Brainrot : comment la génération Z lutte contre l’abrutissement numérique
Des loisirs analogiques aux couvre-feux technologiques, ces membres de la génération Z expérimentent des méthodes appuyées par la science pour désengourdir leur cerveau.

Le doomscrolling caractérise désormais notre temps d’écran et les neurosciences montrent que cela nuit au cerveau. Mais la génération Z se bat pour récupérer son cerveau sans pour autant abandonner le monde numérique.
« Vous êtes accros à la dopamine facile et cela ruine votre motivation », entend-on dire Tiziana Bucec, créatrice de contenu sur TikTok, dans une vidéo publiée au mois de mai. Celle-ci, qui compte plus de 2,9 millions de vues, s’inscrit dans une série anti-brainrot que la jeune femme de 19 ans consacre au partage d’astuces pour récupérer son cerveau. « Aujourd’hui, faites peut-être une chose qui offre à votre cerveau une récompense retardée. Allez vous promener, écrivez quelque chose ou faites le ménage. »
Tiziana Bucec fait partie d’un mouvement grandissant d’influenceurs de la génération Z qui cherchent à lutter contre le brainrot(ou pourrissement cérébral), une impression de détérioration mentale due au défilement ininterrompu de contenus.
La génération Z est la deuxième génération la plus importante en nombre, avec plus de 70 millions d’adolescents et de vingtenaires nés entre 1997 et 2012 aux seuls États-Unis. Dans le monde, près de deux milliards d’humains en font partie.
Comprenant à la fois des adultes qui se souviennent de l’âge d’or de Tumblr et de Vine et d’adolescents à qui Skibidi Toilet et 6-7 évoquent quelque chose, cette génération a été façonnée par la technologie. Si les références varient, de nombreux jeunes internautes affirment ressentir mentalement les effets du doomscrolling, pratique consistant à faire défiler du contenu de manière compulsive et morbide. En tant que génération qui s’est vu imposer un enseignement exclusivement numérique durant ses années de lycée ou de collège, cette cohorte entretient un rapport unique au monde en ligne.
Le membre américain moyen de la génération Z passe plus de six heures par jour à faire défiler son écran sur des plateformes telles que TikTok, YouTube et Instagram. Ironie du sort, les applications mêmes qui invitent à doomscrolling et nuisent au cerveau incitent désormais les jeunes à prendre davantage soin de leur santé mentale.
Les spécialistes de la question mettent en garde : les jeunes adultes sont susceptibles de présenter des symptômes de vieillissement accéléré du cerveau en raison d’une consommation excessive de contenu sur les réseaux sociaux.
Voici ce que la science dit concernant les effets du brainrot sur les jeunes esprits et comment la génération Z organise la contre-attaque.
LES CERVEAUX DE LA GEN Z VIEILLISSENT-ILS PLUS VITE ?
Plus nous utilisons les plateformes numériques et les réseaux sociaux, plus le cerveau commence à réclamer les doses de dopamine que lui procure l’immense quantité d’informations nouvelles qu’on lui sert.
« Le brainrot ne provoque pas vraiment le pourrissement de notre cerveau », rassure Earl Miller, neuroscientifique à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT). « Il suscite en permanence un environnement que nos cerveaux ne sont pas préparés à affronter, voilà le vrai problème. Nous sommes des créatures monomanes et quand toutes ces informations nous parviennent, nous voulons tout consommer et il est difficile de réfréner ce désir. »
Si quiconque ayant accès à Internet peut être concerné par le brainrot, la génération Z est particulièrement prédisposée à ce mal, car elle a grandi avec un accès sans précédent à la technologie. Selon une étude publiée par Pew Research en 2024, les adultes âgés de 18 à 29 ans sont plus dépendants à leur smartphone que toute autre classe d’âge.
Le « pourrissement cérébral » est corrélé à un déclin cognitif chez les plus jeunes générations et une étude publiée en 2025 montre qu’une utilisation excessive de l’IA et des réseaux sociaux peut affaiblir la capacité à se souvenir et à retenir, diminuer la fonction cérébrale et entraîner des pertes de mémoire. Une récente revue de soixante-et-onze études publiée par l’Association américaine de psychologie arrive à la conclusion qu’une consommation excessive de vidéos en format court est directement corrélée à une diminution des fonctions cognitives.
« Nous savons qu’une utilisation fréquente de la technologie peut modifier le cerveau et que cela peut perturber le fonctionnement cognitif », rappelle Amanda Elton, maîtresse de conférences en psychiatrie à l’Institut du cerveau McKnight de l’Université de Floride. « Mais que cela signifie-t-il d’être en déclin cognitif à une période où le cerveau est encore en train de se développer et de mûrir ? »
Le terme « déclin cognitif » sert généralement à décrire les populations vieillissantes. Cependant, les cerveaux de la génération Z sont encore en phase de croissance et, selon Amanda Elton, l’expression « vieillissement accéléré du cerveau » pourrait constituer une désignation plus juste pour décrire les symptômes du brainrot.
En vieillissant, l’âge chronologique ne correspond pas toujours à l’âge biologique. Les organes du corps vieillissent à des rythmes différents selon une multitude de facteurs, comme la constitution génétique, la région du monde et le mode de vie. Dit simplement, le fait d’avoir un cerveau biologique plus âgé est associé à une moins bonne santé à long terme.
Quelle que soit la terminologie employée, une chose est sûre : la génération Z ne compte pas se laisser faire.
COMMENT LA GÉNÉRATION Z SE BAT POUR SA SANTÉ MENTALE
Même les personnes qui passent leur vie en ligne encouragent leurs abonnés à agir contre le pourrissement cérébral. La plateforme TikTok est inondée de vidéos dédiées à l’entretien mental qui cumulent des milliers de vues grâce aux conseils en santé cognitive qu’elles prodiguent et grâce à leurs tutoriels anti-pourrissement.
Elizabeth Jean, créatrice de contenu sur TikTok, élabore chaque mois, pour elle-même, un « curriculum » sur mesure qui rappelle les syllabus universitaires : les livres qu’elle prévoit de lire, les cours auxquels elle souhaite s’inscrire et les recettes qu’elle se jure de perfectionner. Bien qu’elle soit de la génération Y, ses vidéos ont trouvé un écho auprès d’un public principalement composé de membres de la génération Z à la recherche de moyens de combattre le brainrot. Le hashtag « curriculum » compte désormais plus de 90 000 vidéos publiées par des personnes suivant ses guides mensuels ou créant le leur.
Une tendance TikTok encourage les utilisateurs à raccrocher leur smartphone en rentrant chez eux, un clin d’œil aux téléphones fixes d’hier. Une autre recommande d’élaborer des « menus de dopamine » composés d’activités hors ligne, comme de longues promenades ou des séances de méditation.
Les outils de désintoxication numérique sont également en plein essor, qu’il s’agisse de Brick, qui bloque les applications distrayantes, ou du confortable et ludique Focus Friend. Se servir de la technologie pour se sevrer des réseaux sociaux peut sembler paradoxal, mais des recherches montrent que la régulation du temps d’écran et le fait de sélectionner les types de contenus numériques que l’on consomme sont associés à une amélioration de la santé mentale.
Selon les conclusions d’une étude publiée dans la revue Behavioral Sciences, de jeunes adultes ont déclaré avoir l’esprit plus clair, être moins stressés et plus productifs après une désintoxication numérique de deux semaines.
Hush Harbor, premier restaurant à proposer une expérience sans téléphone à Washington, fait sensation grâce à son atmosphère déconnectée. Quand les clients arrivent, ils déposent leurs appareils dans des sacs verrouillés avant d’aller prendre un verre au bar.
« Avec la Gen Z, le téléphone va manger en premier », raille Rock Harper, chef et propriétaire de Hush Harbor. « Rien de tout cela ici, on mange d’abord ou on échange avec son voisin de table. » Sans téléphone en guise de distraction permanente, explique-t-il, les tables hautes du restaurant débordent de jeux tels que Cards Against Humanity, le solitaire ou encore le Monopoly.
Ce restaurant n’est que l’un des nombreux espaces sans technologie à fleurir de par le monde. L’Offline Club organise par exemple des événements déconnectés dans toute l’Europe, tandis que Bistecca, à Sydney, demande aux convives de sceller leurs téléphones dans des casiers afin d’être pleinement présents.
LES BIENFAITS COGNITIFS DU TEMPS PASSÉ EN LIGNE ET HORS LIGNE
Le mouvement de déconnexion de la génération Z prend de l’ampleur et la recherche commence à révéler les effets des alternatives « hors écran » sur le cerveau.
« L’une des meilleures manières de garder son cerveau en bonne santé est d’interagir socialement avec des personnes, rappelle Earl Miller. Il est très important d’avoir un autre niveau d’interaction sociale au-delà de sa famille et du cercle immédiat avec qui l’on vit. »
Earl Miller met en garde, votre séance nocturne de vidéos TikTok et Instagram qui défilent pendant que vous regardez la télévision pourrait coûter cher sur le plan cognitif. Plus le cerveau met du temps à essayer de se reconfigurer pour chaque tâche, plus la marge d’erreur est grande et plus le cerveau fait d’erreurs. En conséquence, votre esprit critique et votre mémoire sont susceptibles de décliner, prévient-il.
Des études récentes montrent que différentes formes d’activités mentales, comme le fait de jouer à des jeux peut améliorer le fonctionnement du cortex préfrontal, la région du cerveau qui gère la réflexion, la résolution de problèmes et la concentration.
Le fait d’investir du temps dans des activités hors ligne, comme la lecture, l’écoute de musique ou l’écriture d’un journal, est associé à une flexibilité cognitive accrue ainsi qu’à de meilleures compétences en pensée computationnelle.
« Vous pouvez réellement stimuler vos capacités cognitives en apprenant de nouvelles techniques consistant à entraîner votre cerveau à mieux faire attention », explique Gary Small, professeur de psychiatrie et de santé comportementale à la Faculté de médecine Hackensack Meridian.
Selon Earl Miller, se fixer des objectifs et dresser un petit curriculum, comme Elizabeth Jean, sont d'autres façons de renforcer les connexions cérébrales et de garder l’esprit vif. « Se fixer des objectifs au début du mois est une excellente façon de créer des réseaux sains dans votre cerveau, contrairement au fait de se divertir de manière passive sur son téléphone. »
Enfin, les spécialistes recommandent de planifier des pauses délibérées par rapport aux réseaux sociaux et de programmer un minuteur pour se souvenir de s’éloigner de son appareil ne serait-ce que brièvement.
« Il est important de prendre du temps pour soi hors ligne, persiste Gary Small. Ce que je sais sur le cerveau est que plus on commence à protéger sa santé tôt, mieux l’on se porte. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.