaté que les pyramides construites au cours du Moyen Empire égyptien, entre 2040 et 1780 avant notre ère environ, étaient installées plus à l’est que les pyramides de l’Ancien Empire, probablement pour être plus proches de la branche d’Ahramat tandis que celle-ci se déplaçait vers l’est.

    Toutefois, selon Bunbury, le processus d’ensablement fut peut-être aggravé par les activités de construction des pyramides, et put donc commencer encore plus tôt, vers 2500 avant notre ère.

    À cette époque, la Mastaba de Chepseskaf, qui est un tombeau à toit plat, plutôt qu’une pyramide complète, fut établie entre Saqqarah et Dahchour. La diminution de la branche d’Ahramat pourrait expliquer pourquoi sa construction fut précipitée : « Le travail s’avéra un peu minimal, car le transport par les voies navigables était devenu plus difficile », suggère Bunbury.

    Hader Sheisha, palynologue à l’Université d’Aix-Marseille, qui n’était pas non plus impliquée dans l’étude, a examiné d’anciennes preuves environnementales indiquant la présence d’une branche fluviale tout près de Gizeh, qui pourrait correspondre à la branche d’Ahramat.

    Par ailleurs, la taille et la profondeur de la branche d’Ahramat remettent en question certaines théories existantes, comme celle qui suggère que le cours d’eau qui permettait le transport de marchandises jusqu’aux sites des pyramides était étroit et peu profond sur toute sa longueur, et était donc probablement surchargé de bateaux, telle une autoroute encombrée. En réalité, selon Ghoneim, la branche d’Ahramat aurait été suffisamment large pour permettre la circulation des bateaux dans les deux sens.

    Vue aérienne de la pyramide à degrés de Djéser, qui se trouve aujourd'hui dans le désert, à proximité de champs irrigués.

    PHOTOGRAPHIE DE Kenneth Garrett, Nat Geo Image Collection

    Pour la prochaine étape de l’étude, l’équipe s’attèlera à la datation au radiocarbone des restes de plantes et de coquillages retrouvés dans les sédiments enfouis. Cela permettra de déterminer les évolutions de la branche d’Ahramat au cours de sa période d’utilisation, mais aussi pour continuer à cartographier la voie navigable vers le nord et le sud, au-delà de ses 65 kilomètres bordant les pyramides.

    « Cette partie de la branche se trouve dans le nord de l’Égypte. Il nous reste encore à étudier la Moyenne-Égypte et le sud de l’Égypte », explique Ghoneim. « Nous allons élargir notre analyse pour déterminer où cette branche commençait, probablement près de la frontière avec le Soudan. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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