Ces tablettes antiques donnent un aperçu de la vie au sein de l’armée romaine

Cinquante ans après la découverte de la première tablette de Vindolanda, des scientifiques s’intéressent à la façon dont ces artefacts hors du commun ont été fabriqués.

De Tom Metcalfe
Publication 24 mai 2023, 14:22 CEST
vindolanda-fort

Fouilles archéologiques au fort de Vindolanda, dans le nord de l’Angleterre. Cet ancien avant-poste de l’armée romaine recèle d’artefacts, et notamment plus de 1 800 tablettes ayant servi à écrire.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

Nous ne saurons jamais ce qui était écrit sur la première tablette de Vindolanda. Cette tranche de bois de la taille d’une carte postale a été découverte en 1973, à l’occasion de fouilles dans un dans un fort romain vieux de 1 900 ans dans le nord de l’Angleterre.

« Elle a vraiment été découverte par hasard, par mon père », révèle Andrew Birley, archéologue désormais en charge des fouilles au fort de Vindolanda. À l’époque, son père, Robin Birley, lui aussi archéologue, était à la recherche d’artefacts romains sur ce site situé juste au sud de l’ancienne fortification du mur d’Hadrien.

« Il faisait une pause, et il a découvert deux morceaux de bois huileux dans la tranchée, se souvient-il. Il les a ramassés et les a frictionnés entre ses doigts. Et en faisant ça, les deux morceaux se sont séparés, et c’est là qu’il a vu l’écriture. »

Cette première tablette destinée à l’écriture n’a pas été préservée, car les archéologues de l’époque n’avaient pas conscience de la fragilité des artefacts anciens en bois. Mais depuis lors, plus de 1 800 tablettes similaires ont été découvertes, entre autres artefacts enfouis à Vindolanda, et sont désormais reconnues comme l’un des plus grands trésors archéologiques du monde : des témoignages écrits du quotidien de soldats romains et de leur famille habitant le fort, une attestation intime de la vie à la frontière de l’Empire romain.

Il y a 1 900 ans, Claudia Severa invitait Sulpicia Lepidina. Il s’agit de l’un des plus anciens exemples connus d’une femme écrivant en latin.

PHOTOGRAPHIE DE CM Dixon, Print collector, Getty Images

Pour marquer le cinquantième anniversaire de la découverte de la première tablette de Vindolanda, le British Museum de Londres conduit une nouvelle analyse des matériaux utilisés pour les fabriquer avec l’espoir de découvrir des compléments à ces messages.

 

L’ÉCRITURE EST « PARTOUT »

Dans la famille Birley, cela fait trois générations que l’on travaille à Vindolanda : le grand-père d’Andrew était Eric Birley, professeur à l’Université d’Oxford et un des pionniers des études sur le fort et sur le mur d’Hadrien. « C'est comme la mafia », plaisante-t-il.

Si les vestiges du fort de Vindolanda (qui tire son nom d’un mot celte latinisé signifiant « champs blancs ») et le musée qui leur est consacré sont aujourd’hui une attraction touristique populaire, cela n’empêche pas des fouilles archéologiques d’être entreprises sur le site et d’être une importante source d’artefacts romains.

En effet, on découvre encore des tablettes à Vindolanda : Andrew Birley fait observer que la première de l’année a été découverte en avril et il s’attend à ce que des centaines d’autres sortent de terre durant l’été.

La plupart des inscriptions présentes sur les tablettes ont été réalisés à l’encre sur du bois, mais environ 400 d’entre elles ont été écrites à l’aide d’un style sur une couche de cire d’abeille dans un renfoncement à l’intérieur de celles-ci. Seuls des fragments de la cire ont subsisté aux coins de ces tablettes, mais dans bien des cas, l’inscription réalisée sur la cire a éraflé le bois qui se trouve dessous de sorte que l’on peut tout de même lire ce qui est écrit. On découvre généralement ces tablettes sous terre, en profondeur, là où la terre humide et le manque d’oxygène empêchent les objets en bois de se décomposer. Malheureusement, le site de Vindolanda devient instable à cause du changement climatique qui, selon Andrew Birley, le rend tour à tour plus sec et plus humide, ce qui signifie que les tablettes n’ayant pas encore été découvertes ont moins de chances de survivre aux années qui viennent.

Les soldats romains ordinaires savaient lire et écrire, une compétence peu commune pour l’époque, et les tablettes de Vindolanda couvrent quasiment tous les aspects de la vie sur ce fort des confins de l’Empire romain : affaires domestiques, lettres entre amis et requêtes officielle de permission. « L’écriture est partout, en particulier dans l’armée, déclare Andrew Birley. Il était vraiment important d’apprendre à lire et à écrire, pour communiquer et fonctionner. » C’est d’autant plus flagrant lorsque l’on sait qu’on ne les découvre pas dans une zone administrative centralisée, mais tout autour du fort et dans les résidences environnantes.

« Sur le sol, chez les gens, elles sont omniprésentes », dévoile Andrew Birley.

Comprendre : la Rome antique

Les plus célèbres tablettes de Vindolanda ont été produites vers l’an 100 de notre ère par une femme du nom de Claudia Severa, femme du commandeur d’un fort voisin. Dans celles-ci, elle invite Sulpicia Lepidina, femme du commandeur d’une cohorte à Vindolanda, à son anniversaire : « Je t’y attends, ma sœur », peut-on lire. « Adieu, ma sœur, mon âme chérie, que je puisse prospérer, et ave. » C’est l’une des plus anciennes traces écrites connues rédigées en latin par une femme.

 

ÉTUDE SCIENTIFIQUE

Cinq décennies après la découverte de la première tablette de Vindolanda, le British Museum entreprend une nouvelle étude pour mieux comprendre comment elles ont été fabriquées. Selon Caroline Cartwright, scientifique du musée, spécialisée dans la préservation d’artefacts anciens, quatre-vingts tablettes environ auraient été étudiées à ce jour.

Chaque examen vise à scruter le bois dont sont faites les tablettes, la composition chimique de l’encre (où elle a été utilisée) et à déterminer si elles ont été préparées avec une autre substance avant de servir à écrire.

Les scientifiques ont également recours à la microscopie électronique pour analyser le bois, à une caméra multispectrale pour révéler des détails de l’écriture sous différentes longueurs d’onde, et à la spectroscopie Raman afin d’en déterminer la composition chimique, autant de méthodes dont ne disposaient pas les premiers archéologues qui travaillaient sur le site, fait-elle observer.

Tandis que les tablettes à l’encre semblent être des lettres du quotidien, les tablettes à la cire ont tendance à être plus officielles : « Il peut s’agir du testament de quelqu’un ou bien d’un accord concernant l’identité du propriétaire d’un esclave », explique Richard Hobbs, conservateur du British Museum et responsable des tablettes de Vindolanda. « En ce qui concerne la lecture de ces tablettes, nous n’en sommes qu’au tout début. »

La plupart des tablettes à l’encre semblent écrites sur de fines feuilles fabriquées à partir de bois de bouleaux ou d’aulnes de la région. Selon Caroline Cartwright, le bois des tablettes à la cire a tendance à être plus mou et peut avoir été recyclé à partir de fûts qui contenaient des produits importés d’autres régions de l’Empire romain.

 

LOIN DE CHEZ SOI

Outre cet aperçu intime de la vie quotidienne dans le monde antique, les tablettes de Vindolanda sont également précieuses pour les informations importantes qu’elles fournissent concernant les opérations militaires romaines aux confins de l’Empire.

« L’armée romaine était une organisation extrêmement complexe, mais nous n’en savons que peu sur la façon dont elle était administrée, et la plupart des précédentes sources provenaient de l’est de l’Empire, explique Richard Hobbs. Mais ces tablettes nous offrent un aperçu extraordinaire de la vie au sein de l’armée romaine à la frontière du nord-ouest. »

Près de la moitié des 300 000 soldats romains stationnés en Grande-Bretagne étaient des légionnaires citoyens. Le reste était composé de troupes auxiliaires (auxilia) qui s’étaient engagées à combattre pour les Romains durant vingt-cinq ans, avec la promesse de se voir décerner la citoyenneté une fois leur service terminé. De nombreux auxiliaires étaient originaires de Grande-Bretagne, mais d’autres venaient de territoires plus lointains, envoyés loin de chez eux par les autorités romaines qui doutaient de leur loyauté : une unité était par exemple composée de cavaliers accomplis originaires des actuels Pays-Bas ; d’autres venaient de Belgique et du nord de l’Espagne.

Les conditions environnementales qui règnent sur le site de Vindolanda ont permis de préserver les tablettes en bois et ont également sauvé d’autres objets comme cette chaussure en cuir.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark, Nat Geo Image Collection

Quelle que soit l’origine des soldats, les tablettes de Vindolanda montrent que la plupart lisaient le latin et l’écrivaient. C’était la langue de l’armée. Andrew Birley explique que certaines comportent même des leçons pour apprendre à écrire le latin.

« Vous avez affaire à tout un tas de personnes issues d’horizons divers et variés et elles doivent pouvoir communiquer entre elles », commente-t-il. Presque tout était écrit, y compris combien les soldats étaient payés et leurs demandes de fournitures et d’équipement : « Si vous voulez rejoindre l’armée romaine, il est primordial d’atteindre un certain degré d’alphabétisation. »

Andrew Birley ajoute que le travail scientifique en train d’être fait par le British Museum sur la composition des tablettes de Vindolanda permettront de les préserver autant que possible.

« Il s’agit d’un travail vraiment important et novateur », dit-il, reconnaissant. « Et cela nous aide du point de vue du stockage, de la conservation et de la gestion de ces choses incroyablement précieuses. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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