"J’entends parler les morts" : au 19e siècle, le spiritisme s’est emparé de l’Occident

Au 19e siècle, séances et spiritualistes connurent un essor phénoménal aux États-Unis et en Europe, et ce au grand dam des sceptiques.

De Inés Antón
Publication 22 sept. 2023, 18:17 CEST

Maggie et Kate Fox habitaient une maison de la campagne de l’État de New York réputée pour être hantée par un vendeur ambulant assassiné là. Dès 1848, les sœurs organisèrent des séances lors desquelles elles affirmaient pouvoir communiquer avec son fantôme par le truchement de coups frappés sur une table. Après avoir atteint une célébrité nationale, Maggie admit en 1888 qu’il s’agissait d’un canular.

PHOTOGRAPHIE DE AKG, Album

Le désir d’entrer en contact avec les morts est probablement aussi ancien que l’histoire humaine. Les fantômes jouèrent des rôles importants dans les cosmologies antiques de Mésopotamie, de Grèce ou encore de Chine, mais le fait de chercher conseil auprès des défunts fut interdit par les traditions judéo-chrétiennes : dans plusieurs passages de l’Ancien Testament, il est expressément défendu de consulter des « médiums ou des nécromanciens ».

Pendant des millénaires, les accusations de communion avec les esprits pouvaient donner lieu à des punitions et entraîner la mort, mais tout cela changea au 19e siècle lorsque le spiritualisme connut un essor formidable en Europe et aux États-Unis. Les importants changements sociaux et technologiques apportés par la révolution industrielle, les ravages de la guerre et les dernières avancées scientifiques sont autant de facteurs qui remirent en cause les croyances traditionnelles en matière de communication avec les morts.

 

ESCROQUERIE ENTRE SŒURS ?

Aux États-Unis, le spiritualisme moderne trouve ses racines à Hydesville, dans l’État de New York. C’est là, qu’en 1848, Maggie Fox, âgée de 14 ans, et Kate, sa sœur de 11 ans, tinrent des séances qui permettaient, assuraient-elles, de communiquer avec l’esprit d’un vendeur ambulant assassiné dans la maison cinq ans auparavant.

« Si vous êtes un esprit blessé, manifestez-vous en frappant trois coups », lançait une des sœurs en guise d’introduction, devant un de leurs voisins subjugué. Trois coups suivaient alors, comme espéré. Après avoir démontré leur prétendu pouvoir à Hydesville, les sœurs Fox embarquèrent pour une tournée nationale dont la popularité contribua à la propagation du spiritualisme aux États-Unis et au-delà.

La maison des Fox à Hydesville, dans l’État de New York, photographiée à la fin du 19e siècle. C’est là que les sœurs organisèrent leurs premières séances.

PHOTOGRAPHIE DE Library of Congress, Getty Images

Cette nouvelle forme de « communication » avec les morts captiva le public, car elle semblait marier science et religion. Quatre ans avant que les sœurs Fox ne commencent à faire parler l’invisible, les premiers messages télégraphiques en morse s’étaient frayé un chemin sur le réseau électrique. Les messages sous forme de coups envoyés par les morts lors des séances furent présentés par les experts de l’époque comme l’équivalent spirituel de la télégraphie électrique. « Le spiritualisme tenta de s’aligner avec les principes de la "science électrique" de sorte à distinguer la médiumnité de formes plus "superstitieuses" de croyances mystiques héritées des siècles précédents », écrivait Jeffrey Sconce en 2000 dans son ouvrage intitulé Haunted Media : Electronic Presence From Telegraphy to Television.

 

DES ESPRITS EN EUROPE

Cette « religion scientifique » gagna rapidement des fidèles. Elle ne tarda pas à se répandre en Grande-Bretagne et, de là, à se propager sur le continent européen. Au rang de ses fidèles figuraient aussi bien des paysans que des petits-bourgeois urbains, des intellectuels, des scientifiques ou encore des aristocrates.

Dans les années 1860, le spiritualisme était particulièrement populaire en Angleterre et en France. Le Français Allan Kardec mit au point une variante du spiritualisme, le « spiritisme », qui se distinguait par une croyance en la réincarnation. Son Livre des Esprits, publié en 1857, toucha un large public, non seulement en France mais aussi en Amérique du Sud et en Russie dès les années 1870 et 1880. 

Aux États-Unis, le spiritualisme connut un essor durant la guerre de Sécession, période à laquelle de nombreux endeuillés se tournèrent vers les séances afin de communiquer avec des soldats décédés. D’après une estimation, la guerre fit deux millions de nouveaux fidèles spiritualistes. À l’aube des années 1880, le mouvement comptait huit millions de croyants aux États-Unis et en Europe. Dans la première décennie du 20e siècle, l’intérêt populaire pour le spiritualisme diminua mais fut ravivé par deux catastrophes consécutives : la Première Guerre mondiale et la pandémie de grippe espagnole.

 

MESSAGES DE MÉDIUMS 

Dépourvu d’églises ou d’instances formelles, le spiritualisme se pratiquait principalement en privé. De nombreux médiums créèrent des conditions similaires pour leurs séances, avec des participants assis autour d’une table dans un salon faiblement éclairé. Ces derniers se tenaient souvent la main, puis attendaient que se manifestent des signes d’activité paranormale. Il pouvait s’agir de coups frappés, d’un souffle frais ressenti dans la nuque, d’un son de cloches ou de meubles qui se déplaçaient. Les médiums tentaient d’établir un contact avec l’esprit et lui demandaient s’il était disposé à apparaître.

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    Selon les témoignages, les esprits manifestaient leur message d’une multitude de façons. Certains avaient recours à une série de coups pour épeler des mots à l’aide de codes spéciaux écrits sur du papier. Une autre méthode était la psychographie (ou écriture automatique) : la main du médium écrivait « inconsciemment » ce que l’esprit voulait communiquer. Avec la pneumatographie (ou écriture directe), l’esprit écrivait lui-même les messages sans aucun intermédiaire.

    Certains esprits se seraient, dit-on, exprimé directement par la bouche d’un spiritualiste. La plus célèbre de ces « médiums en transe » fut la bostonienne Leonora Piper. Elle servait de canal à des célébrités, comme Jean-Sébastien Bach, aussi bien qu’à des inconnus, et notamment à un mystérieux Français, le docteur Phinuit. Ses voix suscitèrent un grand intérêt scientifique, notamment de la part du psychologue américain William James. Ce dernier ne put parvenir à une conclusion définitive en ce qui concerne Leonora Piper, laissant ouverte la possibilité qu’elle soit en effet capable d’accéder à une « conscience cosmique » incluant pourquoi pas des esprits.

    À l’aide de techniques comme la double exposition, la « photographie d’esprits » donnait l’impression de capturer des fantômes sur film. Il s’agissait d’une autre façon de se rapprocher de proches qui étaient morts, comme en témoigne cette photographie truquée prise vers l’an 1900.

    PHOTOGRAPHIE DE Album

    L’intérêt pour le monde des esprits déborda même dans le monde alors bourgeonnant de la photographie. Certains photographes affirmaient être capables de saisir l’image d’esprits tout en photographiant les vivants. Le photographe américain William Mumler aurait été le premier à capturer un « esprit » dans une photographie au début des années 1860. Sur l’un de ses plus célèbres clichés, le « fantôme » d’Abraham Lincoln apparaît derrière sa femme Mary, les mains posées sur les épaules de son épouse. On pense désormais qu’il se serait servi d’une technique de double exposition pour superposer le « fantôme » sur les clichés de ses clients. En 1869, William Mumler fut accusé de fraude mais fut acquitté. Ces accusations mirent fin à sa carrière, mais la photographie d’esprits demeura populaire pendant des décennies.

     

    EMPÊCHEURS DE TOURNER EN ROND ET SCEPTIQUES

    Quand le spiritualisme apparut à la fin des années 1840, il suscita son lot de scepticisme. Dans les années 1850, le scientifique britannique Michael Faraday démystifia les « tables tournantes », une activité dans laquelle les esprits faisaient soi-disant bouger ou s’incliner une table sur laquelle ils tapaient et autour de laquelle étaient assis des participants. Michael Faraday isolait en cachette la table de sorte qu’elle ne puisse pas être affectée par les forces prétendument électriques ou magnétiques du monde des esprits. Il démontra ensuite que le mouvement était généré à l’endroit où les participants plaçaient leurs mains, ce qui suggère fortement qu’ils faisaient inconsciemment bouger la table eux-mêmes, un phénomène nommé « effet idéomoteur ».

    Les sceptiques démontrèrent également les manipulations des médiums : la faible luminosité crée une sensibilité accrue au son, et en de telles circonstances, l’on devient bien plus influençable, surtout lorsque l’on est en deuil. L’accumulation de révélations de ce type contribua à faire avouer à Maggie Fox que les séances qu’elle organisait avec sa sœur étaient des impostures. En 1888, elle reconnut que les coups entendus n’étaient en fait que des craquements de doigts et d’articulations produits par les deux sœurs.

     

    HOUDINI RÉVÈLE LE TRUC

    La dénonciation la plus spectaculaire du spiritualisme fut peut-être l’œuvre d’Harry Houdini, célèbre illusionniste et roi de l’évasion américain. Sir Arthur Conan Doyle, créateur de Sherlock Holmes et adepte du spiritualisme, devint ami avec Houdini en 1920, et Lady Doyle, médium pratiquante, affirma produire à l’écrit des messages de la mère défunte de l’illusionniste. Selon Houdini, ses lettres ne ressemblaient en rien à ce que sa mère aurait pu écrire, et il dénonça publiquement le spiritualisme, ce qui lui coûta son amitié avec Doyle.

    En montrant comment les médiums pouvaient parvenir à faire sonner des cloches sous une table, Houdini, assis à droite, révéla les astuces des spiritualistes sur la scène de l’Hippodrome de New York en 1925.

    PHOTOGRAPHIE DE Library of Congress, Getty Images

    Houdini devint un démystificateur assidu de voyants et de médiums. Grâce à son expérience de magicien, il jouissait d’une connaissance fine des ficelles du métiers, qu’il dévoila en 1924 dans un livre intitulé Un Magicien chez les médiums. Après la mort d’Houdini le 31 octobre 1926, sa femme Bess organisa chaque année des séances d’Halloween pour entrer en contact avec lui. Pour éviter les escroqueries, elle et son mari avaient mis au point avant sa mort un code secret à utiliser depuis l’au-delà. Ses séances se poursuivirent durant dix ans, mais il n’entra jamais en contact avec elle. 

    La popularité du spiritualisme a grandement diminué depuis les années 1920, mais il reste des croyants, y compris des personnes qui tiennent séance annuellement à Halloween pour essayer de communiquer avec Houdini.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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