Grâce à ses gènes, l'un des meilleurs chevaux de course de l’histoire règne encore sur les hippodromes

Le patrimoine génétique de Lexington, pur-sang légendaire du 19e siècle, a marqué l’histoire du Kentucky Derby. Aujourd’hui encore, son ADN détermine l’issue de courses hippiques.

De David Kindy
Publication 9 mai 2025, 10:32 CEST
Lexington était l’étalon le plus célèbre du Sud des États-Unis avant la guerre de Sécession. Ses ...

Lexington était l’étalon le plus célèbre du Sud des États-Unis avant la guerre de Sécession. Ses capacités hors normes furent le fruit d’un partenariat improbable entre un médecin blanc et un dresseur de chevaux noir.

PHOTOGRAPHIE DE Image By Artokoloro, Alamy Stock Photo

« Meilleur chrono jamais réalisé ». Voici ce que proclamait la Une du Louisville Daily Courier le 4 avril 1855. Deux jours plus tôt, sur un hippodrome de la Nouvelle-Orléans, un pur-sang d’exception nommé Lexington avait parcouru 6 500 mètres en sept minutes, dix-neuf secondes et soixante-quinze centièmes, pulvérisant le précédent record de plus de six secondes.

Le record de vitesse fulgurant de Lexington resterait inégalé pendant vingt ans. Mais une grave infection rendit l’étalon aveugle d’un œil et presque totalement de l’autre. Incapable de concourir, il fut envoyé dans un haras, où il connut une renommée plus grande encore.

L’une des seules photographies connues de Lexington. Cette image stéréoscopique faisait partie d’une série intitulée « Joyaux ...

L’une des seules photographies connues de Lexington. Cette image stéréoscopique faisait partie d’une série intitulée « Joyaux des paysages du Kentucky ».

PHOTOGRAPHIE DE via James Mullen, don de Weston J. et Mary M. Naef, Getty Museum

« Lexington a engendré une lignée puissante, aujourd’hui encore peuplée de champions », révèle Kim Wickens, autrice d’un livre à paraître sur ce cheval de course légendaire. « C’était un cheval qui a dominé son époque et il a transmis ces gènes à une lignée phénoménale de vainqueurs, dont War Admiral, Citation, Secretariat, Affirmed et Justify. »

Douze des treize vainqueurs de la très convoitée Triple Crown, un trio de courses comprenant le Kentucky Derby, les Preakness Stakes et les Belmont Stakes, descendent de Lexington.

L’excellence de Lexington trouve sa source dans un partenariat fort peu commun dans le Sud d’avant la guerre de Sécession. Son premier propriétaire, Elisha Warfield, était un obstétricien de renom du Kentucky qui mit au monde des milliers d’enfants, dont la future Première dame des États-Unis, Mary Todd Lincoln. En 1821, il ouvrit un haras et se consacra avec tant ferveur à l’élevage, à l’entraînement et aux courses de pur-sang qu’on s’en souvient aujourd’hui encore comme du « père du turf kentuckien ».

Lexington vit le jour dans le haras d’Elisha Warfield en 1850. D’abord nommé Darley, du nom d’un illustre étalon arabe, il était grand et fort comme son père, un autre pur-sang légendaire qui remporta quarante courses sur les quarante-cinq auxquelles il participa, mais avait besoin d’être guidé par la main habile d’un vieux sage des pistes digne de confiance.

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    Sur ce portrait réalisé par le célèbre peintre équin Edward Troye, Harry Lewis, en haut de forme et frac, s’apprête à seller son champion, qui répond au nom Richard Singleton.

    PHOTOGRAPHIE DE via Edward Troye, Paul Mellon Collection, Musée des Beaux-Arts de Virginie

    C’est alors qu’intervient Harry Lewis, un Afro-Américain né esclave et devenu l’un des dresseurs de chevaux les plus respectés de son temps. Un tableau de 1835 montre un Harry Lewis à la mise impeccable debout à côté d’un pur-sang superbement toiletté.

    « S’ils étaient bons, les dresseurs et jockeys noirs bénéficiaient d’un certain degré de liberté dans le Sud, explique Kim Wickens. Ils circulaient plus librement grâce à leurs talents équestres. Malgré cela, on leur réservait peu ou prou le même traitement qu’aux chevaux. »

    Mais Harry Lewis était un dresseur de chevaux au talent exceptionnel et il avait obtenu son émancipation dès 1850. Connu de tous les turfistes du Kentucky sous le nom d’Old Harry, il était précisément l’homme dont Elisha Warfield avait besoin pour faire de son jeune poulain prometteur un véritable champion des courses hippiques.

    « Warfield n’aurait pas confié son pur-sang à n’importe qui, fait remarquer Kim Wickens. Il connaissait forcément la réputation de Lewis, qui avait dressé le champion des pistes Richard Singleton, entre autres vainqueurs. »

    En 1853, Elisah Warfield était vieillissant et sa santé déclinait. Sa femme insista pour qu’il s’implique moins dans la gestion du haras. Il accepta donc d’accorder à Harry Lewis une concession sur les droits de course de Darley et celui-ci se mit à entraîner le jeune étalon.

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    Des chevaux de course foncent vers la ligne d’arrivée sur cette impression d’époque de Currier and Ives. Les courses de chevaux étaient l’un des sports les plus populaires du 19e siècle.

    ILLUSTRATION DE GraphicaArtis, Bridgeman Images

    À cette époque, les courses de pur-sang étaient un sport d’endurance exténuant. Alors qu’aujourd’hui, les chevaux sprintent plutôt sur 1 500 mètres, ils devaient autrefois parcourir 6 500 mètres et gagner deux courses pour remporter le titre de champion. Il n’était pas rare qu’un cheval coure 13 à 19 kilomètres en l’espace d’un seul après-midi d’épuisante compétition.

    Pendant que Harry Lewis formait Darley, Elisha Warfield lui donnait des conseils de loin. Son épouse avait formellement exigé qu’il se détache des contraintes quotidiennes de l’élevage de chevaux, mais cela ne l’empêchait pas de trouver des façons de rester impliqué.

    « Il se faufilait à l’étage, dans le grenier de sa maison, avec des jumelles, pour pouvoir observer Darley en train d’être dressé et courir sur la piste à côté de son haras », raconte Kim Wickens.

    Le fait que deux hommes d’ethnicités différentes travaillent ensemble dans l’État du Kentucky, qui était alors esclavagiste, ne manqua pas de faire sourciller. En effet, ce binôme hors du commun se forma à une époque où les tensions étaient fortes et où le pays s’approchait dangereusement de la guerre civile. Quelles furent au juste les conditions de leur partenariat ?

    « Nous ignorons la nature exacte de leur relation, concède Kim Wickens. Mais je parie qu’elle se fondait sur un respect mutuel. »

    Leurs efforts conjoints portèrent leurs fruits. Darley remporta sa première série de courses avec une telle supériorité que Richard Ten Broeck, propriétaire d’hippodromes de la Nouvelle-Orléans, demanda quel était son prix à Elisha Warfield. Ils s’arrêtèrent sur la somme de 5 000 dollars de l’époque, soit un peu plus de 175 000 euros aujourd’hui.

    Mais l’événement comprenait une seconde série de courses qui devaient se dérouler quatre jours plus tard. Darley termina de nouveau premier et un litige éclata concernant l’attribution de la bourse : devait-elle revenir à Harry Lewis ou à Richard Ten Broeck, nouveau propriétaire du cheval. Dans une décision qui fit date, l’autorité présidant aux courses trancha en faveur de Harry Lewis. Il reçut 2 150 dollars de l’époque, soit près de 75 000 euros aujourd’hui.

    Richard Ten Broeck emmena Darley à la Nouvelle-Orléans et, conformément aux usages en vigueur alors, renomma son nouveau cheval Lexington, en hommage à sa ville natale. Le puissant pur-sang remporta quatre de ses cinq courses suivantes – parmi lesquelles figuraient plusieurs épreuves exigeantes de 6 500 mètres – avant qu’une vue déclinante ne mette un terme précoce à sa carrière sur les champs de course. Retiré dans un haras, il engendra plus de 230 chevaux qui remportèrent près de 1 200 courses.

    À sa mort en 1875, le célèbre étalon eut droit à des funérailles et fut enterré dans un cercueil sur mesure. Son imposant squelette fut plus tard exhumé et est aujourd’hui révérencieusement exposé au Musée international du cheval dans la ville homonyme de Lexington.

    Un cheval remportera-t-il la Triple Crown cette année ? Si oui, il y a fort à parier qu’il coulera dans les veines du vainqueur le sang d’un ancêtre célèbre, propulsé vers l’excellence par le partenariat extraordinaire entre Harry Lewis et Elisha Warfield.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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