Le phare d’Alexandrie a brillé pendant plus de mille ans avant de s’effondrer

Le phare d’Alexandrie, qui surplombait le port de la ville fondée par Alexandre le Grand, a guidé les marins à travers les âges, du troisième siècle avant notre ère jusqu’au Moyen Âge.

De Eva Tobalina
Publication 17 sept. 2024, 14:16 CEST

Le phare d’Alexandrie s’élevait à plus de 100 mètres de hauteur et était orné de colossales statues en granit rose à l’effigie des pharaons ptolémaïques et de leurs reines. Les énormes blocs de roche calcaire blanche ayant servi à sa construction réverbéraient le soleil égyptien de manière intense. Aux coins des terrasses on trouvait six statues en métal à l’effigie du dieu Triton. Une statue de bronze de près de sept mètres de hauteur représentant Poséidon ou Zeus couronnait le phare.

PHOTOGRAPHIE DE Jean-Claude Golvin, Musée Départemental Arles Antique

Les Sept Merveilles du monde antique avaient plusieurs usages différents. Certaines étaient décoratives comme les jardins suspendus de Babylone. D’autres, comme le temple d’Artémis à Éphèse, avaient une fonction spirituelle. Le phare d’Alexandrie, en plus d’être beau et fonctionnel, servait quant à lui un but pratique : pendant des siècles, sa lumière sereine mena les navires à bon port dans la nuit égyptienne, plaçant par là même la ville au centre des routes commerciales méditerranéennes.

Alexandre le Grand fonda la ville qui porte son nom en 331 avant notre ère alors qu’il traversait le nord de l’Égypte en compagnie d’une poignée d’hommes. Trois années à peine s’étaient écoulées depuis le début de sa campagne perse et le roi macédonien contrôlait déjà le littoral de la Méditerranée orientale. Sur le delta du Nil, il décida de fonder un port qui pérenniserait son influence maritime tout en remplaçant la ville phénicienne de Tyr (qu’il venait juste de raser) dans son rôle de place commerciale stratégique. Il ne tarda pas à dénicher l’endroit parfait pour sa nouvelle ville : un territoire relié au Nil par le bras le plus occidental du fleuve et protégé par le lac Mariout au sud.

Le père fondateur d’Alexandrie, représenté en pharaon égyptien sur ce relief du temple d’Amon à Louxor, fait une offrande au dieu Amon-Rê.

PHOTOGRAPHIE DE Gian Carlo Patarino, AGE Fotostock

Dans sa biographie d’Alexandre, l’historien grec Plutarque relate un épisode ayant tout du mauvais présage. Lorsqu’il voulut dresser les plans de la ville, l’architecte d’Alexandre, Dinocrate de Rhodes, n’avait pas de craie à portée de main pour dessiner les routes et les canaux de la future cité et dut se résoudre à utiliser de la farine d’orge à la place. À peine eut-il achevé son tracé qu’une gigantesque nuée d’oiseaux apparut, obscurcit le ciel, et vint se repaître de la farine dont il s’était servi. Alexandre le Grand y vit immédiatement un mauvais présage mais ses fidèles le convainquirent que cela signifiait simplement que sa ville deviendrait le moulin du monde connu.

 

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    EAUX PÉRILLEUSES

    Alexandrie avait la forme d’un rectangle presque parfait et se trouvait entre la mer et le lac Mariout. Les voyageurs d’alors la comparaient à une chlamyde, un manteau militaire de la Grèce antique. La ville s’approvisionnait en eau grâce à un canal relié à la branche canopique du delta du Nil. Ses égouts et ses larges avenues n’avaient pas leur pareil en Méditerranée orientale. Cette cité merveilleuse se divisait en cinq quartiers et près d’un quart de sa surface était recouverte par les palais et les jardins royaux.

    La profondeur de son port était idéale pour les navires à fort tirant d’eau. Un chapelet d’îles protégeait d’ailleurs celui-ci des vents dangereux du nord. Pourtant, sans boussole ou sans instruments de navigation, il était difficile de se repérer en observant le littoral à l’œil nu : dans la région du delta du Nil, il n’y a ni montagnes ni falaises ; la côte n’est qu’un paysage de marais et de zones désertes s’étendant à perte de vue, et la terre est si basse qu’elle semble parfois se cacher derrière la mer.

    Mais il y avait un autre péril dans le paysage : un vaste relief à peine immergé, inconnu de ceux qui n’avaient jamais fréquenté ces eaux. Nombreux étaient les marins qui, au moment où ils pensaient que la partie la plus périlleuse de leur voyage était derrière eux, venaient s’échouer sur ce banc de sable. Et ce n’était pas leur dernière épreuve. Il fallait encore affronter une double rangée de récifs, synonymes de naufrage et de mort lorsque les vents n’étaient pas favorables. La construction d’un phare s’imposait donc. Mais pas n’importe quel phare.

    La ville méditerranéenne d’Alexandrie, fondée en 331 av. J.-C. par Alexandre le Grand, était le centre marchand et culturel du monde antique lors du règne de la dynastie ptolémaïque. Ses ruines se trouvent aujourd’hui sous le niveau de la mer et sous des bâtiments plus récents. Cette reconstitution montre ce à quoi pouvait ressembler la ville lors du règne de Cléopâtre VII (r. 51-30 av. J.-C.), la dernière des Ptolémée.

    PHOTOGRAPHIE DE Fernando G. Baptista, National Geographic Image Collection

    L’emplacement du phare fut soigneusement choisi. Au large d’Alexandrie, se trouvait la petite île de Pharos. Elle faisait partie intégrante de la culture grecque puisque c’est là que Ménélas (un des guerriers grecs de l’Iliade et de l’Odyssée) s’était échoué en revenant de la guerre de Troie. D’après Plutarque, Homère apparut en rêve à Alexandre le Grand pour lui citer les vers qu’il avait composés au sujet de l’île : « Sur l’onde houleuse, aux bouches d’Égyptos, / Certaine île s’élève, on l’appelle Pharos. […] Il s’y trouve un bon port, […] ». À son réveil, Alexandre se mit à la recherche de cette île et, lorsqu’il la découvrit, il s’exclama : « Homère, ce poète merveilleux, est aussi le plus habile des architectes ! »

    Un îlot situé à l’extrémité occidentale de l’île, et séparé de Pharos par un bras de mer à peine, fut choisi pour accueillir le nouvel édifice. Celui-ci devait former une structure singulière alors unique en son genre. On lui donna le nom de l’île voisine et sa lumière porta si loin que le pharos d’Alexandrie devint le faro des Italiens, le phare des Français et même le fyr des Suédois.

    C’est Ptolémée Ier, fondateur de la dynastie grecque des pharaons d’Égypte (la dynastie lagide), qui lança la construction du phare d’Alexandrie. Celui qu’on appelle également Sôter (le sauveur) faisait partie de la noblesse macédonienne et prit le contrôle de l’Égypte après la mort d’Alexandre le Grand en 323 av. J.-C. Le projet fut achevé lors du règne de son fils, Ptolémée II Philadelphe. Selon Pline l’Ancien, célèbre historien romain, Ptolémée Ier ou Ptolémée II fut assez bon pour permettre que le nom de l’architecte, Sostrate de Cnide, « fût gravé sur la pierre même de l’édifice ».

    Lucien de Samosate, satiriste du deuxième siècle de notre ère, en donne une version plus maligne (et saugrenue) : « Après avoir achevé son ouvrage, [l’architecte] grava son nom dans la maçonnerie et le recouvrit d’un enduit de gypse sur lequel il inscrivit le nom du roi d’alors. Il savait qu’en un rien de temps le plâtre tomberait, entraînerait les lettres royales dans sa chute et que son nom réapparaîtrait. Et c’est ce qui arriva. »

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    UNE LANTERNE DANS LA NUIT 

    À l’instar de tant d’édifices ptolémaïques, le phare d’Alexandrie était éblouissant. Pline l’Ancien fit d’ailleurs remarquer que 800 talents (environ 23 tonnes d’argent) furent nécessaires à sa construction, soit à peu près un dixième du trésor du pharaon. Par comparaison, le Parthénon, érigé un siècle et demi plus tôt, n’avait nécessité « que » 469 talents.

    Découverte à Cyrène, en Libye, cette mosaïque byzantine du sixième siècle représente le phare d’Alexandrie surmonté d’un personnage couronné (qui serait Hélios, le dieu du Soleil) se tenant à côté du feu.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    Le phare d’Alexandrie remplissait son rôle à merveille : le jour, les marins pouvaient s’en servir pour naviguer à vue ; la nuit, ils pouvaient repérer le port sans mal. Selon l’historien Flavius Josèphe, le phare s’élevait à près de 105 mètres et était visible à 55 kilomètres de distance (soit une journée complète de navigation). Le feu qui brûlait au sommet du phare était si intense qu’on pouvait le prendre pour une étoile dans le ciel. En journée, la fumée qui en émanait le rendait visible à l’horizon. Le bois était une ressource rare en Égypte et bon nombre de spécialistes pensent qu’on y entretenait le feu avec de l’huile ou avec du papyrus.

    On y a vraisemblablement installé une grande plaque de métal polie, ou du moins une sorte de glace, pour réfléchir la lumière de la flamme. À l’époque médiévale, des auteurs arabes fascinés par l’édifice ont imaginé que ce miroir avait en fait servi de loupe géante pour concentrer et rediriger la puissance solaire contre les navires ennemis qui approchaient du port et les réduire en cendres avant qu’ils ne puissent aborder.

    Peinture du 20e siècle représentant le phare d’Alexandrie illuminé au crépuscule.

    PHOTOGRAPHIE DE Myers, Bridgeman, ACI

    Certains chercheurs ont même émis l’hypothèse que le phare avait abrité une « corne de brume » qui résonnait lorsque des nuages couvraient le littoral. D’après certains témoignages arabes, des « voix épouvantables » s’échappaient du phare. On n’a toutefois jamais été en mesure d’identifier quelque mécanisme auditif de ce type ayant fait office de système d’alerte. Selon certains experts, les statues de la terrasse du phare, à l’effigie du dieu Triton soufflant dans une conque, ont pu servir à cet effet en plus d’avoir un usage décoratif.

     

    UNE ÉCLATANTE RÉPUTATION

    Le phare ne tarda pas à devenir un objet d’admiration. Certains auteurs antiques l’incluaient déjà dans leur liste des Sept Merveilles du monde. Ceux qui eurent la chance de le contempler (Jules César, par exemple) furent impressionnés par sa hauteur et par sa facture splendide.

    Ce phare était destiné à demeurer un symbole éclatant de fierté et de prouesse technique. On peut l’apercevoir sur des pièces romaines frappées à Alexandrie entre l’an 82 et l’an 192 de notre ère. Mais malgré sa renommée, celui-ci ne résista pas aux ravages du temps : au milieu du premier siècle avant notre ère, la dernière reine de la dynastie lagide, Cléopâtre VII, dut ordonner la première restauration de la tour.

    Quand les Arabes conquirent l’Égypte environ 700 ans plus tard, le phare était toujours là. Mais petit à petit, les séismes qui firent trembler l’Égypte au Moyen Âge détruisirent l’édifice. Au 14e siècle, Ibn Battûta, célèbre voyageur marocain, fit part de son désarroi quant à l’état piteux du phare.

    Pour protéger Alexandrie des Ottomans, Qa’it Bay, sultan mamelouk d’Égypte, a fait ériger ce bastion en 1477 à l’endroit exact où se tenait le phare. Il a d’ailleurs réemployé des matériaux de l’ancienne structure pour son nouveau fort.

    PHOTOGRAPHIE DE Hisham Ibrahim/Getty Images

    En 1477, le phare n’était plus qu’un tas de ruines et un sultan mamelouk ordonna d’en utiliser les vestiges pour la construction de la citadelle de Qaitbay, qu’on peut encore admirer à ce jour. Le phare fut l’une des Sept Merveilles du monde antique les plus résistantes. Seuls le mausolée d’Halicarnasse et la pyramide de Khéops lui survécurent.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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