Pourquoi Amelia Earhart nous fascine-t-elle toujours autant ?

En matière de technologie comme de droit des femmes ou de culte de la célébrité, l'aviatrice disparue était largement en avance sur son temps et avait déjà adopté les codes du monde moderne.

De Rachel Hartigan
Certifiée aviatrice seulement deux décennies après le premier vol des frères Wright, Earhart utilisa sa renommée ...
Certifiée aviatrice seulement deux décennies après le premier vol des frères Wright, Earhart utilisa sa renommée pour promouvoir les voyages aériens et l'égalité des chances pour les femmes.
PHOTOGRAPHIE DE Sarah Leen

C'est par une après-midi d'été qu'Alex Mandel entendit pour la première fois parler d'Amelia Earhart, alors qu'il était en train de lire les vieux magazines de son père dans le jardin de sa maison d'enfance à Odessa, en Ukraine. « Ce n'était qu'une courte biographie accompagnée du récit de sa disparition, » se souvient-il. Il ne m'en a pas fallu davantage.

Depuis plus de 30 ans, Mandel se décrit comme « un admirateur d'Amelia Earhart. » C'est d'ailleurs grâce à cette passion qu'il a rencontré son âme sœur, également admiratrice, à travers ce qu'il appelle la « communauté Amelia. » Ensemble, ils ont entrepris un pèlerinage sur tous les sites importants de la vie de l'aviatrice et préparent actuellement leur retour au festival Amelia Earhart qui se tiendra à Atchison, dans le Kansas aux États-Unis, où pléthore d'aficionados et de locaux se réunissent pour goûter au phénomène Earhart sous toutes ses formes dans la ville qui l'a vue naître. Au programme : meeting aérien, feux d'artifices, conférences, etc.

Lors de la dernière édition du festival en juillet, notre Ukrainien à moustache et bretelles pouvait être aperçu en train de partager son immense savoir avec des visiteurs du musée Amelia Earhart Birthplace, installé dans la maison où l'aviatrice a vu le jour. Lorsqu'on lui demande pourquoi l'aviatrice retient son attention depuis aussi longtemps, sa réponse est simple : « Elle est une source d'inspiration. »

Assis devant la maison d'enfance d'Amelia Earhart, le public assiste à un feu d'artifice pendant le festival Amelia Earhart à Atchison, au Kansas.
PHOTOGRAPHIE DE Gabriel Scarlett, National Geographic

Bien que la distance que Mandel soit capable de parcourir pour assouvir sa passion fasse office d'exception, ce n'est pas le cas de sa fascination pour Earhart. L'aviatrice a réussi à retenir l'attention collective pendant près d'un siècle, depuis 1928 lorsqu'elle est devenue la première femme à traverser l'Atlantique sur le siège passager (une prouesse quasi-suicidaire à l'époque) jusqu'au mois d'août dernier et l'expédition à la pointe de la technologie menée par Robert Ballard pour retrouver son avion. Une expédition qui a d'ailleurs fait l'objet d'un documentaire exclusif que National Geographic diffusera le 17 novembre 2019 à 20h40.

Pourtant, Amelia Earhart n'était pas la seule pilote intrépide à battre des records à l'heure où l'aviation prenait son envol. Ruth Nichols volait plus vite et Louise Thaden plus haut. Alors pourquoi notre imaginaire n'a-t-il d'yeux que pour elle ?

D'une certaine façon, elle y était prédisposée. Son premier vol à travers l'Atlantique à bord d'un Fokker F.VII baptisé Friendship (Amitié) était financé par Amy Phipps Guest, une femme fortunée qui s'était vu supplier par sa famille de ne pas participer elle-même au voyage. Elle demanda donc à l'éditeur George Putnam de trouver la passagère qui conviendrait. « Il y avait d'autres femmes pilotes à l'époque, peut-être même meilleures pilotes que ne l'était Amelia, » raconte Cynthia Putnam, la petite-fille de George. « Mais elle avait le profil, elle était faite pour ce rôle. » (George Putnam épousa Amelia Earhart en 1931.)

Femme du peuple en provenance du Midwest des États-Unis, grande et élancée, Amelia avait quelque chose de Charles Lindbergh, le premier aviateur à avoir traversé l'Atlantique en solitaire. « Elle a été photographiée avant son premier vol transatlantique avec une lumière délibérément dirigée pour rappeler la façon dont Charles Lindbergh avait été photographié, » assure Tracey Jean Boisseau, historien à l'université Purdue. « Certains lui donnaient le surnom de Lady Lindy, chose qu'elle n'appréciait pas du tout. »

À l'atterrissage du Friendship au Royaume-Uni en 1928, Amelia Earhart est au centre de toutes les attentions, bien qu'elle n'ait été qu'une passagère sur ce vol transatlantique. De gauche à droite : Amy Guest qui a financé le voyage ; Lou Gordon, mécanicien ; Amelia Earhart ; Wilmer Stultz, pilote ; Mme Foster Welch, maire de Southampton.
PHOTOGRAPHIE DE Bettmann, Getty

Lorsque le Friendship arriva à Londres, la foule ignora complètement le pilote et le navigateur de l'avion. Malgré son statut de passagère ou, selon ses propres mots, de « sac à patates », Amelia Earhart reçut un accueil digne des plus grands. Elle tira profit de cette expérience en écrivant un livre et devint dans la foulée la figure de proue d'une discipline naissante : l'aviation.

Earhart était toutefois prête à tout pour mériter cette adulation et prouver aux hommes comme aux femmes que ces dernières étaient capables d'en faire autant que ces messieurs. Plus les femmes réaliseraient de prouesses aériennes, écrivait-elle, « plus elles démontreraient avec force qu'elles étaient en mesure de voler. » Quatre ans après le vol du Friendship elle devenait la deuxième personne à traverser l'Atlantique en solitaire.

Elle atterrit près de Derry, en Irlande du Nord, où l'annonce de son arrivée résonna bien au-delà du cercle fermé de l'aviation, selon l'organisation locale Amelia Earhart Legacy Association. « À cette époque, les femmes ne conduisaient pas et Amelia arriva en avion, » explique Nicole McElhinney, membre de l'association et speaker lors du dernier Amelia Earhart Festival. « Les femmes ne portaient pas de pantalons et elle était vêtue d'une combinaison d'aviateur. » D'ailleurs, les premiers agriculteurs à faire sa rencontre l'avaient prise pour un homme. À une époque où le vote des femmes était encore tout récent, elle venait de démontrer de quoi une femme était capable.

En 1932, Amelia Earhart traverse l'Atlantique en solitaire et devient la seconde personne à réaliser cette prouesse après Charles Lindbergh. Son atterrissage se déroule dans un champ près de la ville de Derry en Irlande du Nord.
PHOTOGRAPHIE DE Sueddeutsche Zeitung Photo, Alamy

« Ce qu'elle voulait, c'était l'égalité dans le mariage, l'égalité des chances dans tous les emplois et l'égalité des salaires à travail égal, » atteste Amy Kleppner qui s'est vu remettre un prix durant le festival au nom de sa mère Muriel, la petite sœur d'Amelia.

C'est peut-être pour cela qu'elle nous semble si moderne. Amelia était une pionnière dans la lutte pour l'égalité des femmes, dans le développement de la discipline révolutionnaire qu'était l'aviation et dans l'élaboration d'une image publique à l'heure où le culte de la célébrité entrait dans une nouvelle ère. Et tout cela, elle l'a fait avec une modestie d'un autre temps qui laissait entendre que n'importe qui pouvait en faire autant, à la seule condition d'y prendre du plaisir.

« Elle incarnait de nombreuses valeurs positives pour tout le monde et notamment pour les Américains, » déclare Mandel.

Mais peut-être qu'au fond, la raison pour laquelle Amelia Earhart occupe encore aujourd'hui une place à part est qu'elle s'est évanouie sans laisser de trace alors qu'elle était sur le point de réaliser une prouesse historique. « Elle ne meurt pas de vieillesse, elle n'est pas emportée par la maladie, elle ne meurt pas sous nos yeux dans une explosion, » déclare Boisseau. « Elle meurt de la façon la plus propice à la création d'une légende, loin de notre regard, entourée de mystère. »

Le 2 juillet 1937, Earhart et son navigateur Fred Noonan disparaissent alors que le monde s'attend à ce qu'ils deviennent les premiers aviateurs à faire le tour du monde en avion le long de l'équateur. Ils étaient censés atterrir sur l'île Howland, un grain de sable perdu dans l'océan Pacifique qu'ils n'ont pas pu trouver. Il ne leur restait que deux étapes pour achever leur voyage record.

Cette peinture de l'avion qu'Amelia Earhart surnommait « little red bus » (petit bus rouge), le Lockheed Vega 5B qui l'a menée à travers l'Atlantique, est exposée dans le musée de sa maison d'enfance à Atchison, au Kansas.
PHOTOGRAPHIE DE Gabriel Scarlett, National Geographic

Le mystère de sa disparition a trituré les esprits de plusieurs générations. Son avion s'est-il écrasé avant de rejoindre les profondeurs océaniques ? A-t-elle réussi à atterrir sur une île déserte avant de mourir telle une naufragée ? Ou alors a-t-elle été faite prisonnière par les Japonais ? Des recherches ont été menées en mer et sur des îles désertes, dans les archives coloniales et dans les quartiers du New Jersey, allant même jusqu'à ratisser la cave de sa maison familiale dans l'espoir d'y trouver quelques indices sur le destin tragique de l'aviatrice… en vain.

« C'est en partie grâce à ce mystère que le nom d'Amelia Earhart fait encore irruption aujourd'hui dans chaque conversation à propos des grandes femmes de l'histoire, » conclut Jacque Pregont, coordinateur du festival d'Atchison. « J'espère qu'elle restera perdue à jamais. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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