La mystérieuse affaire de la disparition des joyaux de la couronne d'Irlande
Pourtant conservés dans l'un des endroits les mieux protégés de Dublin, les joyaux ont été volés dans un coffre-fort dont la serrure ne semble pas avoir été forcée. C'est alors qu'Arthur Conan Doyle entra en jeu pour mener l'enquête...

Dans cette peinture de 1889 réalisée par Sir Thomas Alfred Jones, Charles Stewart Vane-Tempest-Stewart, 6e marquis de Londonderry, porte les joyaux de la couronne irlandaise.
Le 6 juillet 1907, Sir Arthur Vicars fit une terrible découverte : les joyaux de la couronne d’Irlande, conservés sous clé dans son bureau au château de Dublin, avaient été dérobés. Les bijoux, qui appartenaient à un groupe lié à la couronne britannique coloniale, avaient été vus pour la dernière fois le 11 juin : il était donc impossible de savoir quand exactement ils avaient disparu.
La fameuse collection contenait des insignes et des colliers recouverts de pierres précieuses, dont des émeraudes, des rubis et des diamants brésiliens. À l’époque, certains l’estimaient à pas moins de 50 000 livres sterling, soit l’équivalent de plus de 4 millions d’euros aujourd’hui.

Cette affiche de police de 1907 présente trois joyaux de cérémonie de la collection, et déclare qu'ils ont été volés au château de Dublin.
En tant que roi d’armes d’Ulster, Vicars était personnellement responsable de la collection de bijoux. Le cambriolage porta un coup non seulement à son ego, à sa carrière et à sa réputation, mais aussi à l’intégrité du château de Dublin, qui constituait alors le siège de l’autorité britannique en Irlande.
La nouvelle du vol ne tarda pas à se répandre et à attirer l’attention du reste du monde. L’enquête qui en découla, en plus d’humilier encore plus Vicars, entraîna l’intervention de certaines des célébrités les plus notables de l’époque et souleva, en fin de compte, plus de questions que de réponses.
UN CASSE REMARQUABLE
Les joyaux volés constituaient les ornements de cérémonie de l’Ordre de Saint-Patrick, un ordre de chevalerie d’élite britannique basé en Irlande. Le roi britannique Guillaume IV avait donné la collection à ce dernier en 1831, afin de permettre au lord-lieutenant d’Irlande, qui était également le chef de l’ordre, de les porter lors des cérémonies.

Le Grand Maître (qui était également Lord lieutenant d'Irlande) investit le prince de Galles de l'Ordre de Saint-Patrick dans la cathédrale Saint-Patrick de Dublin, en 1868.
Après la découverte de la disparition des bijoux par Sir Arthur Vicars, personne ne put y croire. « La nouvelle était si stupéfiante que les gens furent d’abord enclins à la discréditer », rapporte le Irish Times. Même Scotland Yard, qui apporta son soutien à l’enquête, émit l’hypothèse que les joyaux avaient été « égarés » plutôt que volés.
Cet événement est extraordinaire de par l’audace exceptionnelle dont firent preuve les coupables en décidant d’organiser un cambriolage au château de Dublin, l’un des endroits les mieux gardés de la capitale irlandaise. Les voleurs durent en effet contourner les patrouilles de police et les officiers pour pénétrer dans le bâtiment sans se faire remarquer.
Ce n’est pas tout : les voleurs durent également faire face à d’autres obstacles encore une fois arrivés à l’intérieur du bureau de Vicars, car ce dernier conservait les joyaux dans un coffre-fort fermé à clé. Rien n’indique que les voleurs en forcèrent l’ouverture, ce qui signifie qu’ils durent utiliser une clé volée ou contrefaite pour le déverrouiller et récupérer le butin.
La capacité exceptionnelle des voleurs à passer la sécurité et à déverrouiller le coffre-fort souleva une question importante : pouvait-il s’agir d’un coup monté de l’intérieur ?

Les troupes britanniques dans la cour du château de Dublin, en Irlande, vers les années 1880.
ARTHUR CONAN DOYLE ENTRE EN JEU
Tous les yeux se tournèrent rapidement sur Vicars, non pas pour son potentiel rôle dans le vol lui-même, mais pour son incapacité à l’empêcher. Le roi d’armes soupçonnait d’avoir peut-être été drogué une semaine auparavant, ce qui aurait pu donner au voleur l’occasion de fabriquer une copie de ses clés. Plus vraisemblablement, toutefois, il est probable que Vicars ait bu un verre de trop lors d’une des nombreuses fêtes privées qu’il organisait au château, laissant ainsi l’opportunité à quelqu’un de profiter de son état d’ébriété.
Vicars put néanmoins compter sur un soutien précieux dans l’enquête : celle de son cousin, l’écrivain Sir Arthur Conan Doyle, rendu célèbre grâce à ses romans Sherlock Holmes. Le voyant dans cette dangereuse position, Doyle lui tendit la main et lui proposa de faire tout ce qui était en son pouvoir pour lui venir en aide.

L'écrivain britannique Sir Arthur Conan Doyle, créateur du célèbre Sherlock Holmes, vers 1895.
Bien que connu comme le créateur du plus grand détective de la littérature, Doyle n’apporta « aucune valeur pratique » à l’enquête, affirme le journaliste et historien Myles Dungan, auteur de The Stealing of the Irish Crown Jewels: An Unsolved Crime. En réalité, Doyle se fit qu’analyser la carte de la scène du crime et apporter son soutien à Vicars pendant cette épreuve.
LA FIN DE L’ENQUÊTE
Les enquêteurs firent appel à la police métropolitaine de Dublin et à Scotland Yard. Toutefois, malgré ces actions, les autorités ne progressèrent guère dans leur recherche de l’identité du coupable.
Les tentatives ne se limitèrent pas aux enquêteurs professionnels. Un groupe organisa une séance de spiritisme et affirma que les joyaux étaient cachés dans un cimetière voisin. Désespérées, les autorités suivirent cette piste, mais ne trouvèrent rien à l’endroit indiqué.
La commission vice-royale ouverte à son tour en janvier 1908 n’apporta pas beaucoup plus de résultats. Plutôt que d’assigner des témoins à comparaître ou d’enquêter sur le crime lui-même, la commission se concentra sur Vicars et lui fit porter toute la responsabilité du vol, l’accusant notamment de négligence.
Déshonoré, Vicars perdit son poste au château de Dublin et le crime ne fut jamais résolu.
DE NOMBREUSES THÉORIES
Même si l’enquête ne permit de résoudre officiellement le crime, Vicars avait sa propre théorie quant à l’identité du coupable. Selon lui, l’auteur du vol était un certain Francis Shackleton.
Figure de la haute société londonienne et dublinoise, Shackleton, le frère cadet de l’explorateur arctique Ernest Shackleton, occupait le poste de héraut de Dublin, un rôle qui relevait du bureau de Vicars. Par ailleurs, malgré sa réputation, Shackleton avait apparemment des difficultés financières qui auraient tout à fait pu être résolues grâce au butin rempli de pierres précieuses.


Sir Arthur Vicars pose pour une photographie en 1902.
Francis Shackleton, frère cadet de l'explorateur Ernest Shackleton, quitte la gare de Waterloo avec des détectives, à Londres, en janvier 1913.
En résumé, Shackleton pouvait accéder facilement aux joyaux et semblait même avoir un mobile… mais il avait aussi un alibi qui permit de l’écarter de la liste des suspects : il n’était pas à Dublin lorsque Vicars remarqua la disparition des joyaux.
D’autres théories s’appuient quant à elles sur le climat politique de l’Irlande du début du 20e siècle, l’époque à laquelle les nationalistes réclamaient le Home Rule, c’est-à-dire l’autonomie de l’Irlande. Le roi britannique Édouard VII se demanda ainsi si des nationalistes irlandais n’avaient pas entrepris de dérober les fameux joyaux dans le cadre d’un casse ciblé et anticolonialiste.
Ce n’était pas la seule théorie liée aux débats sur le Home Rule. « L’une des théories les plus absurdes veut que l’État britannique, préoccupé par la perspective du Home Rule, ait décidé de reprendre discrètement "ses" bijoux et ait ainsi organisé lui-même le vol », raconte Dungan.
L’auteur souligne cependant que le Home Rule ne devint une réelle crise pour la politique britannique que cinq années plus tard : ses soutiens n’auraient été que guère motivés à se donner la peine de coordonner un casse en 1907.
L’INTÉRÊT DURABLE DU PUBLIC
Selon Dungan, « depuis 1907, de nombreuses personnes se sont présentées avec de soi-disant "informations" ».
En 1998, un inconnu a par exemple prétendu que les joyaux étaient cachés sur le terrain de Kilmorna House, la propriété de Vicars. Il s’agissait toutefois d’un canular.
Aujourd’hui, si plus aucune enquête officielle n’est en cours sur le vol, cela n’empêche pas les détectives en herbe d’essayer de résoudre eux-mêmes l’affaire. En septembre 2024, Dan Snow, historien, présentateur de télévision et animateur de podcast a ainsi demandé à ses auditeurs d’envoyer toutes les informations qu’ils pouvaient avoir sur le lieu où sont cachés les joyaux.
Dungan ne croit pas que nous pourrons un jour les retrouver, et ce pour une raison simple : il n’y a probablement plus rien à trouver. « Ils doivent être séparés et éparpillés depuis longtemps », suppose-t-il. « Si vous vous êtes déjà fiancés, peut-être portez-vous même l’un de ses diamants à votre annulaire. »
Quoi qu’il soit advenu de ces précieux joyaux, leur destin constitue encore un intrigant puzzle dont les dernières pièces pourraient bien rester manquantes pour toujours.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
