Des détails cachés de la bataille des Ardennes enfin révélés

De nouvelles techniques, rendues possibles grâce à la technologie LiDAR sur drone, permettent aux archéologues d’étudier les vastes champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale comme jamais auparavant.

De Tom Metcalfe
Publication 17 janv. 2024, 13:16 CET
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Des membres de la division aéroportée de l’armée américaine marchent dans la forêt ardennaise le 20 janvier 1945, pendant la Bataille des Ardennes. De nouveaux scans par drone de certaines parties de l'immense champ de bataille ont révélé des éléments jusqu'alors cachés.

PHOTOGRAPHIE DE History Archive, Universal Images Group, Getty Images

La bataille des Ardennes a été menée en Europe, dans la forêt ardennaise, en plein hiver 1944-1945. Il s’agit de l’une des plus grandes batailles de l’Histoire. 

Sur toute la durée de cette bataille de dix semaines, dans la neige et par un froid glacial, plus d’un million de soldats des troupes Alliées ont lutté, ont été blessés, ont disparu ou sont décédés. Du côté allemand, plus d’un demi-million de soldats ont combattu et les pertes ont été encore pires, avec environ 120 000 blessés. 

Ce combat, appelé « the Bulge » par les Anglo-Américains en raison de la forme prise par la ligne de front des Alliés lors de l’attaque surprise, a été la dernière offensive allemande de cette guerre, l’ultime tentative d'Adolf Hitler pour retarder l’avance alliée en Europe de l’Ouest et éviter la défaite, survenue malgré tout quelques mois plus tard. 

Bien que largement étudiée par les historiens militaires, le terrain accidenté du champ de bataille, sa couverture forestière dense et sa vaste étendue entre la Belgique, le Luxembourg et l'Allemagne font que peu de travaux archéologiques ont pu y être menés.

Toutefois, dans le cadre d’une nouvelle étude, un scan d’une partie du champ de bataille a été réalisé à l'aide de drones et a permis de découvrir plus d'un millier d'éléments paysagers cachés, créés au cours des combats il y a près de quatre-vingts ans. Abris souterrains, cratères de bombes, emplacements d'artillerie et tranchées sont autant d’éléments qui révèlent ces nouvelles investigations.

Lorsque les derniers vétérans de la bataille des Ardennes s'éteindront, « le paysage en demeurera le seul témoin », déclare Birger Stichelbaut, archéologue spécialiste des conflits à l'université de Gand, en Belgique, et principal auteur de la nouvelle étude publiée dans la revue scientifique Antiquity.

 

LA TECHNOLOGIE LiDAR

Pour étudier certaines parties du champ de bataille, Stichelbaut et ses collègues ont utilisé un drone aérien équipé d’un LiDAR à haute résolution, un système de détection et de télémétrie par laser semblable à un radar, mais qui émet des impulsions de lumière laser au lieu d'ondes radio. Cette technologie a permis aux chercheurs d'explorer en détail des centaines de sites archéologiques. Bon nombre de ces éléments étaient à peine visibles sur les cartes publiques de la région wallonne du sud de la Belgique, qui couvre la majeure partie des Ardennes, élaborées avec un lidar à faible résolution.

Des abris souterrains datant de la bataille des Ardennes ont été découverts grâce à des cartes lidar de la région. 

PHOTOGRAPHIE DE Birger Stichelbaut

La famille de Stichelbaut a également randonné sur plusieurs sites l'été dernier. « Je l'ai fait pendant les vacances », explique-t-il. « Maintenant, mes enfants sont experts dans la recherche d’abris américains. »

Les chercheurs se sont servi des données relevées par drone pour extrapoler ce qu'ils avaient appris à pied à une partie beaucoup plus importante du champ de bataille des Ardennes, en Belgique, à l'est de la ville de Saint-Vith et autour de la ville de Schönberg, soit une zone d'environ 130 km².

Ils ont identifié des vestiges archéologiques dans le paysage, même dans des zones qu’ils n’avaient pas explorées, et ont révélé plus de 1 000 cratères de bombes, tranchées-abris, abris et emplacements d'artillerie jusqu'alors inconnus et cachés dans la forêt.

Stichelbaut explique que les conflits de la Seconde Guerre mondiale se sont déroulés sur d’immenses zones parce que les deux camps utilisaient des chars et déplaçaient l'artillerie et l'infanterie par convois. La bataille des Ardennes, par exemple, s'est étendue sur plus de 1 300 km². Les batailles de la Première Guerre mondiale étaient, au contraire, plus statiques, les lignes de front se battant dans des tranchées parfois à moins de 30 mètres de distance.

En utilisant le LiDAR haute résolution du drone sur des petits sites, les chercheurs ont pu interpréter ce qu'ils voyaient sur les cartes plus grandes et à faible résolution déjà disponibles, explique Stichelbaut. Ils ont ainsi pu étudier une grande partie du champ de bataille sans avoir à le parcourir à pied.

Les sites sur lesquels l'équipe s’est rendue à pied ont toutefois éclairé leurs interprétations des cartes et ont constitué un moyen unique d'étudier cet affrontement historique entre les Alliés et l'Allemagne nazie.

 

LES VESTIGES D’UNE BATAILLE

L’équipe a également trouvé des artefacts de la grande bataille, notamment des fusées d'obus d'artillerie, des restes de grenades, des assiettes métalliques dans lesquelles les soldats mangeaient et des fragments d'un sac destiné à contenir le propulseur d'un canon américain de 155 mm.

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    Des déchets de guerre laissés sur place ont été retrouvés près d'un emplacement de canon américain de 155 mm. On observe une fusée d'artillerie (à gauche) ainsi qu’une autre fusée (en bas à droite) et d'autres déchets métalliques non identifiés.

    PHOTOGRAPHIE DE Birger Stichelbaut

    Leurs recherches suggèrent que les soldats allemands ont récupéré et occupé les positions américaines après une première phase de combat près de Schönberg, où 7 000 soldats américains ont été isolés et contraints de se rendre.

    « Ce que nous avons trouvé dans cette zone sont des emplacements de canons américains orientés vers l'est pour tirer sur les emplacements des Allemands », explique Stichelbaut. « Toutefois, nous avons aussi trouvé des restes de grenades à main allemandes en acier, donc soit les Allemands utilisaient à nouveau ces positions pour s'abriter, soit des combats avaient lieu dans cette zone ».

    Il espère que les résultats de l'étude pourront servir à informer les visiteurs sur cette bataille charnière. La région est remplie de musées de petites villes qui relatent l'histoire locale de la bataille des Ardennes, mais les forêts où se sont déroulés la plupart des combats ne sont pas marquées. De nombreux sentiers de randonnée pourraient être signalés par des panneaux et informer sur les événements qui s'y sont déroulés, déclare Stichelbaut.

     

    LA RÉVOLUTION LiDAR 

    Cette dernière étude est également une avancée pour l'utilisation du LiDAR, qui a révolutionné l'archéologie ces dernières années. Les chercheurs espèrent que ces nouvelles techniques pourront être utilisées pour analyser d'autres champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, ce qui pourrait conduire à leur protection légale en tant que sites historiques.

    Dries Couke, chercheur à l'université de Gand et coauteur de la nouvelle étude, explique qu'il s'agit de la première utilisation archéologique d'une innovation appelée SLAM, Simultaneous Localization and Mapping (localisation et cartographie simultanées). Cela signifie que le LiDAR du drone a servi à la fois à déterminer la position géographique et à cartographier la zone environnante.

    « Normalement, il faut d'abord se localiser, puis cartographier », explique-t-il, « mais désormais, tout se fait en même temps, ce qui est beaucoup plus rapide. »

    Pour Takeshi Inomata, archéologue de l’université de l’Arizona qui n’a pas participé aux recherches, il s'agit d'une « excellente étude » qui « démontre que la combinaison d'un LiDAR à haute résolution d'une zone sélectionnée et d'un LiDAR à plus faible résolution d'une zone plus large peut être efficace ».

    Inomata étudie les premières civilisations mayas et, en 2020, il s’est servi du LiDAR pour révéler le site d'Aguada Fénix dans les jungles du sud du Mexique.

     

    PRÉSERVER LE PASSÉ

    Pour John McManus, historien militaire de l'université des sciences et technologies du Missouri, qui n'a pas participé à la recherche, la nouvelle étude explique les caractéristiques du champ de bataille que de nombreux livres d'histoire passent sous silence. 

    « Je me suis rendu dans ces endroits… J’y ai vu d’anciennes tranchées-abris et tranchées et je me suis souvent posé des questions à leur sujet », dit-il. « Il y a tellement plus que ce que nous pouvons voir. »

    McManus est l'auteur d'Alamo in the Ardennes (Alamo dans les Ardennes), qui raconte la défense des soldats américains pendant le siège de Bastogne, un élément clé de la bataille des Ardennes. Le siège a culminé avec la célèbre réponse du général Anthony McAuliffe, « NUTS ! »  (une forme de non catégorique), à une demande allemande de reddition.

    Des semaines de neige et de pluie abondantes ont compliqué la bataille des Ardennes, et ce pour les deux camps. Toutefois, les soldats alliés ont résisté au froid intense et aux assauts allemands de plus en plus désespérés jusqu'à ce que le temps commence à s'éclaircir à Noël 1944.

    Cela a permis aux avions de guerre alliés de voler à nouveau et de bombarder les lignes allemandes, un facteur décisif contre lequel Hitler avait parié. Pari perdu.

    La reprise des attaques aériennes a forcé les Allemands à battre en retraite et, bien que l'offensive des Ardennes ait retardé l'invasion de l'Allemagne, les Alliés ont traversé le Rhin en mars 1945 et ont commencé à avancer vers Berlin.

    Stichelbaut note que l'archéologie LiDAR permet de recueillir des informations sur ces champs de bataille clés de la Seconde Guerre mondiale avant que la nature ne les reprenne, et peut-être d'aider à les commémorer pour l'avenir. D'ici peu, les personnes qui ont été témoins de ces événements auront disparu.

    « Il ne sera plus possible d’interroger les anciens combattants », explique Stichelbaut, « mais vous pouvez avoir un contact direct avec les batailles en visitant ces sites. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
     

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