Une civilisation inconnue peuplait l’Amazonie il y a 2 500 ans

À l’ouest de l’Équateur, en pleine forêt amazonienne, un vaste réseau urbain a été découvert. La technologie laser Lidar a permis de révéler l’ampleur de cette civilisation jusqu'alors inconnue.

De Manon Meyer-Hilfiger
Publication 25 mars 2024, 10:23 CET
Le centre du site archéologique de Kunguints se trouve lové entre deux rivières ici représentées en ...

Le centre du site archéologique de Kunguints se trouve lové entre deux rivières ici représentées en tons vert bleu. Ces vestiges d'une ancienne civilisation rayonnante ont été retrouvés grâce à la technologie Lidar qui permet d'observer sous la densité du couvert végétal de la forêt Amazonienne. 

PHOTOGRAPHIE DE image Lidar A. Dorison and S. Rostain

Depuis trente ans, Stéphen Rostain arpente la jungle humide de l’Équateur. À force d'investigation, il a fini par comprendre qu’un peuple important avait un jour habité ce coin d’Amazonie. Dans la vallée de l’Upano, au pied de la cordillère des Andes, il a trouvé ce qui s’apparente à une grande cité antique. Ça et là, des plateformes de terre, monticules de 2 à 3 mètres de haut, s’organisent autour d’un axe rectiligne central et creusé - « les Champs-Élysées locaux » selon les mots de l’archéologue. 

Perchées sur ces promontoires, des habitations étaient construites en bois. On les devine aujourd’hui grâce aux trous que les poteaux ont laissés dans le sol. Juste en bas de ces monticules, l’archéologue a découvert des champs où l’on cultivait du maïs, des haricots et du cacao voilà 2 500 ans, entre 500 avant J.-C. et 600 après J.-C. 

« C’est une cité-jardin, comme Angkor Wat, au Cambodge ou les sites mayas. Les habitants cultivaient sans doute en bas de chez eux, et s’aidaient des canaux qu’ils avaient creusés dans le sol pour drainer l’eau de cette région humide. Nous avons aussi retrouvé des grains de maïs à l’intérieur de jarres de cette époque. Ils buvaient un breuvage à base de maïs légèrement fermenté. Une sorte de bière épaisse et nutritive, peu alcoolisée (deux degrés d’alcool) que l’on trouve chez la plupart des populations autochtones encore aujourd’hui, ce qui étaye cette hypothèse » indique le chercheur. 

Autre constat, sur le terrain : certains des grands axes poursuivent leurs courses dans l’épaisse végétation. Mais impossible de les suivre. Pendant plusieurs décennies, l’archéologue s’est heurté à cette énigme. Où mènent ces routes ?

Stéphen Rostain pose derrière une jarre en terre cuite qui servait à stocker la bière de maïs doux (chicha). Elle a été découverte lors de la fouille archéologique à grande échelle sur une plate-forme en terre sur le site de Sangay, dans la vallée d'Upano, en Équateur 

PHOTOGRAPHIE DE Stéphen Rostain

Tout a changé en 2021. À bord d’un petit avion équipé de la technologie Lidar – un laser capable d’afficher les moindres reliefs du sol – une équipe a parcouru près de 600 km² dans cette région. Quand il a finalement découvert les images réalisées durant ce survol, l’archéologue était stupéfait. « J’ai pris conscience du gigantisme de ce qui avait été construit ». Sur le terrain, il avait vu une seule grande cité. Là, depuis les airs, ce sont cinq « villes » et dix « villages » qui se dévoilaient, un peu sur le même modèle que la première cité découverte. Ces bourgs apparaissent connectés par des routes « parfaitement droites ». L’archéologue constate aussi que les grands axes continuent de filer au-delà des 600 km² scannés par le laser. 

Cette mystérieuse civilisation se serait étendue sur près de 1000 km² (la taille du Val d’Oise). Voilà qui balaie, s’il fallait encore le faire, la croyance d’une forêt amazonienne vierge de toute habitation, peuplée seulement par une poignée de chasseurs-cueilleurs. Ces découvertes ont été publiées en début d’année dans la revue Science. « Au sein de la quinzaine de bourgs, on recense en tout près de 6500 plateformes » poursuit Stéphen Rostain. Difficile de savoir pourtant combien d’habitants ont vraiment vécu là, pendant plus de mille ans, dans ces cités-jardins non loin de la rivière Upano. Plusieurs milliers de personnes au moins, estime Stéphen Rostain. Pour préciser ce chiffre, lui et son équipe s’attellent à calculer la productivité des champs.

Une chose est sûre, néanmoins. Il s'agissait d'une société complexe, sûrement hiérarchisée, qui s’est épanouie au pied de la cordillère des Andes, à l’ouest de l’Équateur actuel. En témoignent ces monticules d’une centaine de mètres de large, présents dans chacune des villes et chacun des villages, bien plus importants que les autres plateformes. « Ce sont des œuvres publiques, collectives, sans doute édifiées pour des réunions. Des constructions en bois existaient au sommet, mais elles ont disparu » relate Stéphen Rostain. 

Ces grandes réalisations, en plus des routes parfaitement rectilignes, supposent l’existence de géomètres. Voilà 2500 ans, ces mathématiciens enchaînaient les visées pour mener à bien les constructions. « Chacun son domaine de spécialisation. Certains étaient paysans, d’autres pêcheurs, d’autres encore prêtres ou chamans. Des marchands se rendaient à l’extérieur des cités pour échanger avec les autres, y compris avec d’autres peuples » explique l’archéologue.

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    PHOTOGRAPHIE DE Stéphen Rostain

    Une civilisation d’ampleur, donc, organisée, complexe… Pourquoi est-elle restée si longtemps dans l’ombre ? Les recherches dans la forêt amazonienne sur les ancêtres des Amérindiens ont longtemps suscité peu d’intérêt, en comparaison de celles menées en Mésoamérique, sur les Mayas ou les Aztèques. Ces derniers ont laissé des bâtiments en pierre, au contraire des constructions en bois de cette civilisation inconnue, qui ont disparu. Stéphen Rostain ajoute une raison à cette relative indifférence. « Lors de la colonisation espagnole, débutée vers la fin du 16e siècle, les virus exogènes ont provoqué une véritable hécatombe. De nombreuses sociétés autochtones ont disparu avant même que l’homme blanc n’ait pu les voir. Quand les premiers Européens ont exploré la forêt amazonienne, elle était déjà quasiment vidée de ses habitants. On a tendance à oublier cette pandémie. Et on pense aisément que les Amérindiens d’aujourd’hui ressemblent à ceux d’autrefois, en ignorant complètement la diversité des modes de vie possibles dans la forêt avant la colonisation ».

    Perchés sur leurs plateformes, ces mystérieux habitants ont peuplé ce coin de forêt amazonienne pendant plus de 1000 ans avant de disparaître. « Leur fin semble assez brusque. J’ai d’abord pensé à une mega-éruption volcanique, car ils étaient installés au pied d’un volcan très actif. Mais les dates ne correspondent pas. Est-ce un changement climatique, un phénomène El Niño persistant qui aurait bouleversé cette société très dépendante de son agriculture ? Une civilisation qui a tout simplement implosée ? » s’interroge Stéphen Rostain, toujours au travail. L’archéologue compte bien continuer d’écrire l’histoire méconnue de la forêt amazonienne avant la colonisation. 

    Retrouvez notre reportage sur les Mayas dans le numéro 294 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

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