Égypte antique : le papyrus servait aussi de protection hygiénique

Les différentes façons de gérer le sang menstruel au cours des millénaires en disent long sur nos sociétés et sur la stigmatisation qui persiste autour de la menstruation.

De Jude Coleman
Publication 2 déc. 2023, 14:54 CET

Ce hiéroglyphe en grès datant de 2250 avant J.-C. représente la déesse Isis, son fils et le dieu Hathor (tout à gauche). Des preuves démontrent que les Égyptiens utilisaient du papyrus pour gérer leur flux menstruel.

PHOTOGRAPHIE DE Leemage, Corbis, Getty Images

En Égypte ancienne, le papyrus, une plante semblable à de l’herbe, était utilisé une fois ramolli pour absorber le sang menstruel, comme un tampon primitif. Il s'agit du plus ancien témoignage historique de la gestion des règles, mais aussi de l'un des plus rares dont nous ayons connaissance, peut-être parce que la menstruation a longtemps été un sujet tabou.

La menstruation ayant été très peu mentionnée dans les histoires écrites, les récits oraux, notamment ceux des communautés indigènes, sont parmi les seules sources disponibles, selon Alma Gottlieb, anthropologue culturelle à l'université de l'Illinois. De plus, les produits utilisés pour contrôler le flux sanguin étaient probablement faits de matériaux organiques, ce qui signifie que les artefacts se sont dégradés avec le temps.

En fin de compte, selon les experts, les personnes menstruées se tournaient vers ce qui était disponible et compatible avec leurs vêtements. Pour beaucoup, il s'agissait de longues bandes de chiffons, qui pouvaient être pliées et épinglées aux vêtements, puis lavées et réutilisées. Cette pratique est à l'origine de l'expression anglaise « on the rag », littéralement « sur le chiffon », qui signifie avoir ses règles, explique Sharra Vostral, historienne de la menstruation et des produits menstruels à l’université de Northwestern.

Comprendre : l'Ancienne Égypte

« L’expérience, par qui elle est vécue et les attitudes sociales qui l'entourent, diffèrent d'une région à l'autre et d'une époque à l'autre », affirme Vostral. Par exemple, à la fin du 19e siècle, certains médecins américains pensaient que les menstruations étaient une maladie. Selon l'un d'eux, Edward Clark, le fait d'aller à l'école pendant ses règles freinait le développement des organes reproducteurs.

Les matières végétales absorbantes comme la mousse ou l'écorce pouvaient également être utiles, lorsqu'elles étaient disponibles. Bien que la rumeur dise, par exemple, que chez les Vikings on se servait de mousse de sphaigne, cette supposition n'est pas confirmée par les archives historiques. Certaines théories sur les soins d'époque circulent sur internet, mais en réalité, « la plupart de ces théories sont fausses, » déclare Kate Clancy, anthropologue à l'université de l'Illinois, d'autant plus qu'il est difficile de prouver les méthodes spéculées de soins menstruels d'époque.

Une autre option consistait à saigner sans protection dans ses vêtements. Pendant des siècles, en Europe et aux États-Unis, par exemple, de nombreuses couches de jupons et de robes absorbaient le sang. Vers la fin du 19e siècle est apparu un dispositif semblable à un porte-jarretelles. Fabriquées avec un élastique à la taille, ces ceintures étaient munies de boucles à l'avant et à l'arrière pour y accrocher un chiffon.

Cela a pu être utile lors de la transition à des vêtements plus ajustés, par opposition aux imposantes jupes d’époque, mais ce n'était pas idéal, explique Vostral. « Les personnes qui les utilisaient attendaient vraiment quelque chose de plus pratique. »

 

DES MYTHES AUTOUR DE LA MENSTRUATION

De nombreuses cultures ont longtemps perçu les menstruations de façon négative.

Le manque de connaissances a alimenté cette vision. Prenons l'exemple de la théorie des humeurs qui, au Moyen Âge, considérait que le corps était constitué de quatre composants liquides appelés humeurs : le sang, la bile jaune, la bile noire et le flegme. Ces liquides corporels devaient être équilibrés pour rester en bonne santé. Rachael Gillibrand, historienne à l'université de Leeds au Royaume-Uni, explique que la perte de sang mensuelle liée aux menstruations était estimée essentielle pour stabiliser les humeurs, car les femmes étaient vues comme plus faibles et incapables de gérer leurs humeurs de façon stable.

Cette croyance a perduré jusqu'à l'époque victorienne, affirme-t-elle. D'autres perceptions inexactes incluaient l'idée que les personnes menstruées émettaient une toxine qui pouvait causer des maladies, que le sang était impur et qu’il pouvait même anéantir les récoltes agricoles.

Les préjugés sur les menstruations remontent aux temps originels, selon la Bible. Eve aurait désobéi à Dieu et aurait été punie par la malédiction d'un accouchement douloureux. Plus tard, les récits concernant cette malédiction ont été élargis pour inclure les menstruations.

« Les pratiques menstruelles et perceptions discriminatoires existent depuis les débuts de la civilisation », explique Radha Paudel, fondatrice de la Global South Coalition for Dignified Menstruation (Coalition du Sud pour des menstruations dignes) au Népal.

Ces stigmates ont créé un sentiment de honte et au début du 20e siècle encore, les Occidentaux parlaient si peu de menstruations que de nombreuses adolescentes n'avaient aucune idée de ce qui leur arrivait, explique Camilla Røstvik, qui étudie la culture menstruelle à l'université d'Agder, en Norvège.

« Beaucoup pensaient qu’elles étaient en train de mourir, » raconte-t-elle. « Cela a dû être un traumatisme pour beaucoup d’enfants à cette époque. »

 

LA HONTE PERDURE

Vers 1930, aux États-Unis, les publicités pour les premières serviettes hygiéniques modernes proposaient un coupon à remettre aux pharmaciens pour ne pas avoir à parler. Ce comportement de silence et de honte est réel dans de nombreuses régions du monde, explique Paudel, qui a passé des décennies à étudier les perceptions de la menstruation dans des cultures allant du Sri Lanka au Canada.

Mais il est important de noter que toutes les cultures n'ont pas vilipendé les menstruations, précise Kate Clancy. Pour le peuple Beng d'Afrique de l'Ouest, par exemple, le sang menstruel est sacré et on reconnaît son importance pour la reproduction.

Ailleurs, les Rungus, peuple du nord de Bornéo, posent un regard neutre sur la menstruation. Elle n’est ni sacrée, ni maudite. Les membres de cette communauté gèrent leur flux menstruel en se plaçant au-dessus d'un trou dans les planchers lattés de leurs maisons et laissent couler le sang sur la forêt verdoyante en contrebas. « C’est un processus très décontracté », explique Alma Gottlieb.

Aujourd'hui, les produits commerciaux ont évolué et incluent davantage de protections internes comme les tampons, les cups et les disques menstruels.

Toutefois, Clancy souligne que l'accent est toujours mis sur la dissimulation des règles et pas assez sur d'autres aspects, tels que les symptômes qui les accompagnent. Par exemple, on parle peu des crampes incapacitantes qui peuvent vraiment perturber la vie quotidienne des personnes menstruées.

« Pour moi, cela montre que la stigmatisation est encore très présente », dit-elle.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
     

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